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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Un nouveau monde

L’acquisition d’Instagram par Facebook pour un milliard de dollars symbolise un changement d’époque dans les trois domaines couverts par Superception : communication, marketing et management. Accrochez vos ceintures !

Lancée en octobre 2010 par Kevin Systrom et Mike Krieger, deux anciens étudiants de Stanford, Instagram est une application mobile qui permet d’appliquer des filtres à des photos prises avec un smartphone pour ensuite les partager avec son réseau d’amis sur Facebook, Twitter, Tumblr et, surtout, sur Instagram.

Car Instagram est bien un réseau social et même l’un des plus actifs aujourd’hui : plus d’un milliard de photos y ont déjà été chargées et ces clichés génèrent 575 “aime” et 81 commentaires par seconde. Instagram fut l’application la plus rapide à atteindre un million de chargements sur la plate-forme de services d’Apple et fut nommée “application de l’année” en 2011 par l’entreprise fondée par Steve Jobs.

Plus généralement, Instagram, aujourd’hui, c’est quatre chiffres :

  • 30 millions d’utilisateurs,
  • 13 collaborateurs,
  • 1 phénomène de société naissant,
  • 0 chiffre d’affaires.

Le plus important est naturellement le “1”. C’est celui qui motive cette acquisition, à la fois la plus importante de la jeune histoire de Facebook et la plus chère pour une application mobile.

Le clin d’oeil est que Mark Zuckerberg, devenu célèbre en 2007 pour avoir refusé le milliard de dollars que lui proposait Yahoo!, a réussi à convaincre deux de ses jeunes successeurs de lui céder leur entreprise pour le même montant. Qui a dit que l’Histoire bégayait ?

Couverture de Fast Company (2007)

Cela m’amène à vous communiquer un dernier chiffre qui pourrait vous gâcher la lecture de cet article : Kevin Systrom, le PDG et co-fondateur d’Instagram qui détient 40% de la start-up, va empocher à 29 ans 400 millions de dollars (avant impôts) grâce à cette acquisition, soit… 725 000 dollars par jour de travail depuis la création de son entreprise (la deuxième qu’il créa après avoir connu un premier échec).

Kevin Systrom – (CC) jdlasica

Plus globalement, cette acquisition incarne une triple rupture à l’oeuvre depuis quelque temps dans les domaines du marketing, de la communication et du management. Toutes les mutations profondes se concrétisent un jour à travers un événement emblématique. Je suis convaincu que le rachat d’Instagram par Facebook restera dans les annales comme l’un de ces tournants.

Explications en trois chapitres.

Marketing

Aux yeux du monde entier, Facebook incarne la nouvelle économie des réseaux sociaux. Pourtant, l’entreprise de Mark Zuckerberg risque bientôt d’être déjà dépassée car elle a un talon d’Achille. Elle est née dans un univers fixe et a conçu son service pour être utilisé sur un ordinateur.

Or le monde est en train de muter du fixe vers le mobile, les smartphones et autres tablettes se taillant progressivement la part du lion en termes d’utilisation d’Internet et, peut-être plus important encore, de connexion émotionnelle avec leurs propriétaires. De plus en plus nombreux sont ceux qui ne font plus un pas sans leur gadget hi-tech et y ont recours à chaque instant pour s’informer, se distraire et communiquer avec leurs communautés personnelle et professionnelle. Pour les annonceurs et les médias (y compris sociaux), le mobile, quelle que soit la forme qu’il revêt, sera le prochain Eldorado.

Mais le mobile n’est pas dans l’ADN de Facebook et ce seul fait constitue une menace d’envergure pour l’Entreprise. A contrario, Instagram a été conçu dès l’origine pour le mobile, à tel point que l’application n’est même pas disponible sur ordinateur. Son site Internet offre juste deux liens pour télécharger les applications mobiles disponibles sur iOS (Apple) et Android (Google) ainsi qu’un blog et quelques informations institutionnelles basiques. Alors que, depuis vingt ans, pas une seule entreprise n’aurait imaginé pouvoir exister sans avoir son propre site web, Instagram a acquis 30 millions d’utilisateurs en moins de deux ans sans présence digne de ce nom sur Internet. Incidemment, cette évolution constitue également une phénoménale menace pour Google dont les revenus résultent presque intégralement de l’activité des Internautes sur le web.

Mais je dérive. Pour revenir à Facebook, la seconde révolution marketing qui se déroule sous nos yeux – et dont nous sommes les acteurs sans toujours nous en rendre compte – a trait à l’importance que revêtent les photos dans notre communication quotidienne. Nous prenons collectivement plus de photos que jamais et, si le numérique a tué des acteurs historiques de ce marché (e.g. Kodak), il n’a pas tué l’application photographique elle-même. Bien au contraire. Et, ici encore, l’avènement de gadgets mobiles aux optiques presque aussi performantes que celles d’appareils photo de qualité change la donne. Il n’est plus besoin de se promener avec un appareil réflexe pour faire de belles photos et encore moins pour partager son quotidien avec ses contacts. C’est ici qu’Instagram s’est bâti une position unique sur un marché où les applications concurrentes ne sont pourtant pas rares. Plus qu’une application de retouche photo, Instagram est devenu en quelques semaines un réseau social.

Face au tout petit acteur social mobile, le grand acteur social fixe est de nouveau confronté à sa faiblesse majeure : son absence de prédispositions pour la mobilité. Les applications de Facebook sur les mobiles sont indigentes pour la photographie alors que le réseau social est devenu en quelques années le premier moyen pour les gens de partager et stocker leurs photos – 250 millions de photos sont chargées sur Facebook chaque jour ! Mais ce qui fut une force durant quelques années est devenu une faiblesse à la vitesse à laquelle le monde des hautes technologies évolue aujourd’hui, c’est-a-dire aussi vite qu’Instagram applique un filtre sépia à une photo.

Facebook est donc menacé, et ce malgré ses plus de 800 millions de membres et ses 100 milliards de valorisation boursière programmés. C’est pourquoi le prix d’acquisition d’Instagram, jugé délirant par certains, porte un nom : c’est le salaire de la peur. Alors que la start-up venait de finaliser un tour de table qui la valorisait à 500 millions de dollars, Facebook a doublé la mise révélant sa vulnérabilité… et sa maturité managériale (cf. infra).

Car, au-delà d’une menace, Instagram représente aussi une grande opportunité pour l’entreprise de Mark Zuckerberg : opportunité de croissance en termes à la fois de trafic et de temps passé par les abonnés sur son réseau ainsi que de chiffre d’affaires publicitaire. C’est pourquoi, in fine, le montant de l’acquisition n’est pas forcément représentatif d’une nouvelle bulle. Le prix d’une acquisition, après tout, peut varier d’un acquéreur à l’autre en fonction de la cohérence stratégique. Dans le cas de Facebook, ce prix pourrait s’avérer justifié.

Communication

En matière d’image, deux phénomènes méritent d’être soulignés :

  • en premier lieu, Instagram a développé une image très émotionnelle, en ligne avec la caractéristique première de son service. On oublie trop souvent que les photos sont probablement le moyen le plus émotionnel de partager une expérience avec ses amis. Toute application photographique a donc un potentiel émotionnel. La simplicité d’utilisation, la beauté des filtres appliqués sur les photos par Instagram et la capacité à partager des expériences et des commentaires ont transformé une petite application comme ils en existent des centaines de milliers sur l’Apple Store en phénomène de la société numérique mondiale ;
  • second pilier constitutif de l’image d’Instagram, l’exclusivité. L’application, jusqu’à tout récemment, n’était disponible que sur iPhone. Elle vient d’être lancée sur Android et y a conquis cinq millions d’utilisateurs en six jours ! Mais les plus fidèles d’Instagram sur iPhone virent dans ce développement sur la plate-forme concurrente une forme de trahison. Aujourd’hui, avec l’annonce du rachat d’Instagram par Facebook, la réaction est démultipliée : Twitter bat au rythme des déclarations de guerre anti-Facebook des fans les plus fervents d’Instagram et des appels à désinstaller l’application. On peut en effet souhaiter qu’Instagram ne connaisse pas le destin de son ancêtre sur ordinateur, Flickr, qui végéta après avoir été acquis par Yahoo! en 2005. Mais, quoi qu’il en soit, cette réaction est révélatrice du besoin de tout être humain d’appartenir à une communauté. Et toute communauté se vit par la différence qu’elle estime avoir avec ceux qui n’en sont pas membres. Incidemment, c’est certainement un problème auquel le succès d’Apple confrontera un jour la marque à la pomme : lorsque les produits les plus “cool” et “élitistes” seront détenus par une majorité d’utilisateurs, ils perdront une part de leur attrait communautariste. Mais c’est un autre sujet. Dans l’immédiat, une grande partie de la communication de Facebook et Instagram a consisté aujourd’hui a rassuré les utilisateurs sur la pérennité de leur application préférée. Facebook devra aussi tranquilliser ses nouveaux “amis” sur le respect de leur vie privée, un domaine dans lequel le réseau social ne s’est pas toujours illustré.

Management

La presse américaine raconte que, après qu’Instagram eut recueilli de nouveaux investisseurs, elle reçut une offre de Facebook en l’espace d’à peine deux jours. Une offre à un milliard de dollars réalisée en si peu de temps témoigne d’une agilité stratégique et décisionnelle exceptionnelle. Elle atteste à la fois de la lucidité de Mark Zuckerberg face aux faiblesses de son entreprise et de sa capacité à prendre les mesures correctives les plus résolues. Enfin, elle illustre le fait que, dans le monde ultra-volatil dans lequel nous vivons, la rapidité de décision et d’action constitue l’une des qualités les plus importantes d’un dirigeant.

A ce triple égard, la décision du “Zuck” renvoie à celle que Yahoo! n’avait pas su prendre en 2002 lorsqu’elle déclina l’offre d’acquérir Google pour 5 milliards de dollars. On connaît la suite…

Zuckerberg a expliqué sur son blog que cette acquisition, qui se distingue de celles réalisées jusqu’à présent par Facebook pour acquérir des talents, serait sans lendemain. Je n’en crois pas un mot.

Avec cette acquisition, Zuckerberg confirme en effet sa volonté de constituer un géant d’Internet bien au-delà de l’application initiale de Facebook. C’est pourquoi l’Entreprise sera dans les prochaines années l’un des plus sévères concurrents de Google dont elle remet en cause les fondements mêmes de l’écosystème.

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