20 janvier 2013 | Blog, Blog 2013, Communication | Par Christophe Lachnitt
Armstrong face à Oprah, face au monde et, surtout, face à lui-même
Le sportif le plus détesté du moment a-t-il fait progresser sa cause auprès du grand public ?
J’ai regardé ce matin les presque deux heures d’interview de Lance Armstrong avec Oprah Winfrey. C’est un cas passionnant de communication de crise qu’il convient d’analyser sous un triple angle (stratégie, forme, fond).
La stratégie de communication
Armstrong a commis à mon sens plusieurs erreurs dans ce domaine :
- la fuite dans The New York Times sur ses motivations et les modalités de sa future prise de parole médiatique (lire ici) a constitué la plus mauvaise des entrées en matière. Elle a confirmé la perception d’un individu égoïste et manipulateur ;
- le choix d’Oprah Winfrey, animatrice brillante mais trop protectrice de ses invités, indique qu’Armstrong considérait que ses aveux constituaient en soi une sortie suffisante de sa zone de confort et qu’il voulait les prononcer dans un contexte confortable. Oprah l’a challengé gentiment et ne l’a jamais mis en danger. Avec elle, Armstrong est allé à confesse plutôt qu’à Canossa. Or il fallait que son intervieweur exprime la déception et une partie de la haine du public à son endroit afin de lui donner la possibilité d’y répondre véritablement. Oprah ne l’a pas fait et ne lui a pas rendu service en l’épargnant. C’est d’autant plus incompréhensible que cette interview démontre une nouvelle fois combien Armstrong est un être à sang froid et doté d’une intelligence – mise en exergue par les extraits d’interviews avec d’autres coureurs diffusés par Oprah – qui lui aurait permis d’affronter une interview avec “60 Minutes” ou Anderson Cooper sur CNN. Enfin, bien qu’Oprah ait affirmé le contraire au tout début de l’interview, Armstrong et elle n’empêcheront personne de penser que leur dialogue eut lieu dans un cadre négocié entre eux en échange de l’énorme exclusivité qu’elle représenta pour la petite chaîne (qui ne monte pas) de l’animatrice ;
- autre erreur, l’interview aurait dû se faire en direct et ne pas être enregistrée plusieurs jours avant sa diffusion, ce qui a suscité des spéculations médiatiques sur les révélations qu’allait faire Armstrong. Ces révélations étant in fine inférieures aux spéculations – lesquelles étaient représentatives des attentes des commentateurs et du public -, elles ont créé de la déception et accru le ressentiment à l’égard de leur auteur ;
- l’interview fut beaucoup trop longue. Le fait qu’Armstrong avoue était connu d’avance – il n’allait pas parler à Oprah pour nier une énième fois. L’attente concernait les détails qu’il communiquerait à propos de son système de dopage et les excuses qu’il ferait à tous ceux qu’il a trompés, humiliés, oblitérés et/ou déçus. Moins ces éléments étaient présents dans l’interview, plus celle-ci parut interminable ;
- la diffusion de l’interview en deux parties ne fit qu’exacerber ce phénomène et déconnecta le seul élément émotionnel de l’interview – les propos d’Armstrong à propos de ses enfants dans la seconde partie – de ses passages plus “juridiques” dans la première. En outre, cette première partie aura certainement eu une audience plus grande alors que c’est la seconde qui permit à Armstrong d’être (un tout petit peu) plus humain.
La forme
Plusieurs éléments m’ont frappé en visionnant l’interview :
- Armstrong sembla moins arrogant dans son expression qu’on ne l’a connu dans le passé et que ne le reflétèrent les extraits diffusés par Oprah de son témoignage en 2005 ou de son discours sur le podium du Tour de France de la même année. A certains moments, il apparut même humble mais les autres faiblesses de son interview risquent de faire passer ces rares instants au second plan et de leur conférer un caractère artificiel et manipulateur ;
- hormis le moment où il s’épancha sur ses enfants, et en particulier sur son fils aîné, Armstrong ne fit quasiment montre d’aucune émotion durant près de deux heures. Il fut analytique, ne se rendant visiblement pas compte de la profondeur du mal qu’il a commis ni du fait que son attitude mafieuse – pour reprendre le terme utilisé dans le rapport l’Agence anti-dopage américaine (USADA) – est encore plus grave aux yeux du public que son dopage. Même son langage corporel fut celui de l’analyse et de la domination, pas de l’émotion et de la pénitence. Le caractère analytique de son interview lui retira presque toute attrition et encore plus toute contrition. Or le remords aurait dû être son premier objectif dans l’optique d’un très éventuel rebond en termes de perception car c’est ce que les gens attendaient le plus. En fait, il sembla plus désolé, au cours de l’interview, d’avoir été démasqué que de s’être dopé et d’avoir détruit la vie de nombre de personnes, répétant même plusieurs fois que s’il n’était pas revenu sur le Tour de France en 2009, il n’en serait pas là aujourd’hui ;
- il réalise en revanche – en partie ? – la précarité de sa situation en termes de perception, relevant à plusieurs reprises qu’il n’est pas le plus crédible pour dire le vrai du faux. C’est précisément cette précarité qui aurait dû le conduire à adopter une stratégie de communication à l’opposé de celle qu’il a retenue (cf. supra). Le coeur du problème à cet égard fut que, n’étant pas challengé par Oprah Winfrey, il ne put pas réellement démontrer la véracité de ses propos. Il lui suffit durant l’interview de les affirmer mais l’affirmation n’est pas conclusive dans sa situation ;
- il est obsédé par le fait de contrôler sa vie – ce qui est certainement la source de ses erreurs stratégiques relevées plus haut. De cela, il semble conscient et c’est probablement ce qui le fait le plus souffrir dans son existence : avoir vaincu le cancer sans contrôler l’issue de cette bataille et être de nouveau esclave de son destin dans ce scandale ;
- last but not least, il parut étouffé par son propre narcissisme, faisant plusieurs remarques au cours de l’interview qui auraient dû provoquer une série de questions de la part de la doucereuse Oprah. Il expliqua ainsi que l’élément qui l’énerva le plus dans le rapport de 1 200 pages de l’USADA publié au mois d’octobre dernier est l’affirmation qu’il s’était dopé dans les Tours de France 2009 (il arriva troisième) et 2010 (il finit vingt-troisième) après son retour à la compétition ; il aurait dû plus certainement être choqué par les détails exposés dans ce rapport sur la douleur qu’il provoqua chez tant de ses équipiers et soutiens. Dans la même veine, il déclara que l’interdiction qui lui est faite de participer à toute compétition sportive est une “peine de mort” et qu’il “mérite de recourir”, comparant sa sanction à celle des autres sportifs dopés sans prendre la mesure de la différence de nature – mafieuse – et non de degré entre ses fautes et celles des autres champions déchus. Il argumenta aussi à propos des accusations d’insultes proférées à l’encontre de Betsy Andreu, l’épouse de l’un de ses anciens équipiers, que, certes, il la traita de “folle et de salope” mais pas de “grosse”, et ce en face d’Oprah Winfrey. Quatrième exemple, il reconnut que son ancienne masseuse, Emma O’Reilly – qu’il avait qualifiée de “prostituée” et d'”alcoolique” lorsqu’elle l’accusait -, avait raison mais sans faire montre du moindre repentir à son endroit. En résumé, il semble manquer le gène de l’empathie à un Armstrong replié sur lui-même.
Le fond
Plusieurs facteurs empêcheront le retour en grâce d’Armstrong :
- sa gloire et son caractère d’icône mondiale sont nés, outre de ses victoires sur les routes de France, d’une histoire personnelle exceptionnelle : enfance difficile, victoire contre un terrible cancer à 25 ans et création d’une fondation de lutte contre cette maladie. Sa rédemption est donc d’autant plus difficile par rapport à celle d’un sportif traditionnel que sa “marque” personnelle est fondée sur des critères extra-sportifs tout autant, sinon plus, que sur le seul attrait né de son comportement en compétition. Il n’a pas su gérer cette contradiction dans son interview ;
- il a d’autant moins réussi son examen de passage qu’il a constamment cherché à amoindrir les charges portées contre lui par l’Agence anti-dopage américaine (USADA), expliquant s’être dopé comme les autres coureurs du peloton, ni plus ni moins, et niant avoir été le parrain mafieux décrit par l’agence. Il défendit la réputation du Docteur Michele Ferrari, le cerveau médical de son système de dopage, et refusa de donner des détails sur le fonctionnement dudit système. Ce faisant, il fut très éloigné des exigences que les agences anti-dopages ont envers lui pour le réadmettre dans des compétitions sportives ;
- il serait impossible de lister ici toutes les questions qu’Oprah ne posa pas à Armstrong mais on peut cependant en énumérer certaines : qui était l’organisateur du système de dopage de ses équipes successives si ce n’était pas lui ? Qui l’aida au sein des instances internationales à couvrir son système de dopage ? Pourquoi se dopa-t-il après son cancer ? Etait-il vraiment aussi propre en 2009 et 2010 qu’il l’affirme ? Quel est le vrai bilan de sa fondation Livestrong dans la recherche contre le cancer ? Ainsi que je l’indiquais plus haut, ce n’est pas en ne répondant qu’aux questions qui l’arrangent qu’Armstrong regagnera un début de crédit et de confiance.
Comme le dit l’adage, on n’a qu’une occasion de faire une bonne première impression. Il en va de même en communication de crise : on n’a qu’une opportunité de dire toute la vérité et de s’excuser. Lance Armstrong l’a clairement manquée.
S’il n’a pas su faire face au monde en faisant face à Oprah Winfrey, c’est au fond parce qu’il n’a pas su se faire face à lui-même.