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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Couverture de Rolling Stone : journalisme et marketing, le couple infernal

La starification de l’un des deux auteurs présumés de l’attentat de Boston est-elle défendable ?

(CC) Rolling Stone

(CC) Rolling Stone

Le dernier numéro du magazine Rolling Stone arbore en couverture une photo glamoureuse de Jahar Tsarnaev (voir ci-dessus) qui est comparée par certains à celle de Jim Morrison (voir ci-dessous).

(CC) Rolling Stone

(CC) Rolling Stone

La révélation de cette couverture a déclenché un ouragan sur les réseaux sociaux avec une tonalité extrêmement défavorable au magazine. Elle a également suscité le boycott de plusieurs chaînes de magasins (Cumberland Farms, CVS, Rite Aid, Tedeschi, Walgreens…) qui ne vendront pas ce numéro. Last but not least, cette Une a fait l’objet d’une lettre très bien tournée du maire de Boston au patron de Rolling Stone :

La couverture de votre numéro daté du 3 août accorde à un terroriste un traitement digne d’une célébrité. Elle est, au mieux, mal conçue et consacre le fait que les actes de destruction valent la gloire à leurs auteurs et leurs ‘causes’. Il se peut que votre approche sensationnelle masque un travail journalistique intéressant. Mais il est difficile d’en juger car vous n’avez pas révélé grand-chose d’autre que votre Une.

Une réponse courroucée de ma part alimenterait votre évidente stratégie marketing. C’est pourquoi je vous écris pour porter l’attention du public sur ceux que vous auriez dû mettre en exergue : les survivants courageux et les milliers de personnes – familles et amis, volontaires, secouristes, docteurs, infirmières et donateurs – qui les aident. Parmi ceux que nous avons perdus, parmi ceux qui ont survécu et parmi ceux qui les aident à revivre, il y a des artistes, des musiciens, des danseurs et des écrivains. Ils ont des rêves et des projets pour lesquels ils se battent. Les survivants des attaques de Boston méritent la couverture de Rolling Stone même si j’ai le sentiment que Rolling Stone ne les mérite plus”.

Cette polémique suscite cinq commentaires de ma part :

  • la photo de Tsarnaev n’est pas, loin de là, la première Une provocante de Rolling Stone. Pour ne considérer que deux exemples très célèbres, le magazine consacra l’une de ses couvertures en 1970 à Charles Manson et publia en 1980 une photo de John Lennon nu avec Yoko Ono ;
  • il faut dire que la provocation booste les ventes en kiosques. Ainsi le numéro de Rolling Stone consacré à Charles Manson fut-il l’un des plus vendus de l’histoire du magazine. Et, comme le rappelle AdAge, les récents numéros de Bloomberg Businessweek avec les Unes les plus aguicheuses (mais certes moins dérangeantes que celle de Rolling Stone) enregistrèrent des hausses moyennes de leurs ventes de 70%. La colère des uns n’empêche pas les autres de se ruer sur l’objet du délit ;
  • beaucoup de commentateurs arguent sur Twitter que d’autres organes de presse ont mis des criminels en couverture sans provoquer la tempête suscitée par Rolling Stone. Les deux exemples les plus cités sont la même photo de Tsarnaev placée en Une du New York Times le 5 mai dernier (voir ci-dessous) et celle des auteurs de la tuerie de Columbine en couverture de TIME en 1999. Il me semble que cette comparaison est un contre-sens. En effet, Rolling Stone n’a pas le même positionnement que The New York Times et TIME. Ceux-ci sont des médias d’information alors que celui-là est l’emblème de la culture populaire américaine. De ce fait, leurs choix éditoriaux n’ont pas le même sens car le grand public n’a pas la même perception et donc les mêmes attentes à leur égard. Lorsque Tsarnaev est en couverture du quotidien new yorkais, il est admis que le propos est journalistique (incidemment, la couverture du 5 mai n’avait généré aucun débat). Lorsqu’il fait la Une de Rolling Stone, il est compris qu’il est héroïsé, voire érotisé. En effet, nos perceptions passées forment nos préjugés qui, eux-mêmes, limitent l’étendue de nos nouvelles perceptions ;
  • le rôle des émotions dans la formation de ces perceptions doit une nouvelle fois être souligné. De fait, ainsi que l’a souligné le journaliste Aaron Gell sur Twitter, Rolling Stone est davantage critiqué pour sa couverture que ne l’avait été The New York Post lorsqu’il avait accusé à tort et sans preuve deux innocents d’être les principaux suspects de l’attentat de Boston. Cette différence de traitement étonnante tient au fait que The New York Post a insulté deux personnes alors que Rolling Stone donne le sentiment d’en offenser des millions, tous ceux qui ont été émus par la tragédie bostonienne ;
  • c’est précisément parce que nos émotions l’emportent toujours dans la formation de nos perceptions qu’il ne peut y avoir de mesure globale de l’impact – positif ou négatif – de cette couverture sur le travail journalistique (l’article d’investigation sur la jeunesse de Tsarnaev) qu’elle vend. Par exemple, le public jeune, cœur de cible de Rolling Stone, sera certainement moins choqué que les autres et verra même probablement dans cette transgression la confirmation de la singularité de leur magazine favori.
(CC) The New York Times

(CC) The New York Times

Et c’est in fine ce qui est le moins défendable dans le choix éditorial de Rolling Stone : mettre en vedette un criminel (présumé) qui, du fait de son âge, offre aux lecteurs du magazine une figure d’identification très puissante.

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