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Toute vérité n'est que perception

Affaire Bill Cosby : l’arrogance est-elle le pire ou le meilleur moyen de museler la presse ?

Le comédien et comique, l’une des personnalités les plus populaires – et les plus utilisées dans des campagnes de publicité – outre-Atlantique depuis les années 1980 fait face à la résurgence d’anciennes accusations d’agression sexuelle qui prennent plus d’envergure avec l’apparition de nouveaux témoignages de victimes présumées.

Parmi elles, l’ancienne top model Janice Dickinson a affirmé publiquement que Cosby l’avait droguée et violée en 1982, appliquant une technique que l’on croyait réserver, dans le monde du spectacle, au sinistre Roman Polanski. Au total, une quinzaine de femmes ont accusé Bill Cosby à ce jour.

Devant l’ampleur de l’affaire, Netflix a décidé de reporter la diffusion de son programme spécial consacré à Bill Cosby prévue pour le 28 novembre prochain. NBC, la chaîne sur laquelle Cosby a fait toute sa carrière, lui a emboîté le pas en interrompant le développement d’une série avec le comédien qui devait être produite la saison prochaine.

En 2006, cinq femmes avaient accusé, notamment dans le magazine People, Bill Cosby d’agression sexuelle après que ce dernier eut trouvé un accord financier avec une autre victime présumée qui, elle, avait porté son cas devant les tribunaux. A l’époque, l’affaire n’avait pas connu un grand retentissement médiatique.

Cette année, elle explose en bonne partie en raison de l’attitude extrêmement arrogante adoptée par Bill Cosby – chez lequel, il faut dire, l’arrogance a toujours semblé une conduite atavique.

Celui qui s’est fait le héraut des valeurs familiales décida en effet de traiter les accusations auxquelles il fait face avec condescendance. Cela donna lieu à des interviews qui ne firent que nourrir la dynamique médiatique de l’affaire, la plus surréaliste étant celle avec la radio publique NPR au cours de laquelle Cosby répondit à une question – pourtant des plus mesurées – sur les accusations d’agression sexuelle par un long silence. Qu’un acteur qui connaît si bien le fonctionnement des médias n’ait pas imaginé l’écho assourdissant qu’aurait ce silence dépasse l’entendement.

Il en va de même de la déclaration officielle de l’avocat de Bill Cosby mise en ligne sur le site web de ce dernier : “ces dernières semaines, des allégations contre M. Cosby vieilles de dix ans et discréditées ont refait surface. Le fait qu’elles soient répétées ne leur confère aucune vérité. M. Cosby n’a pas l’intention de donner de la dignité à ces allégations en les commentant. Il voudrait remercier tous ses fans pour leur effusion de soutien et les assurer que, à 77 ans, il réalise son meilleur travail. M. Cosby et ses représentants ne feront aucun autre commentaire”.

Contrairement à ce qu’elle affirme, cette déclaration constitue bien un commentaire de l’affaire. Un commentaire qui, sans même parler de son manque d’humanité, est rendu totalement inefficace par l’arrogance et le mépris qu’il porte. L’ego du comique ne fait plus rire personne.

En outre, le lendemain de la mise en ligne de ce texte, il fut retiré et remplacé par un autre dans lequel il était rappelé que Bill Cosby avait conclu un accord financier avec l’une de ses accusatrices en 2006. Le texte était cette fois attribué aux avocats respectifs de Bill Cosby et de sa victime présumée.

Mais la pièce de résistance de la communication du comique sur cette affaire est une interview accordée le 6 novembre dernier à Associated Press (AP) sur un autre sujet – le prêt d’une partie de sa collection artistique à un musée.

On y voit un Bill Cosby impérial toiser le journaliste du haut de sa gloire cathodique et lui donner des leçons de journalisme à rebours : “nous ne voulons pas compromettre votre intégrité, nous ne parlons pas, je ne parle pas de ce sujet”, “nous pensions que, comme vous faites partie d’AP, nous n’aurions pas à répondre à ce genre de questions de votre part”, “je pense que, si vous voulez vous prendre pour un journaliste sérieux, cet échange (NDLR – à propos des accusations) n’apparaîtra nulle part” et “dites à votre patron que la raison pour laquelle nous n’avons pas répondu au début est que nous pensions qu’AP avait l’intégrité de ne pas poser ce genre de question“.

Les nombreuses pressions que Cosby exerça sur le journaliste pendant et après l’interview (mais alors que la caméra tournait encore) furent efficaces : dans un premier temps, AP ne diffusa pas cette partie de l’échange. Le public n’eut le droit de la voir que lorsque l’affaire prit une telle ampleur qu’elle représenta un scoop pour l’agence (voir vidéo ci-dessus).

Au-delà des errements narcissiques de la communication de Bill Cosby, ce qui m’intéresse dans cette affaire est la différence de son traitement par les médias à dix ans d’intervalle. Alors que, en 2006, l’article de People n’avait généré aucune dynamique médiatique, le sujet a trouvé une résonance cette année.

On fait face au même phénomène que celui que je mettais en lumière il y a quelques mois dans l’affaire Donald Sterling – le propriétaire de l’équipe de basketball des Los Angeles Clippers contraint de la vendre après la énième révélation de son racisme. La démocratie l’emporte désormais sur la ploutocratie : les réseaux sociaux font tomber les élites.

En effet, c’est la parution d’une biographie de Bill Cosby rédigée par Mark Whitaker, lequel n’évoque pas du tout les accusations d’agression sexuelle, qui a généré une vague de réprobation sur le web social. Celle-ci a créé une réaction en chaîne avec, successivement, un article signé par l’une des accusatrices de Cosby dans The Washington Post (“Bill Cosby m’a violée. Pourquoi cela a-t-il pris 30 ans pour que les gens croient mon histoire ?”), la désastreuse interview du comédien sur NPR, la publication d’un autre témoignage sur le blog Hollywood Elsewhere et la révélation de l’interview d’Associated Press.

Il y a encore quelques années, l’arrogance pouvait constituer un rempart entre la réputation d’une personnalité et les (parfois timides) tentatives des journalistes pour révéler la vérité. Aujourd’hui, la vigilance du grand public sur le web social rend cette approche de moins en moins efficace.

Bill Cosby ne risque certainement rien devant un tribunal de justice car les accusations seront malheureusement impossibles à prouver, si elles sont vraies, aussi longtemps après les faits. En revanche, il risque beaucoup, comme l’ont déjà montré les décisions de Netflix et NBC, devant le tribunal de l’opinion.

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