15 octobre 2015 | Blog, Blog 2015, Communication | Par Christophe Lachnitt
Feindre une émotion est l’un des plus gros pièges de l’art oratoire
Démonstration avec un protagoniste du premier débat télévisé de la primaire démocrate pour la Maison-Blanche.
Ce débat, qui eut lieu hier matin (heure française), fut beaucoup plus substantiel que les deux premières contentions républicaines. Il bénéficia cependant d’un étonnant effet halo1 résultant de la présence de Donald Trump dans cette campagne présidentielle.
Il enregistra ainsi un record d’audience avec 15,3 millions de téléspectateurs. Jusqu’à présent, le débat démocratique le plus regardé avait réuni Hillary Clinton, Barack Obama et 10,7 millions de personnes en 2008.
Hier, le sujet du contrôle de la vente des armes à feu fut évidemment abordé et l’on assista alors à une faute non provoquée de Martin O’Malley, l’ancien maire de Baltimore et gouverneur du Maryland qui est actuellement troisième dans les sondages, loin derrière Hillary Clinton et Bernie Sanders.
Comme les politiques aiment à le faire, O’Malley raconta l’histoire d’une famille de citoyens, Sandie et Lonnie Phillips, qu’il avait rencontrés et dont il annonça la présence dans la salle. En 2012, leur fille fut assassinée lors de la tuerie qui fit 12 morts et 70 blessés à Aurora (Colorado). Ils perdirent ensuite le procès qu’ils intentèrent au commerçant qui avait vendu pas moins de 4 000 munitions au tueur.
C’est une histoire doublement tragique qui aurait pu être narrée, par un orateur plus talentueux et/ou plus authentique, avec un mélange de compassion, tristesse, respect et colère. Malheureusement, comme vous pouvez le voir dans la vidéo reproduite ci-dessus, Martin O’Malley dut regarder ses notes lorsqu’il voulut dire les noms des deux parents de la défunte.
Cette béquille mémorielle anéantit toute empathie que son récit aurait dû déployer vis-à-vis des deux victimes présentes dans l’assistance, du reste du public et des téléspectateurs.
On n’a pas besoin d’un aide-mémoire pour se souvenir des noms de personnes au cas desquelles on s’est sincèrement et longuement intéressé. En revanche, on en a besoin lorsqu’on essaie de faire un coup politique – cette anecdote participait d’un assaut d’O’Malley contre Bernie Sanders sur le contrôle des armes à feu – en exploitant la tragédie d’individus dont on se soucie trop peu.
C’est en tout cas la perception que l’oraison ratée de l’ancien soutien d’Hillary Clinton peut susciter.
Feindre une émotion est l’un de plus gros pièges de l’art oratoire. En effet, lorsque le tribun échoue, le sentiment de trahison de son audience est d’autant plus grand que le ressort qu’il avait tenté de faire jouer était sensible (dans les deux sens du terme).
La crédibilité s’accommode très mal de l’inauthenticité.
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1 L’effet halo est la contamination (positive ou négative) dont une réalité (personne, idée, produit…) bénéficie dans la perception de ses publics. Ceux-ci jugent des éléments qu’ils ne connaissent pas à son sujet à partir de certaines de ses caractéristiques sur lesquelles ils ont déjà une opinion. L’un des exemples les plus célèbres est l’aura dont bénéficièrent les ordinateurs Mac lors du succès marketing et commercial de l’iPod.