18 juillet 2019 | Blog, Blog 2019, Management | Par Christophe Lachnitt
La leçon de management de Roger Federer et Novak Djokovic
De la différence entre absolu et perfection.
Je suis un fan intégral de Roger Federer, le joueur et l’homme, ce qui ne m’empêche pas d’être lucide.
J’ai ainsi répertorié tous les matches de cinq sets disputés par le génie suisse à partir des quarts de finale dans les quatre tournois du Grand Chelem (voir le tableau reproduit ci-dessous).
De cette liste, il ressort que :
- Roger Federer présente un bilan total très légèrement négatif (12 défaites pour 11 victoires) qui n’est pas à la hauteur du reste de son palmarès ;
- son solde est positif en quart de finale (5 victoires pour 2 défaites), négatif en demi-finale (5 défaites pour 2 victoires) et légèrement négatif en finale (5 défaites pour 4 victoires) ;
- il est équilibré contre Rafael Nadal (2 victoires pour 2 défaites) et très négatif contre Novak Djokovic (4 défaites pour 0 victoire) ;
- il est positif pour les matches dont le cinquième set s’est achevé en dix jeux ou moins (10 victoires pour 6 défaites) et très négatif pour ceux dont le cinquième set est allé au-delà de 5-5 (6 défaites pour 1 victoire) ;
- enfin, c’est à Wimbledon que ce bilan est le plus négatif (6 défaites pour 3 victoires). Cela peut paraître étonnant vu que Federer est le recordman de victoires (8) sur le gazon londonien mais cela tient aux facteurs précités (cinquième sets accrochés, affrontements avec Novak Djokovic) pour 4 de ses 6 échecs.
Ce solde contrasté est cohérent avec ses résultats en carrière contre ses deux plus grands rivaux :
- 16 défaites pour 24 victoires contre Rafael Nadal ;
- 22 défaites pour 26 victoires contre Novak Djokovic.
Il est aujourd’hui presque acquis que ce dernier sera le GOAT, le plus grand de tous les temps, aussi bien pour les Grands Chelems que pour les Masters 10001. Il n’a en effet “que” 32 ans, contre 33 pour Nadal et bientôt 38 pour Federer mais ne connaît pas les problèmes physiques récurrents de l’Espagnol. Or Djokovic en est à 16 victoires en Grand Chelem contre 18 pour Nadal et 20 pour Federer : il va probablement atteindre les 25 succès, voire les 30, dans ces tournois et pourrait aussi être le premier joueur à gagner chaque levée du Grand Chelem trois fois. Il compte 33 titres en Masters 1000 contre 34 pour Nadal et 28 pour Federer et est donc en avance sur eux dans ce secteur.
Il n’est pas impossible non plus que Djokovic dépasse Federer au nombre de semaines passées en tête du classement ATP : il en a engrangé 260 contre 310 pour le Suisse. Nadal est distancé à cet égard avec “seulement” 196 semaines au firmament du tennis mondial.
Il semble par contre plus douteux qu’il batte le record du nombre de tournois gagnés en simple avec 75 titres contre 102 pour “Roger”, lequel est à la poursuite des 109 trophées de Jimmy Connors.
Pourtant, même si Federer était doublé par Djokovic dans plusieurs domaines-clés de son palmarès, il resterait comme un joueur unique dans l’Histoire parce que, précisément, sa trace n’est pas indexée sur le nombre de ses exploits.
Sa perfection technique qui dépasse la justesse académique pour toucher à la grâce, la pureté de son style “à l’ancienne” (priorité à l’offensive, jeu principalement à plat, revers à une main…), sa capacité à inventer des coups censément impossibles et sa classe naturelle sur et hors du court donnent un caractère singulier à sa carrière auquel aucun autre joueur, exceptés Rod Laver et John McEnroe pour des raisons différentes, ne peut prétendre.
Novak Djokovic est probablement le joueur de tennis le plus parfait de l’histoire de ce sport. Mais Roger Federer en est l’incarnation absolue. Le premier, même s’il est le plus fort, ne pourra jamais rivaliser avec le second, qui restera le plus grand même s’il est effacé des livres de records.
Il en va de même pour les entreprises : la perfection opérationnelle ne surpassera jamais la quête d’absolu. Celle-là est gage de performance, celle-ci est porteuse de sens. C’est toute la différence, par exemple, entre Lenovo et Apple, Honda et Harley-Davidson, Magnum et Ben & Jerry’s, United et Southwest Airlines.
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1 Et, comme j’en suis aux prédictions, je parie aussi que Novak Djokovic sera un jour élu Président de la Serbie.