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Toute vérité n'est que perception

L’anti-leçon de management de Didier Deschamps

Un objectif ne fait pas une vision.

Le roi est nu. Didier Deschamps, qui a toujours été associé à la victoire dans l’imaginaire populaire français, a perdu son mantra. L’équipe de France qu’il dirige ne se contente plus d’ennuyer. Désormais, elle perd ou réalise des matches au sujet desquels le qualificatif “nul” ne rend pas seulement compte du score.

Toujours, Didier Deschamps s’est abrité derrière ses victoires pour rejeter les discussions sur son projet pour l’équipe de France. Son message est bien passé, la presse française se réjouissant pendant des années que la valeur cardinale du sélectionneur soit “la gagne”.

Or le succès n’est pas une valeur. C’est au mieux un objectif. Si l’on est incapable de définir une vision et des valeurs pour guider son équipe, on se retrouve d’autant plus démuni lorsque la victoire s’offre à d’autres. En alliant son identité à la réussite, Didier Deschamps s’est affaibli : au contraire de ceux qui incarnent des idées, il ne lui reste rien quand il perd.

En réalité, l’ancien milieu défensif a commis la même erreur que ces dirigeants corporate qui affirment que leur stratégie est la croissance : comme la victoire en sport, l’expansion d’une entreprise ne constitue pas un projet. Dans les deux cas, l’équipe concernée peut être animée durant un temps par un résultat à atteindre. Mais, pour être portée durablement, elle doit saisir le sens de l’idéal auquel elle contribue. Seuls une vision et des valeurs confèrent ce supplément d’âme.

Dans le monde du football, c’est parce qu’il vise autre chose que la victoire que Pep Guardiola peut entraîner ses équipes – dans les deux sens du terme – au-delà de ses défaites, alors que c’est depuis qu’il n’incarne plus de projet fédérateur1 que José Mourinho est devenu un coach ordinaire. Dans l’univers corporate, c’est parce qu’il n’est pas gouverné par ses prochains résultats trimestriels qu’Elon Musk accomplit l’impossible, alors que c’est depuis qu’elle a perdu de vue ses valeurs originelles que GE est devenue une entreprise banale.

Didier Deschamps – (CC) Stéphane Guiochon/Le Progrès

L’incapacité, jusqu’à présent, de Didier Deschamps d’imaginer un autre dessein que la victoire crée deux problèmes majeurs dont on observe les ravages au sein de l’équipe de France et des entreprises qui se comportent comme elle.

Le premier concerne la limitation de l’exigence que s’imposent ces collectifs. En visant un résultat, ils bornent leur développement. De fait, les équipes qui vont le plus loin sont celles qui ne savent pas jusqu’où elles peuvent aller. Elles s’engagent dans une démarche d’amélioration continue et non de performance contenue dans un objectif : la vraie ambition est celle qui ne se soucie pas exclusivement du résultat. En se focalisant sur le seul tableau d’affichage, le sélectionneur ne s’est pas intéressé aux causes racines de la performance de l’équipe de France. Lorsque la victoire n’est plus au rendez-vous, les maux occultés (absence d’animation du jeu offensif, refus de manager les egos…) sont d’autant plus nuisibles qu’il n’existe pas de projet pour cadrer l’action du groupe concerné.

Le second problème généré par l’approche de Didier Deschamps est qu’elle empêche toute remise en cause réelle. Lorsque la victoire est consubstantielle à l’identité du manager, celui-ci ne peut pas questionner sa propre approche sous peine de voir sa légitimité s’évaporer. C’est ce que l’on observe depuis l’Euro avec le patron des Bleus, qui répète à l’envi qu’il assume la responsabilité de l’échec sans cependant rien trouver à redire sur ses décisions. Il donne depuis lors le sentiment de bricoler sur les détails sans challenger ses choix structurants. Au contraire, le manager qui anime un projet porteur de sens peut se reprendre parce que le plus important n’est pas qu’il ait raison mais qu’il serve l’aspiration du collectif qu’il dirige.

A tous les managers qui veulent comprendre comment une telle philosophie de leadership peut conduire à des résultats sans équivalent précisément parce qu’elle n’est pas obsédée par leur obtention, je recommande la lecture des mémoires de celui qui est peut-être le plus grand coach de l’histoire du football américain, Bill Walsh, dont j’ai publié une critique il y a sept ans sur Superception. Cet ouvrage porte un titre qui dit tout de la méthode qu’il recommande : “The Score Takes Care Of Itself“. Il y explique comment une organisation doit procéder pour que ses membres donnent leur meilleur sur la durée individuellement et collectivement.

Dans cette vision inverse de celle de Didier Deschamps, la recherche de la performance dicte le résultat au lieu que la recherche du résultat ne dicte la performance.

1 Un projet susceptible, par exemple, de faire jouer Samuel Eto’o arrière droit en demi-finale retour de la Ligue des Champions contre le FC Barcelone (avec l’Inter Milan en 2010).

6 commentaires sur “L’anti-leçon de management de Didier Deschamps”

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30 ans de victoires hallucinantes en tant que joueur puis entraîneur, aucune grosse crise de toute son histoire, puis récemment qques matchs nuls pas terribles à regarder, et la conclusion de ça c’est qu’il a obtenu toutes ses victoires simplement grâce à la chance et à la culture de la victoire?
sérieusement?
non mais vraiment, sérieusement?

Il a parfois fait des choix qu’on n’a pas trop compris en voyant ça de loin comme Sakho et son totem d’immunité, mais à part ça, que lui reprocher???
Le jeu à la barcelonaise c’était super classe mais ça a marché que qques années au final, ensuite les adversaires ont trouvé des solutions pour le neutraliser. Et puis surtout, ça nécessite quasiment une équipe entière de joueurs formattés à ce style de jeu depuis leur enfance, c’est absolument pas comparable à ce que peut mettre en place un sélectionneur d’équipe nationale qui dispose de son groupe quelques jours par an.

Vous pensez vraiment qu’il a amené des équipes aussi loin sans être capable de leur expliquer son projet de jeu?
Il a juste toujours refusé de s’en expliquer auprès du grand public, ça ne veut pas dire qu’il ne le fait pas auprès de ses joueurs.

S’il en a envie et qu’on lui en laisse le temps il va gérer cette mini crise actuelle comme le manager de génie qu’il est, et on applaudira des deux mains à nouveau dans quelques mois.

Bonjour Pierre,

Merci pour votre commentaire.

Si vous me le permettez, je voudrais apporter quelques remarques factuelles à son sujet :

– contrairement à ce que vous écrivez, je ne remets en cause le palmarès de Didier Deschamps ni comme joueur ni comme entraîneur dans mon article ;
– je n’écris pas non plus que ses succès sont dus à la chance ;
– je ne fais pas davantage référence au jeu à la barcelonaise. Mon allusion aux défaites de Pep Guardiola concerne Manchester City (il n’a quasiment pas perdu à Barcelone et n’y a donc pas été remis en cause). City est un cas très intéressant, précisément parce que le club n’est pas construit sur la formation de ses joueurs à la même culture de jeu depuis l’enfance ;
– il est possible pour des équipes nationales de concevoir et déployer un projet de jeu, comme le montrent plusieurs exemples dans l’histoire du football, le plus récent étant l’Italie de Mancini.

Par ailleurs, je n’avais jamais envisagé que Didier Deschamps soit masochiste. Votre théorie selon laquelle il aurait expliqué son projet de jeu à ses joueurs (auxquels il n’a même pas indiqué sans ambiguïté qui devait tirer les pénalties pendant l’Euro) mais refuserait de le présenter au grand public va m’amener à réfléchir à cette hypothèse.

Bien à vous.

Xophe

Merci pour cet analyse toujours fine Christophe.
Cela me ramène à un article très inspirant du rugbyman Jonny Wilkinson, le 2nd meilleur buteur de tous les temps. Il expliquait que pour obtenir ces statistiques phénoménales de réussite pour la transformation des pénalités, il se concentrait sur une seule chose : la maîtrise à la perfection de son geste, et non comme on aurait pu le croire le fait de marquer l’essai.
Il était là avant tout le monde à l’entrainement et restait tard après ses coéquipiers à tirer des pénalités pour “ancrer” le tir parfait.
Cette composante de la performance dépend de lui, alors que le fait que le ballon passe entre les poteaux ne dépend plus de lui ; les conditions atmosphériques pouvant faire varier le résultat entre autres.
L’analogie que je vois avec ton article, Christophe, est la nécessité pour un coach comme pour un manager de se concentrer sur la maitrise de la performance plutôt que sur le résultat, qui ne dépend pas en partie de nous. Se concentrer sur le résultat revient à appréhender le monde avec l’arrogance de penser que nous contrôlons l’ensemble des paramètres de l’équation.
Qu’en penses tu ?
Cordialement,
Michel

Bonjour Michel,

Je partage totalement cette vision que j’ai beaucoup développée sur Superception.

A ce sujet, beaucoup plus intéressant que mes articles sur Superception est le livre “The Score Takes Care Of Itself” où Bill Walsh, l’un des plus grands coaches de l’histoire de la NFL (football américain), explique sa philosophie du leadership, qui rejoint totalement l’approche de Johnny Wilkinson.

Excellente semaine.

Xophe

merci Christophe pour ce complément d’infos.
Est ce que ce livre existe en français ?
j’ai regardé rapidement, sans succès.

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