27 juillet 2020 | Blog, Blog 2020, Management | Par Christophe Lachnitt
L’éthique ne peut pas être une convenance personnelle
Pour le leader, l’expérience personnelle est un guide doucereux et un maître dangereux.
Il y a quelques jours, Ted Yoho, représentant républicain de l’Etat de Floride à la Chambre des Représentants, traita Alexandria Ocasio-Cortez, représentante démocrate de l’Etat de New York, de “putain de salope” (sic) en présence de journalistes.
Deux jours plus tard, Alexandria Ocasio-Cortez, ou AOC ainsi qu’elle est connue outre-Atlantique, répondit à Ted Yoho1 dans un remarquable discours. Que l’on adhère ou pas aux idées économiques et sociales de la plus jeune star de la politique américaine, il faut écouter son propos sur le sexisme et le racisme (voir la vidéo reproduite ci-dessous).
Dans cette allocution, elle reproche davantage encore à Ted Yoho ses explications que l’insulte qui les précéda. L’élu de Gainesville argua en effet qu’il était marié et avait deux filles pour défendre sa bienveillance à l’égard des femmes :
“M. Yoho a mentionné qu’il a une épouse et deux filles. J’ai deux ans de moins que la plus jeune de ses filles. Et je suis, moi aussi, la fille de quelqu’un. Heureusement que mon père n’est plus de ce monde pour voir comment M. Yoho a traité sa fille. Ma mère a vu à la télévision le manque de respect dont il fit preuve à mon endroit dans cet hémicycle. Si je prends ici la parole, c’est parce que je dois montrer à mes parents que je suis leur fille et qu’ils ne m’ont pas appris à accepter ce genre d’agression de la part des hommes.
Ce que je veux aussi dire est que le mal que M. Yoho a essayé de me faire n’est pas juste dirigé contre moi. En agissant ainsi à mon encontre, M. Yoho a donné la permission à d’autres hommes de se comporter de la même manière à l’égard de ses filles. En utilisant ce langage devant des représentants de la presse, il a donné la permission à d’autres de l’utiliser vis-à-vis de son épouse, de ses filles et des femmes de sa circonscription. Je suis ici pour dire que c’est inacceptable. […]
Je ne considère pas que le fait d’avoir une fille rende un homme digne. Etre marié n’est pas non plus gage de dignité. Ce qui rend un homme digne est de traiter les autres avec intégrité et respect“.
L’argument fallacieux employé par Ted Yoho et judicieusement réfuté par AOC me fit penser à la réaction qu’ont certains dirigeants politiques lorsque l’une de leurs convictions se confronte à leur réalité familiale. Deux cas de leaders conservateurs américains sont emblématiques à cet égard :
- Dick Cheney promut longtemps l’interdiction des homosexuels dans l’armée avant de prôner la liberté de choix à l’égard du mariage gay après que l’une de ses filles eut révélé son homosexualité.
- Rob Portman changea d’avis publiquement sur le mariage pour tous après que son fils lui eut appris son homosexualité.
Les politiques qui accomplissent ces volte-face les présentent comme une preuve d’ouverture. Elles sont à mon sens tout l’inverse, montrant que leur position politique ne devient gênante à leurs yeux que lorsqu’elle blesse l’un(e) de leurs proches. Leur revirement n’est pas tourné vers les autres et ne peut donc pas être considéré comme éthique : il est purement égoïste.
Il en va de même en management à l’égard d’enjeux certes moins importants : nous devons toujours prêter attention à ce que des décisions censément altruistes ne soient pas le cache-sexe d’un opportunisme. Pour le leader, l’expérience personnelle est un guide doucereux et un maître dangereux.
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1 Suite à ce pitoyable épisode, celui-ci fut contraint de démissionner du conseil d’administration d’une organisation chrétienne dont les membres considèrent qu’il ne peut plus incarner leurs valeurs.