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Toute vérité n'est que perception

Faute d’avoir connu un vrai sursaut, la démocratie américaine est encore en sursis

Joe Biden a certes remporté le scrutin présidentiel mais l’Amérique, elle, l’a perdu.

Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré.Christophe Lachnitt

Donald Trump a obtenu plus de voix dans cette élection présidentielle que lors du scrutin de 2016. Entre-temps, pourtant, il a miné les fondations démocratiques et éthiques de la démocratie américaine par ses décisions domestiques et diplomatiques, sa privatisation de l’appareil d’Etat à son profit politique et financier, ses plus de 25 000 mensonges ou contre-vérités et sa rhétorique permanente d’exclusion à l’encontre de ses opposants et, plus globalement, des Américains qui ne ressemblent pas à l’idéal qu’il se fait de ses concitoyens. Il a été incapable de gérer la crise sanitaire et économique générée par la pandémie du Covid-19. Celle-ci a déjà causé la mort de plus de 230 000 personnes outre-Atlantique et Donald Trump sera le premier Président américain depuis la Seconde guerre mondiale à avoir produit un solde net négatif du nombre d’emplois créés durant son mandat. Il aura également été le troisième Président américain à avoir été mis en accusation (“impeached”) par la Chambre des Représentants. De fait, comme je l’écrivais il y a quelques jours, il est sans conteste le plus mauvais Président américain depuis au moins 150 ans.

Faible de ce bilan, il aurait dû être rejeté dans les mêmes proportions que Herbert Hoover le fut en 19321. Or Donald Trump et le “trumpisme” n’ont pas été répudié dans cette élection : le Républicain est certes seulement le sixième Président dans l’histoire américaine à ne pas avoir été réélu pour un second mandat – et le seul à avoir perdu le vote populaire deux fois – mais il a recueilli le deuxième plus grand nombre de voix jamais obtenu par un candidat à la Maison-Blanche. L’Amérique n’a donc pas connu le sursaut civique que beaucoup espéraient et n’a pas signifié aux éventuels avatars de Donald Trump que la tentative autoritariste de l’ancien promoteur immobilier ne devait pas avoir cours en son sein. Dès lors, la démocratie américaine est encore en sursis.

Dans ce contexte, je vous propose cinq enseignements de l’élection qui va porter Joe Biden à la Maison-Blanche pour accomplir un mandat d’une difficulté sans précédent depuis au moins la Présidence de Franklin D. Roosevelt.

1. Le système démocratique américain est caduc

Entre 1892 et 1996, le candidat qui gagna le vote populaire fut toujours élu Président des Etats-Unis. Puis, en 2000 et 2016, George W. Bush et Donald Trump accédèrent au Bureau ovale en ayant obtenu moins de voix dans l’ensemble du pays qu’Al Gore et Hillary Clinton. Or le rapport des forces dans la composition du collège des 538 grands électeurs qui élisent le Président américain induit que ce phénomène pourrait de nouveau se produire lors des prochains scrutins.

En réalité, le système du collège électoral est dépassé. Il faut d’ailleurs revenir à ses origines pour réaliser les circonstances de sa mise en place et, partant, sa caducité : il permit notamment d’augmenter le pouvoir des Etats du Sud grâce à la règle des trois cinquièmes qui stipulait que les esclaves, plutôt que d’être complètement ignorés, compteraient pour trois cinquièmes d’une personne dans la représentation politique de leur Etat (la population des Etats définit leur poids respectifs à la Chambre des Représentants et dans le collège électoral). De même, la règle du “winner takes all” (le candidat qui remporte le plus de voix dans un Etat est considéré en avoir remporté toutes les voix) fut instaurée en partie pour empêcher les populations noires de bénéficier d’un droit de vote les représentant équitablement et favoriser les habitants blancs des régions rurales. Dans les années 1960 et 1970, l’équité du collège électoral fut remise en cause dans le cadre du mouvement des droits civiques et l’évolution de son fonctionnement présentée comme l’une des dernières mesures majeures de démocratisation du pays. Mais une tentative de réforme fut alors bloquée par les membres ségrégationnistes du Sénat des Etats-Unis.

A cet égard, G. Elliott Morris, spécialiste de l’analyse des résultats électoraux, estimait hier sur Twitter que l’écart entre le vote populaire et le point de basculement du collège électoral pour l’élection présidentielle devrait être de 4 ou 5 points de pourcentage dans ce scrutin et que les futurs redécoupages de districts à l’initiative des Républicains pourraient le porter à 6 ou 7 points en 2024.

Au-delà du collège électoral, les Républicains bénéficient aussi d’un atout indu au Sénat car la chambre haute surreprésente les territoires ruraux : chaque Etat, quels que soient sa taille et sa population, y compte deux représentants. Ainsi, par exemple, si la ville de New York était découpée en quatorze Etats, chacun de ces Etats aurait-il plus d’habitants que le Wyoming. L’Etat de New York, pourtant, compte deux sénateurs tout comme le Wyoming. Du fait de ce phénomène, le Parti républicain profite de nos jours d’un avantage d’environ 6-7 points de pourcentage dans la composition du Sénat en fonction du vote des électeurs.

Une autre mesure du déséquilibre électoral qui favorise les Républicains peut être trouvée dans la composition de la Cour suprême des Etats-Unis : les Présidents républicains ont nommé 15 de ses 19 derniers membres bien que leur parti ait perdu le vote populaire dans six des sept derniers scrutins présidentiels.

Aujourd’hui, le pays est confronté à une réalité démographique incontournable : dès cette année, les enfants blancs (de moins de 18 ans) seront minoritaires outre-Atlantique et, au cours des années 2040, l’ensemble de la population blanche se trouvera dans la même situation. Plutôt que de s’adapter et de contribuer à l’évolution de la Nation américaine, le parti de Lincoln privilégie un repli identitaire en faisant jouer les avantages électoraux que lui confère le système institutionnel américain, avantages qu’il amplifie en changeant les règles électorales (redécoupage électoral, suppression des votes des minorités…) grâce à ses positions de force locales et nationales.

Or le pays, plus polarisé qu’il ne l’a été depuis cent cinquante ans, n’est pas en état de conduire une réforme consensuelle à ce sujet.

2. La démocratie américaine résiste malgré tout à la tentative (incompétente) de coup d’Etat de Donald Trump

Cette semaine, le Président Trump demanda à ce que le décompte des voix fût arrêté dans les Etats où il était en tête et risquait d’être rattrapé par Joe Biden une fois l’ensemble du dépouillement réalisé et à ce qu’il fût poursuivi dans les Etats où la situation inverse se présentait. Il expliqua aussi qu’il comptait en appeler à la Cour suprême (ce qu’il ne peut d’ailleurs pas faire dans les conditions qu’il exposa) et s’attendait à ce que les juges qu’il y avait nommés décidassent du résultat de l’élection en sa faveur2. Il affirma que, si les seuls votes “légaux” étaient comptabilisés, il l’emporterait aisément contre Joe Biden, soutenant ainsi que tout vote exprimé pour son adversaire est illégal. Il maintient d’ailleurs toujours, à l’heure où j’écris ces lignes, qu’il a remporté le scrutin, continuant de discréditer le processus démocratique.

Les assertions de Donald Trump quant à des manipulations sur le comptage des votes et sur le fait que recenser les votes après le jour du scrutin signale que ces votes ont été créés de toutes pièces pour faire triompher Joe Biden sont d’autant moins crédibles que le scrutin a favorisé beaucoup de Républicains dans les autres élections tenues mardi dernier et que les Etats concernés par ses hallucinations complotistes sont dirigés par des conservateurs qui ont donc supervisé le décompte des voix. Jamais autant qu’au cours des derniers jours, hormis peut-être lors du premier débat qui l’opposa à Joe Biden le 30 septembre dernier, Donald Trump n’aura-t-il exposé au monde entier ses troubles psychiques.

Fort heureusement, il se montre aussi incompétent dans sa tentative de coup d’Etat qu’il l’a été dans sa gestion de la pandémie du Covid-19 ou des relations des Etats-Unis avec la Corée du Nord. Et les Pieds nickelés qui le soutiennent (Pam Bondi, Rudolph Giuliani, Corey Lewandowski…) n’ont rien à voir avec l’équipe menée par James Baker qui fit prévaloir George W. Bush lors du recompte des voix de Floride en 2000.

Dans ce contexte, il faut également se réjouir du fait qu’il n’y ait pas eu d’actes de violence à déplorer jusqu’à présent, notamment parce que la police arrêta deux individus adeptes de la conspiration QAnon avant qu’ils n’attaquent le local où les votes des habitants de Philadelphie étaient dénombrés.

L’échec de la tentative de Donald Trump de transformer la plus vieille démocratie du monde en république bananière ne doit cependant pas faire oublier qu’il la pervertit en profondeur : des millions d’Américains croient que Joe Biden a volé l’élection et cette situation ne peut que contribuer à rendre le pays ingouvernable par le futur Président.

Donald Trump va certainement continuer d’entretenir cette fiction après l’entrée en fonction de Joe Biden et s’en servir pour alimenter ses espoirs de reconquérir la Maison-Blanche en 2024 ou d’y porter l’un de ses héritiers (biologiques ou politiques). Ce cycle électoral a d’ailleurs signalé que le “trumpisme” est peut-être d’autant plus dangereux politiquement qu’il n’est pas incarné par son créateur. La plus grande victoire de ce dernier, qu’il est incapable de percevoir, est d’avoir réorienté idéologiquement l’un des deux grands partis américains. Le Parti républicain est désormais plus autoritariste, plus nationaliste, plus anti-immigration, plus raciste, économiquement moins libéral (au sens français du terme) et plus protectionniste, résolument plus anti-science et socialement plus conservateur encore qu’il ne l’était avant 2015.

Les Etats-Désunis – (CC) iStock/Politico

3. Les Républicains ont franchi un nouveau palier dans leur descente vers l’immoralité

Presque aucune voix d’élus républicains de premier plan n’a retenti depuis mardi pour contrecarrer les délires conspirationnistes et les perversions démocratiques énoncés par Donald Trump. Et les principaux leaders du Parti, du Vice-Président Mike Pence au patron de la majorité républicaine au Sénat Mitch McConnell en passant par le chef de la minorité républicaine à la Chambre des Représentants Kevin McCarthy, ont émis des messages qui, sans reprendre toutes les théories conspirationnistes de Donald Trump, en diffusent hypocritement la teneur. A vouloir préserver leur popularité auprès des “trumpistes” tout en se ménageant un avenir dans le système politique américain, ils ont oublié de sauvegarder leur démocratie. En effet, il est impossible de trouver un compromis entre les mensonges de Donald Trump et la vérité des résultats du scrutin démocratique qu’il nie.

Nombre d’autres figures conservatrices, au premier rang desquelles Lindsey Graham (pourtant président de la Commission judiciaire du Sénat et qui devrait donc être garant du respect du droit) et Newt Gingrich (ancien Président de la Chambre des Représentants), ont propagé sans vergogne les théories conspirationnistes de Donald Trump sur le scrutin.

En réalité, le Parti républicain n’a pas récusé, à de très rares exceptions près, les manoeuvres anti-démocratiques de Donald Trump. Ses “responsables” ne sont ainsi pas à la hauteur du comportement adopté par leurs devanciers face à Richard Nixon en 1974. Il faut dire que, à l’époque, les élus républicains pâtissaient auprès de leurs électeurs des agissements de leur Président. A contrario, cette semaine, nombre de conservateurs, au premier rang desquels John Cornyn (Texas), Steve Daines (Montana), Joni Ernst (Iowa) et le susnommé Lindsey Graham (Caroline du Sud), ont été (ré)élus au Congrès en raison de leur indéfectible soutien au Président depuis quatre ans3. La conclusion est donc claire pour les Républicains : le “trumpisme” représente leur meilleure voie vers le pouvoir.

Une défaite cuisante de Donald Trump et de ses comparses aurait pu amener le Parti républicain à revisiter son approche politique. L’échec relatif que le Président a enregistré et les nombreux succès de ses partisans dans les autres scrutins rendent cet examen de conscience beaucoup plus improbable. Le “trumpisme” n’est plus un accident de parcours justifié par la haine ressentie à l’égard de Hillary Clinton : il est le courant dominant du Parti républicain.

Pour l’adopter, les conservateurs ont renoncé non seulement à leurs valeurs morales mais aussi à leurs principes politiques (le rôle limité du gouvernement fédéral, l’austérité fiscale, la liberté du commerce, l’influence prédominante des Etats-Unis sur la sécurité mondiale, le respect des valeurs chrétiennes, la responsabilité individuelle…).

Cette capitulation du Parti républicain ouvre la voie à Donald Trump pour conserver une forme de leadership sur ses électeurs. L’inventaire que son propre camp va dresser de sa performance déterminera si le Président parviendra à conserver son magistère ou si un autre leader incarnera le “trumpisme” dans les prochaines années.

4. Les Démocrates doivent également mener une introspection implacable

Le Parti démocrate est aujourd’hui de plus en plus identifié comme le parti des élites plutôt que celui de la classe moyenne et des personnes modestes ainsi qu’il le fut longtemps. Une partie significative de celles-ci ont voté pour Donald Trump contre leur propre intérêt.

Dans “Prêt-à-penser et post-vérité“, le livre que j’ai consacré il y a un an à la menace posée par la révolution numérique à la démocratie, j’écrivais à ce sujet :

La principale responsabilité de Barack Obama dans la victoire de Donald Trump est de ne pas avoir davantage géré les conséquences sociétales de la crise financière de 2007-2008 et tenté de neutraliser ce massacre de niveau de vie (et d’estime de soi) : aujourd’hui, 39% des adultes américains seraient mis en grande difficulté par une dépense imprévue de 400 dollars.

L’organisation non gouvernementale United for Alice décortique les données économiques publiées par le gouvernement américain afin de mettre en exergue la situation des ménages américains en état d’Asset Limited, Income Constrained, Employed (d’où l’acronyme ALICE) : ils ont peu d’actifs (ou le plus souvent des dettes), des revenus minimaux, et ce alors même qu’ils occupent un ou plusieurs emplois. La dernière étude en date d’United for Alice signale que 43% des ménages américains n’ont pas les moyens de payer leurs frais de logement, nourriture, garde d’enfants, santé, transport et utilisation d’un téléphone mobile. En d’autres termes, presque la moitié des familles américaines ne peuvent pas subvenir aux besoins élémentaires de leur vie quotidienne. Cette frange de la population comprend 16,1 millions de ménages qui vivent en situation de pauvreté et 34,7 millions qui chancellent de la classe moyenne dans la pauvreté.

Alors que les salaires de la classe moyenne stagnent, ses conditions d’existence se dégradent au rythme de l’augmentation du coût de la vie : en termes nominaux, les revenus des ménages américains ont augmenté de 135% entre 1987 et 2017 alors que les coûts moyens des habitations, soins médicaux et études supérieures dans les universités publiques augmentaient respectivement de 188%, 276% et 549%.

Dès lors, il n’est pas étonnant que seulement 37% des Américains pensent que leurs enfants seront mieux lotis qu’ils ne le sont, une situation antinomique du rêve consubstantiel à la psyché américaine depuis l’origine de cette nation. En réalité, la crise financière de 2007-2008 a accéléré la scission des Etats-Unis en deux sociétés, l’une ultra-minoritaire et hyper-riche, l’autre constituée d’une classe moyenne en dépression et d’une classe pauvre en constante extension”.

Certes, Barack Obama fut un Président exemplaire sur le plan éthique et cette exemplarité n’est que plus remarquable à l’aune des dérives de Donald Trump dans ce domaine. Certes, il fit passer, malgré l’obstructionnisme républicain, la réforme de l’assurance-maladie qui, bien qu’imparfaite, représente un progrès social majeur. Certes, ses mandats représentèrent une évolution exceptionnelle dans l’histoire d’un pays marqué par le racisme4. Mais il n’en demeure pas moins qu’ils constituèrent également une déception, dans la gestion des priorités financières, économiques et sociales des Etats-Unis, à l’égard des objectifs de justice dont ils étaient porteurs et que ce manquement explique en partie l’émergence du “trumpisme”.

En outre, à force de considérer que certaines catégories démographiques et socio-économiques leur étaient acquises, même lorsqu’ils s’éloignaient de leurs préoccupations, les Démocrates finirent par les perdre. Cela vaut notamment pour les populations blanches non-éduquées à l’université. Cela vaut aussi, de manière peut-être plus paradoxale encore, pour les Latinos. Les gains de Donald Trump auprès de ces derniers cette semaine (notamment chez les Américains d’origine cubaine en Floride et ceux d’origine mexicaine au Texas) constituent un énième rappel à l’ordre à cet égard. Espérons que, cette fois, il sera salvateur.

Le relèvement du Parti démocrate passera par l’écoute des Américains qui, aujourd’hui, le rejettent car ils se sentent méprisés par lui. L’excommunication symbolique des électeurs de Donald Trump, toute compréhensible qu’elle soit sur le plan moral, ne peut plus constituer une stratégie politique s’il s’agit de réunifier le pays. A cet égard, lorsque Alexandria Ocasio-Cortez, la jeune et admirable star de la gauche américaine, déclare que l’élection qui vient de se dérouler ne mettait pas aux prises “deux candidats mais deux pays“, elle ne rend pas service à Joe Biden. Mais, surtout, elle ne contribue pas à faire avancer l’Amérique. Celle-ci a besoin de bâtisseurs de ponts politiques, pas d’architectes de murs idéologiques.

5. La démocratie américaine est toujours au bord de l’abîme autoritaire

Alors que la Constitution américaine est fondée sur un esprit de compromis et de collaboration entre les différentes parties prenantes du système politique, la polarisation qui prévaut de manière croissante depuis une vingtaine d’années, surtout côté républicain, rend cette pratique de plus en plus difficile. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans conséquences pour l’Amérique : le PNB des Etats-Unis, qui équivalait en 2000 à plus de huit fois celui de la Chine, n’en représente que moins d’une fois et demie la valeur aujourd’hui.

En 2008, lorsque Barack Obama fut élu Président, Mitch McConnell, patron de la minorité républicaine au Sénat, déclara que son premier objectif serait que le nouveau Président ne puisse réaliser qu’un seul mandat à la Maison-Blanche. Il se définit ensuite par sa politique d’obstruction à toute initiative démocrate, approche qu’il intensifia davantage encore après avoir pris le contrôle du Sénat lors des élections de 2014. Aujourd’hui, alors que les Républicains sont en position de toujours contrôler le Sénat (le sort de la chambre haute du Congrès sera décidé en janvier lors de deux votes en Géorgie5) et que le Parti s’est significativement radicalisé ces douze dernières années, les relations de l’exécutif avec la branche législative du gouvernement américain menacent d’être encore plus délicates.

De ce fait, Joe Biden et les Démocrates risquent d’aborder les prochaines élections nationales en situation de faiblesse si leur bilan est limité par le barrage conservateur au Sénat. Les Républicains pourraient ainsi faire basculer la Chambre des Représentants (où les Démocrates ont enregistré une perte nette d’au moins cinq sièges cette semaine) en 2022 et neutraliser encore plus la seconde moitié du mandat de Joe Biden. Une nouvelle tentation républicaine autoritariste pourrait alors voir le jour en 2024 et un césariste plus compétent que Donald Trump porter des coups plus définitifs à la démocratie américaine.

Il est cependant des motifs d’espoir. L’Amérique, en particulier, a toujours fait montre d’une capacité de réinvention peu commune. Sa capacité à faire émerger de nouvelles figures aux parcours originaux dans son personnel politique est au coeur de cette faculté de rebond. A cet égard, je voudrais, comme un symbole, vous présenter une personnalité que j’ai découverte durant les opérations de décompte des votes : Jocelyn Benson, Secrétaire d’Etat du Michigan. Agée de 43 ans, elle est diplômée des universités d’Oxford, où elle mena des recherches sociologiques sur le suprémacisme blanc et le nazisme, et de Harvard, où elle fut rédactrice en chef de la revue maison sur les droits civiques. Elle fut nommée à 36 ans doyenne de l’université de droit de Wayne (Détroit), devenant la plus jeune dirigeante de tous les temps de l’une des cent premières écoles de droit américaines. Elle s’est investie tout au long de son parcours dans la participation politique des plus démunis et le combat pour l’égalité des droits. Parachèvement extracurriculaire d’un parcours peu commun, elle a terminé pas moins de vingt-trois marathons, dont un alors qu’elle était enceinte de huit mois. C’est la force de la Société américaine de motiver des personnes aussi accomplies à s’investir dans la vie civique. C’est une future génération de leaders incarnée par des personnalités telles que Jocelyn Benson qui pourra peut-être sortir l’Amérique du marasme politique et moral dans lequel elle se trouve aujourd’hui.

En attendant que ce redressement soit durablement réalisé, la démocratie américaine ne peut plus être prise pour acquise. Il faut à cet égard rappeler les mots écrits par l’ancien élu de Géorgie et grand leader des droits civiques John Lewis dans le texte qu’il publia il y a quelques mois de manière posthume :

La démocratie n’est pas un état de fait. C’est une action. Chaque génération doit prendre sa part pour contribuer à la constitution de ce que nous avons appelé la communauté bien-aimée, une nation et une société mondiale en paix avec elles-mêmes“.

1 Il n’avait remporté que six Etats, soit 59 grands électeurs, et moins de 40% du vote populaire.

2 L’une de ses avocates déclara également sur Fox News : “Nous attendons que la Cour suprême des Etats-Unis, dont le Président a nommé trois membres, intervienne et fasse quelque chose. Et, espérons-le, Amy Coney Barrett nous rendra la pareille“.

3 Incidemment, ce cycle électoral a de nouveau démontré que, même aux Etats-Unis, l’argent ne garantit pas le succès dans les urnes. Ainsi, plusieurs candidats (démocrates) furent-ils défaits malgré des investissements financiers considérables : Sara Gideon (Maine, 70 millions de dollars), Jaime Harrison (Caroline du Sud, 109 millions de dollars), MJ Hegar (Texas, 24 millions de dollars) et Amy McGrath (Kentucky, 90 millions de dollars).

4 A cet égard, l’accession de Kamala Harris à la Vice-Présidence des Etats-Unis est aussi un merveilleux symbole : lorsqu’elle vit le jour en 1964, les femmes noires américaines n’avaient pas le droit de voter.

5 Aucun des candidats à ces deux élections n’ayant pu obtenir plus de 50% des voix, elles verront, selon la loi électorale de cet Etat, l’organisation d’un deuxième tour (“runoff”) le 5 janvier.

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