24 janvier 2021 | Blog, Blog 2021, Communication | Par Christophe Lachnitt
Larry King, ce rare intervieweur qui ne voulait pas répondre aux questions qu’il posait
La légende américaine n’avait a priori rien pour être un grand intervieweur. Et c’est pourquoi il fut le meilleur.
Autant vous le dire d’emblée, j’avais une tendresse particulière pour Larry King. Il n’était ni un génie ni un saint mais l’histoire de sa vie, sa distance avec lui-même, son regard sur son métier, son humour et, il faut bien le dire, son charisme suscitèrent durablement mon intérêt.
Il faut dire que l’homme qui conduisit plus de 50 000 interviews – à la radio puis à la télévision – en 60 ans avait certainement plus à dire sur son propre vécu que beaucoup de celles et ceux qu’il interrogea. Son parcours, qu’il raconte dans ses formidables mémoires, est en effet digne d’un roman.
Fils d’émigrés biélorusses, Lawrence Harvey Zeiger fut élevé dans la pauvreté à Brooklyn, et ce plus encore consécutivement à la mort de son père alors qu’il était enfant. Il commença à travailler dès après le lycée pour aider financièrement sa mère. Comme il rêvait de travailler à la radio, il lui fut conseillé de se rendre en Floride, à l’époque un marché médiatique en plein essor où un débutant aurait davantage de chances de percer. Il fut d’abord l’homme de ménage d’une petite station avant d’être mis à l’antenne, en 1957, à la suite du départ d’un disc-jokey, et d’adopter alors le nom de Larry King. Il commença quelque temps plus tard à réaliser des interviews pour une autre station, toujours à Miami, puis s’imposa à la télévision locale. Son ascension fut interrompue en raison de problèmes financiers et judiciaires résultant de sa passion dévorante pour les paris. Il remit progressivement sa vie en ordre et retrouva une antenne. Son programme local fut diffusé à l’échelle nationale à partir de 1978. Puis, en 1985, il fut recruté par Ted Turner pour animer “Larry King Live” en primetime sur CNN. Il tint aussi durant une vingtaine d’années une chronique hebdomadaire dans USA Today dans laquelle il partageait ses leçons de vie et pensées hétéroclites (par exemple, “est-ce que les éléphants souffrent de la maladie d’Alzheimer ?“). A la fin de sa collaboration avec le quotidien, il trouva refuge sur Twitter.
Ce bref résumé ne rend pas compte des multiples rebondissements et aventures qui marquèrent son existence, lesquels nourrirent son talent de conteur de mille et une anecdotes – réelles ou apocryphes.
C’est peut-être cette vie hors du commun qui le porta à s’intéresser à l’expérience des personnes qu’il questionnait davantage qu’à la substance de leur activité. A cet égard, le célèbre journaliste Ted Koppel définit joliment la différence entre sa propre approche traditionnelle de son métier et celle de Larry King : “S’il y avait un incendie et que Larry King et moi nous rendions sur place, j’interpellerais le pompier que nous rencontrerions : ‘Qu’est-ce qui a causé l’incendie ?‘ tandis que King lui demanderait : ‘Pourquoi êtes-vous devenu pompier‘ ?“
Larry King avait un brevet de l’école de la vie mais il n’étudia pas à l’université. Pourtant, il ne fut jamais tenté, comme certains autodidactes, de compenser son absence de titres en intellectualisant sa démarche. Son domaine de compétences était le vécu de ses interviewés et c’est certainement ce qui rendit ses émissions si populaires : il ne prit personne de haut, ne chercha jamais à prétendre être ce qu’il n’était pas.
C’est aussi la raison pour laquelle il ne préparait pas excessivement ses interviews : il voulait aborder chaque invité avec une vraie curiosité et poser des questions auxquelles il n’avait pas les réponses. Cette spontanéité lui permettait de se mettre à la place du public et de découvrir des informations sur son interlocuteur au même rythme que ses auditeurs ou téléspectateurs. Il ne lisait d’ailleurs pas les livres publiés par ses invités pour la même raison : il ne voulait pas en savoir davantage sur eux que ceux dont il se faisait l’intermédiaire.
C’était aussi une manière pour lui de renouveler son intérêt pour chaque entretien qu’il conduisait et de proposer à son public des dialogues plus authentiques que les interviews avec des acteurs de l’actualité en promotion permanente de leurs programmes politiques ou créations artistiques auxquels les médias nous condamnent. Cette approche ingénue produisit certains moments culte, dont le plus célèbre est probablement son interaction avec Jerry Seinfeld au sujet de la fin de sa série éponyme :
De fait, les interviews de Larry King étaient davantage des conversations que des interrogatoires. Comme le montre la vidéo reproduite au début de cet article, cela n’empêcha pas celui qui ne prétendait pas être un journaliste de réaliser des entretiens exclusifs avec nombre de dirigeants politiques et d’obtenir des informations de première main. Même si cette approche ne fonctionne pas avec les invités les plus retors, il montra qu’il n’est pas toujours nécessaire d’être agressif pour être un intervieweur exigeant : mettre son invité à l’aise était sa manière de lui faire baisser sa garde et se révéler. C’est ainsi, par exemple, qu’il amena Dan Quayle, alors Vice-Président républicain (et très conservateur sur les sujets de société), à affirmer qu’il soutiendrait sa fille si celle-ci décidait de subir un avortement, déclenchant une tempête politique dans son camp.
Ce qui rendait la maïeutique de Larry King possible était son sens de l’écoute. Il considérait que la vraie star de son émission était son invité et que son rôle était simplement de lui poser les questions que son public, s’il en avait la possibilité, lui poserait. Dans un entretien, il expliqua à ce sujet : “Je suis toujours absorbé par mon invité. Je suis toujours à l’écoute de sa réponse. Je suis toujours en train d’apprendre“. Dans un autre de ses livres de mémoires, il développa cette conviction : “Beaucoup d’intervieweurs récitent des faits pendant trois minutes avant de poser une question pour exhiber leur savoir. Pour ma part, je considère que l’interviewé est l’expert“. Il privilégiait d’ailleurs les questions courtes, sa relance favorite étant “pourquoi ?”.
C’est en définitive la leçon de journalisme qu’il faut retenir de Larry King, qu’il résumait dans une formule qui constitue d’ailleurs une leçon de vie au-delà du métier d’intervieweur :
“Je n’ai jamais rien appris en parlant“.
Alors que, de nos jours, la plupart des intervieweurs s’imaginent en éditorialistes et sont plus intéressés par leurs idées que par celles de leurs interlocuteurs, Larry King n’eut jamais la prétention de répondre aux questions qu’il posait à ses invités. Il fut toujours repu de les interroger et de les écouter pour enchaîner avec la meilleure relance possible.
Sa curiosité était sa boussole et l’aimant de son public.