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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Management : la tech doit-elle donner l’exemple ?

L’industrie au sein de laquelle toutes les entreprises cherchent les recettes pour inventer le monde de demain peut-elle continuer de manager ses équipes comme avant-hier ?

Il y a quelques jours, Brian Armstrong, le cofondateur et patron de Coinbase, l’une des principales plates-formes d’échange de cryptomonnaies, commenta sur Twitter la crise qui avait éclaté au sein de son entreprise : une pétition anonyme y demandait la mise à l’écart de la directrice des opérations, du directeur des produits et du directeur des ressources humaines en raison à la fois de leurs résultats déplorables dans leurs fonctions respectives et de leur attitude vis-à-vis de leurs équipes.

Loin de faire preuve d’empathie et d’essayer de comprendre les raisons de cette initiative, Brian Armstrong la cingla sur le réseau de micro-blogging : “C’est vraiment stupide à plusieurs niveaux“. Puis, il mit en avant dans quinze tweets maintes explications plus ou moins crédibles pour expliquer cette fronde en gardant toutefois de se remettre en question. Le tweet qui résume le mieux sa pensée pose la question suivante : “Si vous n’avez pas confiance dans les dirigeants ou le PDG d’une entreprise, pourquoi y travaillez-vous ? Démissionnez et trouvez une entreprise dans laquelle vous croyez !

Cette diatribe signale une vision du management aussi arrogante que dépassée dans laquelle les collaborateurs d’une entreprise ne contribuent pas à son progrès : les dirigeants y sont en effet tout puissants et les salariés ne peuvent ni pointer les défauts de l’organisation ni proposer des idées pour les corriger. Brian Armstrong incarne le marche ou crève à l’ère du numérique, ce qui constitue un contresens absolu étant donné que, dans tous les secteurs de la Société, la révolution numérique a rendu plus horizontales les relations entres détenteurs de pouvoir et ceux sur lesquels ils exercent cette autorité. Non seulement Brian Armstrong révèle-t-il sa prétention à l’infaillibilité mais en outre interdit-il à Coinbase de puiser dans l’infini réservoir de l’intelligence individuelle et collective de ses collaborateurs. Pis encore, il accomplit cette calamité managériale en public, indiquant le plus clairement possible à tous les talents que rejoindre Coinbase signifierait renoncer à faire jouer leur talent et leurs compétences.

Mais l’aspect le plus grave est peut-être que Brian Armstrong ignore dans sa litanie de tweets que l’adhésion à la raison d’être et la stratégie d’une entreprise ne vaut pas quitus de sa culture et de son management : la contradiction entre l’envie représentée par les premières et le rejet suscité par les seconds est d’ailleurs plus douloureuse pour les collaborateurs concernés qu’une situation où l’ensemble des facteurs d’engagement d’une entreprise est décourageant et où la déception est donc moins importante entre promesse et réalité.

Brian Armstrong – (CC) Zachary Scott

L’attitude de Brian Armstrong illustre la pratique en vigueur au sein du secteur des nouvelles technologies où des fondateurs d’entreprise qui se croient omniscients érigent des cultures égocentrées, autoritaires et, parfois même, immorales. Certains furent ainsi menés à leur perte – on peut penser récemment à Elizabeth Holmes, Travis Kalanick et Adam Neumann – mais beaucoup ont prospéré et donné la délétère impression que cette approche était une condition de leur succès.

De nos jours, le plus célèbre modèle de ce mythe est aussi le plus génial entrepreneur de sa génération (et peut-être de toutes les générations) : Elon Musk. Si la liste de ses réalisations excède incomparablement celle de Brian Armstrong, leur méthode managériale est exactement la même. Ainsi SpaceX a-t-elle licencié, il y a quelques jours, au moins cinq collaborateurs qui furent à l’origine d’une lettre ouverte aux dirigeants de l’Entreprise critiquant le bruit médiatique fait par Elon Musk, dont ils considèrent que la marque personnelle est “une distraction et un embarras” pour Space X, et demandant que la culture de l’Entreprise soit plus inclusive et que les comportements inacceptables y soient combattus. Il s’agit d’ailleurs de problèmes qui semblent aussi gangréner Tesla.

Ce qui est frappant dans les cas du maître Musk et de l’élève Armstrong est leur similaire aveuglement à leurs contradictions respectives : de même qu’Armstrong explique dans la série de tweets où il qualifie certains de ses collaborateurs de stupides que la culture de Coinbase est de faire des compliments en public et critiquer en privé, Musk licencie des collaborateurs pour leurs propos dans une lettre ouverte à quelques heures de l’emphase qu’il met sur la liberté d’expression lors de sa rencontre avec les collaborateurs de Twitter. Les contradictions ont la même valeur chez ceux qui se considèrent infaillibles que les promesses aux yeux de Jacques Chirac : elles ne concernent que ceux qui les entendent, pas ceux qui les profèrent.

Le problème est que le lustre du secteur des nouvelles technologies et le culte de ses fondateurs jupitériens créent un lien de causalité dévastateur entre leurs dérives managériales et leurs extraordinaires succès en matière d’innovation et de résultats économiques. En outre, le storytelling médiatique développé autour de ces génies dont les intuitions et les méthodes de management sont également implacables occulte les entreprises qui conjuguent performance financière et épanouissement de leurs collaborateurs, telles qu’Adobe, Qualtrics, Salesforce, Starbucks ou Microsoft sous Satya Nadella.

De fait, l’un des plus grands défis que l’industrie des nouvelles technologies doit relever dans les prochaines années consiste à associer en son sein et dans l’esprit populaire valorisation boursière et valeurs humaines. Cela l’amènerait certainement à changer le monde autant que ses innovations les plus formidables.

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