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Toute vérité n'est que perception

Responsabilité : trop d’Erostrate modernes gangrènent notre démocratie

A l’emprise du cynisme sur les dirigeants répond la crise du civisme au sein du peuple.

C’est une dérive qui concerne tous les partis politiques français sans exception, comme le signalent, pour ne considérer que ses manifestations les plus récentes, l’élargissement du porte-feuille ministériel de Gérald Darmanin (qui inclut désormais l’outre-mer et les collectivités territoriales en complément de l’intérieur), après qu’il a mal géré la sécurisation de la finale de la Champions League au Stade de France et, pis encore, menti éhontément à son sujet (en faisant ou laissant, de surcroît, détruire les preuves vidéo de son impéritie), ainsi que le comportement de la France insoumise, qui cloue au piloris tous les politiciens soupçonnés d’inconduite avec des femmes mais crie au complot quand les accusés sont issus de ses rangs. Chaque semaine nous apporte de nouveaux exemples de ces renoncements éthiques. Lorsque presque plus rien n’a de conséquence, plus grand-chose n’a de sens. Dans ce contexte, il est impossible pour notre Etat d’incarner l’autorité indispensable à toute vie en société. Or, comme l’a souligné Arisitide Briand, “plus que tout autre régime, la démocratie a besoin de l’exercice de l’autorité“.

Trop souvent, on assiste au même processus : des candidats se font élire en prétendant être les seuls capables d’assumer les responsabilités qu’ils guignent puis fuient ces mêmes responsabilités aussitôt qu’ils les ont conquises. Leur service de l’Etat, qui procède censément de leur sens de l’intérêt général, s’efface alors devant la préservation de leur intérêt personnel : ils sont prêts à mettre le feu à notre méritocratie pour satisfaire leur soif de pouvoir comme Erostrate embrasa le temple d’Artémis pour étancher sa soif de célébrité.

Ce faisant, ils donnent un exemple d’impunité déplorable aux Français et corrompent chaque jour davantage l’image que ces derniers ont de la classe politique et de la démocratie. Ainsi un récent sondage montre-t-il qu’un Français sur deux estime que la démocratie française fonctionne mal, que 41% de nos concitoyens considèrent que “voter ne sert pas à grand-chose” et que 30% seraient prêts à voir leurs libertés un peu réduites “si cela permettait au gouvernement d’être plus efficace“. De fait, l’impudence des responsables politiques nourrit leur inefficacité, laquelle alimente l’abstention. A l’emprise du cynisme sur les dirigeants répond la crise du civisme au sein du peuple. Lorsque les problèmes ne sont pas solutionnés et que les incompétents et les improbes ne sont pas sanctionnés, la démocratie redevient une monarchie dans laquelle la classe politique a remplacé la noblesse.

Il faut reconnaître que ce phénomène n’est pas nouveau. Déjà, à la fin du vingtième siècle, Jean-François Revel confiait-il dans ses formidables mémoires (“Le voleur dans la maison vide”) que, si Montesquieu considérait dans “L’esprit des lois” le régime anglais comme “une nation où la république se cache sous la forme de la monarchie“, on pourrait définir la France de la Vème République comme “une nation où la monarchie se cache sous la forme de la république“. L’évolution de nos institutions et la balkanisation et l’accélération du traitement médiatique de l’actualité ont contribué à aggraver cette déliquescence.

En 356 avant J.C., Erostrate mit le feu au temple d’Artémis à Ephèse, considéré comme l’une des sept merveilles du monde. Il expliqua son acte par sa volonté de devenir célèbre et son absence de tout autre moyen pour atteindre cet objectif – (CC) Image créée par l’intelligence artificielle Craiyon

Il convient de souligner que le monde corporate est davantage préservé de cette dérive que l’univers politique. C’est particulièrement vrai des entreprises cotées, dont les dirigeants doivent assumer les répercussions de leurs paroles et leurs actes. Carly Fiorina, l’ancienne PDG de Hewlett-Packard devenue candidate à la primaire républicaine pour la Maison-Blanche, expliqua ainsi en 2015 à ses rivaux lors d’un débat télévisé que, si le patron d’une entreprise cotée se comportait comme ceux des dirigeants politiques qui ne tiennent pas leurs engagements et enfument les électeurs pour cacher leur manque de résultats, il se retrouverait emprisonné pour avoir trahi ses actionnaires et trompé les marchés financiers.

Sans adopter l’approche des pays d’Europe du Nord, où une numéro deux du gouvernement suédois fut fameusement obligée de démissionner pour avoir réglé quelques dépenses personnelles avec sa carte de crédit de fonction, et ce bien qu’elle les eût immédiatement remboursées, nous gagnerions à nous inspirer, par exemple, de la culture allemande où les responsables politiques sont comptables de leurs agissements. En France, les droits de nos dirigeants, trop souvent dépourvus des devoirs afférents, ne sont en fait que des passe-droits. L’irresponsabilité que ceux-ci induisent est délétère pour notre Nation. Nos Tartuffe de la démocratie oublient que le respect se mérite, à leur niveau également, et que, étymologiquement, le terme “ministre” signifie “serviteur” en latin. Malheureusement, focalisés sur leurs appartenances partisanes, leurs électeurs négligent trop souvent de leur rappeler cette réalité ou s’en remettent à des extrêmes dont la pratique serait pire encore si le pouvoir exécutif leur était donné.

Quant aux journalistes, ils ont une consanguinité trop forte avec le monde du pouvoir, dans lequel et dont ils vivent, pour le remettre en cause, comme le montre notamment le niveau de plus en plus déplorable des interviews politiques où les contre-vérités abondent sans réaction des supposés détenteurs du Quatrième pouvoir. Quel intervieweur bénéficie-t-il de nos jours de l’autorité, à la manière d’un Tim Russert outre-Atlantique avant son décès, pour réellement challenger les affirmations des leaders politiques au-delà de questions faussement piquantes sans droit de suite ? Au reste, l’état des lieux que l’on peut dresser du journalisme français s’avère plus navrant encore lorsqu’on observe que de grands médias nationaux se font les vecteurs, sans le moindre esprit critique, de la propagande de Vladimir Poutine.

Nos dirigeants et analystes politiques ne cessent de se repaître de débats sur les contours d’une éventuelle réforme constitutionnelle. Les institutions de la Vème République pourraient évidemment être améliorées. Mais ce dont notre pays a le plus besoin n’est pas tant un changement de système que de l’éthique de ceux (politiciens, journalistes, citoyens…) qui le font (dys)fonctionner. Il faut, à cet égard, toujours revenir à une remarque de Chateaubriand dans ses “Mémoires d’outre-tombe” qui demeure la pensée politique la plus pertinente jamais couchée sur le papier : “En général, on parvient aux affaires par ce que l’on a de médiocre, et l’on y reste par ce que l’on a de supérieur. Cette réunion d’éléments antagonistes est la chose la plus rare, et c’est pour cela qu’il y a si peu d’hommes d’Etat“.

Aujourd’hui, les enjeux nationaux et planétaires sont trop importants pour se satisfaire de la situation que nous connaissons. Il suffit d’observer la déchéance politique et morale américaine actuelle pour entrevoir la tragédie qu’un avilissement civique peut engendrer. Dans ce contexte, Liz Cheney est le seul leader républicain à avoir fait primer ses valeurs sur son intérêt partisan pour mener la lutte contre Donald Trump. Elle n’a pas pour autant renoncé à ses convictions très conservatrices, ainsi que le signale son regrettable vote, ces derniers jours, contre le projet de loi “Protégeons nos enfants” qui prévoit un (très timide) renforcement des mesures pour contrôler la circulation des armes à feu.

Cependant, son rôle dans l’investigation sur les actions anti-démocratiques de l’ancien Président montre qu’il est des valeurs supérieures aux intérêts particuliers (personnels ou partisans). Encore faut-il, pour les faire jouer, avoir conservé une certaine dose de vertu, au sens de la qualité définie par les philosophes grecs antiques (et non par Machiavel), et ne pas avoir complètement vendu son âme au cynisme.

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