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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Elon Musk est-il un danger pour la démocratie ?

Ses pratiques interrogent quant au futur de Twitter dont il va probablement devenir propriétaire dans les trois prochaines semaines.

Elon Musk a flanché dans le bras de fer juridique qu’il avait enclenché avec Twitter en se disant désormais prêt, semble-t-il pour éviter de témoigner lors du procès qui se profile à l’horizon et de payer une lourde amende au terme de celui-ci, à acquérir l’Entreprise aux conditions qu’il avait proposées initialement. Mais il s’est encore gardé une porte de sortie (assez virtuelle, il faut dire) en conditionnant l’achat à l’obtention du financement requis pour ce faire. Le juge lui a donné jusqu’au 28 octobre pour finaliser la transaction, sous peine de voir le procès reprendre s’il n’y parvient pas.

Le paradoxe est que, s’il avait été moins manipulateur – en arguant de la prétendue omniprésence des bots sur le réseau de micro-blogging – dans sa tentative de sortie de la transaction, il ne se serait pas mis l’Entreprise et son Conseil d’Administration à dos et aurait probablement pu acheter Twitter pour environ 35 milliards de dollars au lieu des 44 milliards qu’il s’apprête à payer. S’il finit par s’offrir sa cible, il héritera d’une entreprise qu’il a passé six mois à dénigrer et dont les salariés lui sont majoritairement hostiles d’après leurs expressions publiques et les opinions recueillies à ce sujet par les médias américains. En tant que client extatique de Tesla et admirateur de SpaceX et de ses autres entreprises (OpenAI, The Boring Company…), je considère que c’est une distraction inutile pour Elon Musk.

Cependant, je suis aussi très curieux de voir comment il va faire évoluer Twitter qui est de très loin mon réseau social favori. Si vous savez utiliser ce service, notamment à travers sa fonctionnalité de listes, vous pouvez en faire un outil d’apprentissage sans équivalent car (presque) tous les experts de tous les domaines y sont présents. De ce fait, Twitter est la plus belle agora numérique et pas seulement le fatras de trolls qui est trop souvent évoqué à son sujet.

Quoi qu’il en soit, la question se pose désormais de l’influence que le génialissime entrepreneur va avoir sur Twitter. La seule perspective cohérente sur laquelle il ait communiqué concerne la transformation du service en “Xapp”, c’est-à-dire une application omni-service à la WeChat (propriété de Tencent, un actionnaire de Tesla). Avec cette dernière, les internautes chinois réalisent toutes les opérations de leur vie quotidienne, de la consommation de contenus à la communication avec leurs relations en passant par la réservation de taxis, le paiement de diverses prestations et la prise de rendez-vous. Comme Elon Musk l’avait affirmé dans sa rencontre avec les collaborateurs de Twitter au mois de juin dernier, avant qu’il ne change d’avis sur l’acquisition de l’Entreprise, “en Chine, vous vivez sur WeChat car l’application est si utile à votre vie quotidienne“. Cette ambition d’Elon Musk pour Twitter, aussi difficile à réaliser qu’elle soit dans l’écosystème numérique actuel hors de Chine (mais il ne faut jamais parier contre lui), ne constitue pas une menace pour la démocratie. Mieux, elle pourrait reposer sur la vérification de l’identité des utilisateurs de Twitter, ce qui serait un bienfait pour le débat civique en son sein.

Elon Musk – (CC) RedRadioVe

Mon interrogation concernant la démocratie procède de deux éléments : la propension d’Elon Musk à la prise de risque et ses rapports aux enjeux géopolitiques.

La prise de risque est ce qui distingue Elon Musk de presque tous les autres entrepreneurs de l’Histoire. Comme l’avait résumé Jason Calacanis, un autre entrepreneur, “il n’a pas le composant de la peur“. Après avoir fait fortune grâce à X.com et PayPal, il réinvestit tous ses gains (180 millions de dollars) dans trois entreprises successives : SpaceX (2004), Tesla (2006) et SolarCity (2008). Il assuma des niveaux de dette personnelle extraordinairement élevés pour développer ces trois projets, jusqu’à devoir emprunter à ses amis pour vivre au quotidien durant la période la plus noire de son aventure entrepreneuriale, alors que Tesla était au bord du gouffre.

Il révolutionna simultanément tous les éléments constitutifs du secteur automobile, de la conception, du développement et de la production des voitures à leur commercialisation, leur conduite et leur entretien, en bâtissant de surcroît le premier constructeur spécialisé dans les véhicules électriques pérenne. Et il accomplit ces prouesses sans la moindre expérience dans l’automobile et tout en bouleversant l’industrie spatiale avec SpaceX, en développant SolarCity pour faire adopter l’énergie solaire à plus grande échelle, en inventant le concept d’Hyperloop, en créant The Boring Company pour construire des tunnels de transport public à haute vitesse, en co-fondant Neuralink afin d’intégrer l’intelligence artificielle au sein du cerveau humain et en constituant OpenAI, une ONG de recherche destinée à développer une intelligence artificielle sans danger pour l’humanité.

Cette prise de risque sans égale pose naturellement la question de son application à Twitter et, en particulier, aux problématiques de liberté d’expression et de modération de contenus. Les déclarations erratiques d’Elon Musk à cet égard après l’annonce de sa volonté d’acquérir Twitter, où il semblait dire une chose et son contraire à propos de son affiliation partisane et de l’expression des dirigeants politiques sur Twitter, n’est pas rassurante. Il n’est pas exagéré de redouter de sa part des expérimentations aventureuses ou des décisions impulsives dans un domaine où, comme aurait dit Voltaire, il faut peser des œufs de mouche avec des balances en toile d’araignée.

Au-delà de cette propension à la prise de risque, le positionnement récent d’Elon Musk à l’égard d’enjeux géopolitiques est une seconde source de questionnement. Il s’est ainsi piqué, il y a quelques jours, de proposer sur Twitter, après avoir parlé avec Vladimir Poutine (!), un plan de paix pour l’Ukraine reprenant les éléments de la propagande du dictateur du Kremlin, plan qui fut d’ailleurs mis en vedette par les médias étatiques russes. Pour accréditer la pertinence de son plan face aux critiques qu’il reçut, celui qui soutient matériellement la résistance ukrainienne (cf. infra) tweeta une carte du résultat des élections législatives ukrainiennes de 2012 censée montrer que les habitants de l’Est de l’Ukraine voudraient rejoindre la Russie.

Seuls problèmes eu égard à ces prises de position :

  • l’élection en question ne concernait pas le rattachement d’une partie de l’Ukraine à la Russie et aucun candidat considéré comme pro-russe par Elon Musk dans son tweet ne proposait alors une sécession de sa région vers la Russie ;
  • la position de la Russie à l’égard de l’Union européenne était très différente de ce qu’elle devint depuis ;
  • cette question fut à l’origine de la révolution démocratique ukrainienne de 2014 ;
  • les législatives de 2019 livrèrent des résultats très différents de celles de 2012 notamment en raison de la renaissance du sentiment national ukrainien au-delà des disparités régionales ;
  • d’importants mouvements de population ont marqué ces régions depuis lors ;
  • il est inenvisageable d’organiser un scrutin légitime dans des territoires sous occupation par une puissance étrangère qui promeut un projet génocidaire à l’égard de la nation à laquelle ils appartiennent ;
  • croire que Poutine respecterait les résultats de cette élection s’ils lui étaient défavorables revient à ignorer l’histoire russo-ukrainienne de ces quinze dernières années ;
  • la Crimée vota, lors du référendum sur l’indépendance de l’Ukraine de 1991, en faveur de son adjonction au nouvel Etat indépendant et n’appartient donc pas “depuis 1783 jusqu’à l’erreur de Khrouchtchev” à la Russie comme l’écrit Musk si cette assertion revient à entériner l’invasion puis l’occupation armée de la Crimée de 2014 par les troupes de Vladimir Poutine ;
  • la neutralité de l’Ukraine n’est pas le moins du monde une condition de sa tranquillité avec la Russie poutinienne : cette dernière l’attaqua deux fois, en Crimée puis dans une guerre totale, alors qu’elle avait renoncé à ses armes nucléaires et était à des années-lumière de rejoindre l’OTAN.

Quelques jours plus tard, Elon Musk présenta, au cours d’une interview avec The Financial Times, une solution pour l’avenir de Taïwan – donner plus de contrôle à la Chine sur l’île – qui est beaucoup plus proche des visées des dirigeants totalitaires chinois que des aspirations de la démocratie taïwanaise. Faut-il voir dans ses élucubrations la crainte de mécontenter Vladimir Poutine qui a menacé implicitement de s’en prendre à la constellation de satellites Starklink de SpaceX (qui a remarquablement | aidé la résistance ukrainienne) et le gouvernement d’un pays, la Chine, aussi important pour Tesla en matière d’offre que de demande ?

Etre un PDG qui, pour défendre les intérêts de son entreprise et des parties prenantes de celle-ci, prend des positions politiques discutables est une chose. Ainsi que je le soulignais, déjà à propos d’Elon Musk (et de la Chine), il peut être incohérent de demander aux entreprises d’aller plus loin dans l’ostracisation de certains régimes que les Etats dont elles dépendent ne vont. Mais quand ce dirigeant est à la tête de la plate-forme de communication la plus influente vis-à-vis de ceux qui font (les politiques) et relatent (les journalistes) l’actualité, c’est une tout autre histoire.

Mon principal facteur de réassurance, in fine, tient au fait qu’Elon Musk n’a aucun intérêt, étant donné l’ampleur de son exposition financière dans l’acquisition de Twitter, à faire échouer le réseau de micro-blogging. Transformer celui-ci en terrain de prosélytisme politique aliénerait le grand public dont il a besoin pour en faire un outil numérique indispensable. Cette évolution prendra du temps et, si l’on en croit les autres expériences d’Elon Musk, connaîtra certainement des hauts et des bas aussi spectaculaires les uns que les autres.

Mais la prise de risque manifestée par Elon Musk a toujours, au bout du compte, favorisé le succès de ses entreprises. Souhaitons qu’il en soit de même pour Twitter.

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