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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Le premier devoir d’un leader est d’être solidaire de ses équipes. C’est aussi son intérêt.

Deux exemples en Formule 1 illustrent de manière opposée ce postulat.

Depuis que j’avais regardée l’interview de Laurent Rossi, alors directeur général de la marque Alpine, sur Canal+ en marge du Grand Prix de Miami, il me démangeait d’écrire à son sujet, tant ses propos et son attitude m’avaient choqué. Cet entretien avait pour objectif de faire le point sur la situation de l’écurie de Formule 1 de la marque après un début de saison décevant dans l’absolu et plus encore eu égard aux ambitions affichées.

Laurent Rossi analysa ainsi la situation :

On savait qu’on allait démarrer la saison difficilement. L’hiver n’a pas été aussi productif au point de vue développements aéro. Cette année, on démarre avec un handicap de performance déjà, d’une part, et un handicap d’exécution. Cela fait beaucoup et cela se voit, parce qu’on est à un classement qui n’est pas du tout digne des moyens engagés et on est très loin de l’objectif final de l’année.

Et ce que je constate c’est qu’il y a potentiellement un état d’esprit qui n’est pas à la hauteur de ce qui a été fait dans le passé par cette même équipe. C’est pour cela aussi que je suis là pour comprendre un petit peu quels sont les ressorts, ou manques de ressort, de cette équipe car c’est peu ou prou les mêmes personnes que l’année dernière. Qu’est-ce qui a pu changer pour que cette équipe puisse accumuler des erreurs, ce qu’on ne devrait pas se permettre en temps normal et encore moins quand on a une voiture qui n’est pas là où elle devrait être ? Je pense qu’on a atteint un niveau qui est le niveau maximum pour certains et qui ont du mal à se hisser au suivant. Cela arrive dans tous les domaines, pas que dans le sport. Il faut qu’on détermine si c’est cela qui s’est passé et si la marche est trop haute pour certains et qu’ils ont dérampé ou si les conditions ne sont pas toutes réunies pour reproduire la performance de l’année dernière.

En vérité, ce n’est pas l’Australie1 qui me pose problème. Je n’ai pas du tout aimé la course de Bahrein, la première, car il y a eu beaucoup, je suis désolé de le dire, mais de dilettantisme, qui a conduit à un résultat qui n’était pas le bon, qui était médiocre, mauvais. Et je leur avais dit que c’était le premier et dernier joker de la saison. Puis la course de Bakou ressemble furieusement à celle du Bahrein. Et ça, c’est pas acceptable. On a le droit de faire des erreurs, c’est un principe de base, c’est dans les erreur qu’on apprend. Quand on fait deux fois les mêmes erreurs, là, c’est qu’on n’a pas appris et qu’on ne prend pas assez ses responsabilités.

En colère, c’est encore un bien grand mot. La saison est jeune mais, par contre, on engage quand même des sommes assez faramineuses – on parle quand même d’un demi-milliard tous les ans puisqu’on est motoriste , ce sont des choses importantes. On est au ‘cost cap’2 tous les ans, on ne peut pas avoir plus de moyens que cela très sincèrement. Ce n’est pas une question de moyens. Est-ce que c’est une question de qualité ? Forcément puisque, quand tout le monde dépense la même chose ou peu ou prou la même chose, en tout cas pour ceux qui sont immédiatement devant nous, c’est une question aussi de qualité des personnes, d’efficacité“.

Ce qui est frappant dans ces propos, et dans la manière dont ils sont exprimés, est l’arrogance de Laurent Rossi et son mépris pour ses propres équipes : dire de membres de celle-ci qu’ils sont dilettantes, qu’ils ont atteint leur maximum, qu’ils n’apprennent pas, qu’ils ne prennent pas leurs responsabilités et, ultime outrage, que c’est une question de “qualité des personnes” (et non de qualité de leur travail) est piteux. Le paradoxe est que c’est Laurent Rossi qui a fini par perdre son job, pas les membres de son équipe. Je n’ai pas pour habitude de tirer sur les ambulances mais, lorsqu’une ambulance tire sur le malade dont elle a la charge avec une telle morgue, elle se délégitime.

Incidemment, il faut aussi évoquer l’attitude de l’équipe de Canal+ qui, tout remarquable que son travail soit, s’est compromise avec Laurent Rossi. C’est lui qui a permis à Julien Fébreau, l’excellent commentateur des grands prix, de réaliser son rêve en roulant au volant d’une Formule 1 d’Alpine et ses liens semblaient également forts avec le remarquable consultant Franck Montagny. Le résultat de ce conflit d’intérêts est que les performances de l’équipe Alpine ont été commentées par les deux reporters du seul point de vue de Laurent Rossi, dont les décisions, y compris l’interview précitée, ont toujours été vantées par Julien Fébreau et Franck Montagny. Ceux-ci ont, en l’espèce, fait prévaloir leur inclination personnelle sur leur devoir d’information de leurs téléspectateurs, lequel aurait dû les conduire à challenger Laurent Rossi comme les autres patrons d’écurie. C’est assez rare de leur part pour devoir être souligné. Margot Laffite et Jacques Villeneuve, parfaits comme toujours, sont eux restés à l’écart de cette couverture panégyrique déplacée.

Je ne connais pas Laurent Rossi mais, à observer sa communication depuis sa prise de fonction à la tête d’Alpine, le moins que je puisse dire est qu’il n’a pas été efficace pour communiquer sa modestie et son sens du collectif. On avait d’ailleurs été alerté sur la personnalité du patron d’Alpine il y a un an et demi lorsqu’Alain Prost avait décidé de cesser sa collaboration avec l’écurie, après sept années d’association, alors que celle-ci lui proposait un nouveau contrat : il avait alors attribué sa décision au fait que Laurent Rossi “voulait toute la lumière“, était jaloux à son endroit et ne respectait ni lui ni les membres de l’équipe au quotidien. Peut-être que, pour Laurent Rossi, diriger Alpine représentait une marche trop haute, comme il le mentionne élégamment à l’égard de ses équipes dans son interview.

Toujours est-il que celle-ci constitue l’une des pires expressions publiques d’un leader corporate de ces dernières années. Qui, en effet, a embauché, nommé ou confirmé dans leurs postes respectifs les personnes qu’il critique si amèrement ? Qui, en tant que directeur général d’Alpine, est le responsable ultime des résultats de la marque ? Qui est en mesure de prendre les décisions pour inverser la tendance ? Qui est le garant de l’atmosphère et de la culture au sein de l’équipe ? Comment celle-ci allait-elle désormais pouvoir prendre des risques alors que l’innovation est au coeur du succès en Formule 1 ?

Outre le sens le plus élémentaire du respect humain, les propos de Laurent Rossi contredisent trois préceptes du management. Le premier consiste à féliciter en public et morigéner en privé. Le deuxième pose d’assumer les résultats de l’organisation que l’on dirige, selon la formule “the buck stops here rendue célèbre par Harry Truman3. Le troisième est la promotion d’un esprit d’équipe qui se traduit, dans les sports collectifs, par l’expression “on gagne ensemble, on perd ensemble“. Il est facile d’imaginer la motivation, la confiance et la sérénité que les équipes d’Alpine ont dû éprouver après avoir été ainsi jetées aux lions par leur leader. Sans surprise, loin d’améliorer ses performances, l’écurie Alpine s’enfonça par la suite dans un marasme conclu cette semaine par l’éviction de son patron. On peut d’ailleurs penser que cette révocation n’est pas due à la seule performance de Laurent Rossi dans sa supervision de l’écurie de Formule 1 mais qu’elle doit aussi avoir trait à sa gestion de la marque Alpine. Sinon Luca de Meo lui aurait laissé la direction de cette dernière en lui déléguant un numéro deux pour chapeauter ses activités de course automobile.

Laurent Rossi et Lewis Hamilton – (CC) Renault Group, Formula 1

L’attitude de Laurent Rossi tranche avec la maturité et le respect dont font preuve d’autres patrons d’écurie de Formule 1 confrontés à des résultats décevants, qu’il s’agisse de l’autre Français Fred Vasseur ou de l’Autrichien Toto Wolff. Ce que ces deux dirigeants signalent est que la vraie exigence de performance ne se concrétise pas par des moulinets médiatiques mais par un travail de stratégie et de mobilisation et challenge quotidiens de leur équipe. On n’est pas près de voir Laurent Rossi, comme Toto Wolff (Mercedes), être sollicité par l’Université de Harvard pour y enseigner sa philosophie du management ou, comme Fred Vasseur, être choisi par Ferrari pour diriger son écurie de Formule 1.

Mais c’est à un autre leader, même s’il ne dirige pas une écurie, que je voudrais aujourd’hui comparer l’approche de Laurent Rossi. Il s’agit de Lewis Hamilton, pilote le plus titré de l’histoire de la Formule 1, qui traverse depuis un an et demi, avec Mercedes, la pire période de sa carrière. La disette de résultats de Mercedes et Lewis Hamilton aurait certainement rendu Laurent Rossi fou. Mais l’équipe, dirigée par Toto Wolff et guidée par Lewis Hamilton, a géré cette crise avec cohésion, respect mutuel et rigueur.

Ces qualités étaient au coeur des propos du pilote hier, après qu’il eut réalisé la pole position du Grand Prix de Hongrie, sa 104ème pole position et son premier succès dans cet exercice depuis le Grand Prix d’Arabie saoudite (décembre 2021) :

Cela a été une année et demie folle. J’ai perdu ma voix tellement j’ai crié dans la voiture. C’est une sensation incroyable. Je suis si reconnaissant car l’équipe a travaillé si durement. Nous avons fait tout notre possible pour enfin conquérir cette pole position. C’est comme si c’était ma première pole. […] Je ne m’attendais pas à me battre pour la pole aujourd’hui. Du coup, dans ce dernier tour, j’ai donné tout ce que j’avais. Je n’aurais pas pu faire plus. Cela fut un gigantesque challenge pour chaque personne de l’équipe. Il y eut des hauts et de bas, comme une énorme montagne russe. Mais aucun de nous n’a perdu la foi, nous sommes tous restés unis. […] Cela a été dur et cela va continuer d’être dur mais, espérons-le, ce résultat montre que nous sommes sur la bonne voie et que nous pouvons y arriver si nous continuons de donner notre meilleur. […] C’est très difficile de trouver le bon équilibre pour les pneus avec ce type de voitures et nous l’avons fait aujourd’hui. Chapeau à l’équipe. […] Demain, nous ferons de notre mieux pour la course en tant qu’équipe mais cela va être difficile de se battre avec ces deux gars. Lando [Norris] a fait un travail fantastique et cela a été génial de voir McLaren progresser et revenir au sommet. Et Max [Verstappen], vous connaissez Max, il est toujours au top, il fait toujours ce qu’il a à faire“.

Un vrai leader est solidaire de son équipe dans les bons comme dans les mauvais moments. C’est à la fois son devoir, s’il veut faire montre de valeurs humaines, et son intérêt s’il veut motiver ses collaborateurs à progresser au lieu de les enfoncer dans la crise. Cela ne l’empêche naturellement pas de prendre des décisions pour les faire évoluer si nécessaire.

En définitive, le problème que pose le management et la communication de Laurent Rossi est qu’il regarde son équipe en observateur, au lieu d’en faire partie et de se remettre en cause avec elle. Il ne peut ainsi pas, pour reprendre ses termes, “se hisser au niveau suivant”.

1 Pierre Gasly avait percuté Esteban Ocon et les deux pilotes Alpine avaient dû abandonner.

2 Le budget limite imposé aux écuries par le règlement de la Formule 1.

3 “The buck stops here” est une phrase mise en exergue par le Président américain Harry Truman qui impliquait que ce dernier assumait l’entière responsabilité des actions et décisions prises dans son administration au cours de sa Présidence sans rejeter la responsabilité sur qui que ce fût d’autre. Le “buck” fait référence au marqueur – généralement un couteau avec un manche en corne de cerf – que l’on passait autour d’une table de poker à l’époque de la conquête de l’Ouest pour indiquer à qui revenait le tour de jouer.

Un commentaire sur “Le premier devoir d’un leader est d’être solidaire de ses équipes. C’est aussi son intérêt.”

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