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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Thierry Breton s’est mis dans la main des plates-formes numériques

J’ai écouté avec intérêt, il y a quelques jours, l’émission politique de RTL, “Le grand jury”, dont Thierry Breton était l’invité.

Il fut logiquement interrogé sur les horreurs en tout genre diffusées sur les réseaux sociaux à propos du conflit au Proche-Orient, et ce malgré la nouvelle législation européenne sur les services numériques (Digital Service Act) entrée en vigueur le 25 août dernier1 pour censément obliger dix-neuf grandes plates-formes à mieux contrôler les contenus illégaux qu’elles hébergent. Thierry Breton, l’initiateur de ce texte, avait alors déclaré que sa mise en oeuvre était “un tournant majeur : la fin d’une ère de non-droit sur les grandes plates-formes“. J’avais accueilli cette assertion avec espoir, promouvant depuis des années une régulation plus résolue des champions du numérique et ayant proposé dix mesures-clés dans ce domaine. Je suis donc un fervent partisan de tout ce que l’Europe pourra faire de pertinent à cet égard pour compenser l’immobilisme des Etats-Unis.

Aujourd’hui, il suffit de passer quelques instants sur le moindre réseau social pour constater que, malheureusement, on est loin de l’avenir radieux vanté par le commissaire européen chargé du marché intérieur, de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l’audiovisuel, de la défense et de l’espace. On constate ainsi une nouvelle fois que Thierry Breton a achevé sa mue de chef d’entreprise en homme politique : au lieu d’être pragmatique, de juger les effets de sa stratégie et de l’adapter si nécessaire, il promet monts et merveilles avant même son déploiement. Il faut dire qu’il n’a plus de cours de bourse à manager et que ses engagements, s’il ne sont pas tenus, ont désormais moins de conséquences.

Thierry Breton – Illustration réalisée avec Midjourney

Lors du “Grand jury”, on entendit donc Thierry Breton affirmer, contre toute évidence, qu’un “tournant majeur est en train de se produire“. Après un long auto-satisfecit, il asséna des chiffres destinés à clore définitivement le débat : Meta supprime 800 000 vidéos par jour et TikTok a mis en place 6 000 modérateurs qui ont déjà annulé 4 millions de comptes pro-Hamas. C’est là que le bât blesse : loin de clore le débat, ces données l’alimentent. En effet, en reprenant les chiffres fournis par les grands réseaux sociaux, Thierry Breton a aussi repris leur stratégie de communication, conceptualisée par Facebook il y a longtemps déjà, qui consiste à rendre compte de leurs efforts de modération seulement en volume sans notion de proportion. Quand, comme TikTok, on compte plus de 1,5 milliard d’utilisateurs actifs mensuels, 4 millions de comptes représentent une goutte d’eau dans un océan de dépravation et de désinformation : si ce chiffre est impressionnant en volume, il ne veut pas dire grand-chose en proportion.

En outre, comment est-il possible de définir des objectifs pour les réseaux sociaux en matière de modération de contenus si l’on mesure leurs efforts en nombre de contenus supprimés sans la moindre référence du nombre total de contenus délictueux concernés ? Cette méthode revient à laisser lesdits réseaux se fixer leurs propres objectifs, ce qui est loin d’être une forme de régulation efficace.

Cette stratégie de communication et d’audit des plates-formes numériques est d’autant plus erronée et dangereuse que les développements de l’intelligence artificielle induisent qu’il va être de plus en plus simple pour le vulgum pecus, et pas seulement pour les officines étatiques, de produire automatiquement des centaines de milliers de comptes et contenus de propagande et de les diffuser sur les médias sociaux : l’effet volume va donc devenir de plus en plus impressionnant dans les bilans des plates-formes… et de moins en moins significatif sur l’hygiène de leurs contenus.

En réalité, le problème est que Thierry Breton a désormais partie liée avec les géants du numérique : son tempérament personnel et son ambition politique lui dictent de montrer que sa législation a réussi, de même que les plates-formes ont intérêt à montrer qu’elles font tous les efforts possibles pour assainir leurs services. La communication en volume est la seule susceptible d’atteindre ce double objectif convergent. Pour connaître la situation réelle en matière de modération de contenus, il faudrait savoir quelle proportion de contenus et comptes illégaux ont été supprimés.

Pour le coup, il s’agirait d’un vrai “tournant majeur”.

1 Après avoir été adoptée en juillet 2022.

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