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Toute vérité n'est que perception

La revanche de Donald Trump contre les médias américains a commencé

Et certains grands médias cèdent à ses intimidations.

Ainsi la chaîne ABC News a-t-elle accepté de verser 15 millions de dollars au musée présidentiel de Donald Trump pour éviter le procès en diffamation intenté par le Président élu contre le journaliste-vedette George Stephanopoulos. L’ancien conseiller de Bill Clinton à la Maison-Blanche, l’un des journalistes les plus rigoureux et sourcilleux vis-à-vis des politiciens des deux partis, avait affirmé dans son émission “This Week”, le 10 mars dernier, que le républicain avait été reconnu civilement responsable du viol d’E. Jean Carroll. ABC News paiera également les frais de justice de Donald Trump (un million de dollars) et a publié des excuses sur son site Internet.

L’an dernier, Donald Trump avait été reconnu coupable d’avoir abusé sexuellement et diffamé l’ancienne journaliste, et condamné à lui verser 5 millions de dollars. Puis, lors d’un deuxième procès, il avait été reconnu coupables d’autres diffamations à son sujet et condamné à lui verser 83,3 millions de dollars. Il a fait appel des deux verdicts.

Le terme “viol” fut au coeur des débats qui conclurent le premier procès. Dans son jugement, le juge écrivit que le verdict unanime était presque entièrement en faveur d’E. Jean Carroll, sauf que le jury avait conclu qu’elle n’avait pas réussi à prouver que Trump l’avait violée “dans le sens étroit et technique d’une section spécifique de la loi pénale de New York“. Il expliqua que la définition du viol dans le code de l’Empire State était “beaucoup plus étroite” que dans le langage courant, dans certains dictionnaires, et dans des lois pénales fédérales et étatiques. Selon la loi new-yorkaise, un viol est défini par une pénétration vaginale d’un pénis1. La pénétration forcée sans consentement du vagin par tout autre élément est définie comme un abus sexuel. Le juge conclut que le verdict ne signifiait pas qu’E. Jean Carroll “n’avait pas réussi à prouver que M. Trump l’avait ‘violée’2 au sens où de nombreuses personnes entendent généralement le mot ‘viol’. En effet, le jury a conclu que c’est exactement ce qu’a fait M. Trump“. En outre, l’Etat de New York a modifié sa définition du viol, laquelle inclut désormais les actes dont Donald Trump a été reconnu coupable à l’encontre d’E. Jean Carroll.

Beaucoup de spécialistes du droit américain qui ne sont pas inféodés à Donald Trump considèrent que celui-ci n’aurait pas prévalu dans son procès contre George Stephanopoulos et ABC News. Il fondent leur opinion à cet égard sur la puissance du Premier amendement à la Constitution américaine relatif à la liberté d’expression et sur le niveau d’exigence requis pour l’emporter dans un procès pour diffamation, surtout vis-à-vis de personnalités publiques. De surcroît, si procès il y avait eu, Donald Trump aurait de nouveau été exposé à la recension de ses abus sexuels sur E. Jean Carroll et, potentiellement, au témoignage de celle-ci, ce qui ne représente pas une perspective prometteuse en termes d’image. Les paiements et excuses d’ABC News ressemblent donc davantage à un pot-de-vin pour calmer un Président élu qui a promis de s’en prendre aux médias de son pays qu’à la conclusion d’un processus judiciaire équitable.

C’est la première fois que Donald Trump, qui n’a jamais été avare | de procès contre des médias (récemment contre CNN, The New York Times et The Washington Post), remporte une victoire d’une telle ampleur financière et d’une telle importance symbolique. Il avait attaqué ABC News incessamment depuis plusieurs mois, assurant même que la chaîne devrait perdre sa licence fédérale de diffusion. Evidemment, la capitulation en rase campagne de la chaîne va l’encourager à concrétiser sa promesse de se venger des médias dont il considère qu’ils l’ont combattu indûment. Il a notamment intenté une action en justice contre une autre grande chaîne linéaire américaine, CBS, qu’il accuse d’ingérence dans les élections en raison du montage censément trompeur – et en réalité tout à fait normal – d’une interview de Kamala Harris dans l’émission “60 Minutes”.

(CC) AP Photo/Chris O’Meara

Nancy Mace, la représentante républicaine de Caroline du Sud qui était interviewée par George Stephanopoulos lorsqu’il employa le terme de “viol” pour caractériser l’acte commis par Donald Trump sur E. Jean Carroll, a d’ailleurs publié un tweet affirmant que “2025 serait l’année des excuses des médias établis“. Kash Patel, que Donald Trump veut nommer à la tête du FBI, a pour sa part déclaré avant l’élection qu’il utiliserait un éventuel poste dans la prochaine administration “pour s’en prendre aux personnes qui, dans les médias, ont menti sur les citoyens américains, qui ont aidé Joe Biden à truquer les élections présidentielles“.

Quant à Donald Trump, il a été jusqu’à affirmer qu’il ne verrait pas de problème à ce quelqu’un tire dans un groupe de journalistes. Dans la conférence de presse qu’il a tenue avant-hier, il a clamé sa volonté de continuer de lutter juridiquement contre les médias qui s’opposent à lui. Il a également confirmé qu’il considérait que The Des Moines Register, le principal journal de l’Iowa, avait commis une “fraude” en publiant, juste avant le scrutin présidentiel, un sondage qui donnait trois points de pourcentage d’avance à Kamala Harris sur lui (il remporta l’Iowa avec plus de treize points d’écart sur l’ancienne Vice-Présidente). Il poursuit le journal et J. Ann Selzer, la fort respectée sondeuse qui a réalisé cette enquête d’opinion. Il attaque aussi en justice le comité du prix Pulitzer en raison des récompenses accordées aux journalistes du New York Times et du Washington Post qui ont enquêté sur ses liens avec la Russie pendant la campagne présidentielle de 2016. En réalité, son approche ressemble à celle de la Scientologie qui a découragé nombre de médias de s’intéresser à elle à force d’années d’intimidations et de coûteux procès.

Or beaucoup de chefs d’entreprise n’ont pas envie de batailler avec un Président des Etats-Unis résolu à les abattre3. Ils préfèrent donc, comme les patrons d’ABC News et de sa maison-mère, The Walt Disney Company, s’incliner sans faire valoir leurs droits. On observe la même attitude avec les leaders de la Tech, dont les dirigeants font tous le pèlerinage de Mar-a-Lago, la résidence floridienne de Donald Trump, pour le courtiser, voire lui faire allégeance. Ces compromis(sions) ne sont pas comprises par les audiences des médias concernés : Mika Brzezinski et Joe Scarborough, les deux animateurs de la matinale politique de MSNBC News, “Morning Joe”, dont je vous avais entretenu il y a deux semaines à propos de leur visite à Mar-a-Lago/Canossa, ont vu l’audience télévisée de leur émission atteindre son plus bas historique ces derniers jours.

Toutes ces pratiques s’apparentent à ce que le remarquable historien Timothy Snyder qualifie d’obéissance à l’avance à des autocrates. Je citais dans un récent article sur le blog Superception une autre éminente historienne, Anne Applebaum, au sujet de Viktor Orban : “en Hongrie, les journaux n’ont pas été détruits par la censure, mais plutôt par la pression du gouvernement et les menaces proférées à l’encontre des propriétaires et des annonceurs. Il est maintenant très facile de voir comment cela pourrait se produire ici”.

Malheureusement, nous y sommes.

Hier, Donald Trump soulignait avoir “le sentiment que je dois le faire. Ce n’est pas vraiment moi qui devrais le faire. Cela aurait dû être le ministère de la Justice ou quelqu’un d’autre. Mais je dois le faire. Cela me coûte beaucoup d’argent, mais nous devons remettre la presse dans le droit chemin“. Steve Bannon, son ancien stratège en chef à la Maison-Blanche et l’un de ses inspirateurs, expliquait, lui, dimanche : “Nous voulons des représailles et nous en aurons. Ils doivent apprendre ce qu’est le pouvoir populiste et nationaliste. J’ai besoin d’enquêtes, de procès et ensuite d’incarcérations. Et je ne parle que des médias“.

Ce n’est donc pas le moment de se laisser gagner par la Trumpmania qui sévit à travers la planète depuis qu’il a brillamment défait Kamala Harris et, notamment, de croire que son deuxième mandat va être plus normal que le premier. Il le sera encore moins.

1 E. Jean Carroll a d’ailleurs accusé Donald Trump de l’avoir violée avec ses doigts puis son pénis.

2 C’est-à-dire pénétrée avec ses doigts.

3 S’il sanctionne les médias qui lui donnent l’impression de le combattre, Donald Trump est aussi prêt à récompenser ceux qui le servent, ne serait-ce que pour motiver d’autres à suivre leur exemple. C’est ainsi que, lors de sa conférence de presse tenue lundi, il remercia TikTok de l’avoir aidé à remporter la présidentielle, affirmant que, en conséquence, elle occupe désormais “une place chaleureuse” dans son coeur. Il évoque beaucoup moins l’interdiction de l’application chinoise qu’il promouvait dans le passé.

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