4 octobre 2012 | Blog, Blog 2012, Communication | Par Christophe Lachnitt
Ici l’ombre
Analyse en termes de perception du premier débat entre Mitt Romney et l’ombre de Barack Obama*.
Certes, il fallait se lever à 3 heures du matin la nuit dernière pour regarder le débat entre les deux prétendants à la Maison-Blanche. Mais l’effort ne fut pas vain tant ce premier échange direct entre les deux adversaires fut instructif.
Mitt Romney arrivait à ce débat avec un certain retard dans les sondages nationaux et un retard certain dans les Etats décisifs (d’Est en Ouest, New Hampshire, Virginie, Caroline du Nord, Floride, Ohio, Wisconsin, Iowa, Colorado et Nevada). Sa campagne était aux abois et un échec face au Président-candidat en aurait presque sonné le glas. Barack Obama, pour sa part, se présentait auréolé d’une étiquette de favori de l’élection et du débat, étiquette qui n’occulte cependant pas le fait qu’il ne parvient toujours pas à créer la moindre étincelle chez les électeurs et même chez ses partisans.
Ce fut un débat technique exempt de petites phrases, d’envolées lyriques et de moments mémorables susceptibles d’être repris en boucle sur les chaînes d’information et sur YouTube. Ce sérieux trancha radicalement avec les débats de la primaire républicaine et les publicités négatives des campagnes respectives d’Obama et Romney qui envahissent les télévisions américaines depuis de longs mois. Le seul fait que le débat ait été consacré au fond des sujets est bénéfique en matière de perception pour Romney : il fut catapulté au même niveau de crédibilité que le Président qui, précisément, lui dénie cette légitimité depuis le début de la campagne.
Au-delà des échanges techniques, le cœur du débat concerna la place de l’Etat et du gouvernement fédéral dans la Société américaine, ce qui n’empêcha pas Romney de recentrer son discours pour tenter de séduire les électeurs indépendants (ceux qui ne sont enregistrés ni comme républicains ni comme démocrates), lesquels joueront un rôle décisif dans l’élection du 6 novembre.
Plus globalement, on eut l’impression de voir un Mitt Romney débarrassé de toute scorie après avoir commis toutes les gaffes possibles depuis le début de sa campagne. Sa seule déclaration parasite concerna son intention de supprimer les subventions fédérales allouées à la chaîne de télévision publique PBS qui emploie non seulement le journaliste (Jim Lehrer) qui animait le débat hier soir mais aussi les marionnettes – mythiques aux yeux de générations d’Américains – de l’émission “Sesame Street”. Ce fut une distraction inutile – sauf pour les commentaires très drôles qu’elle suscita sur Twitter – mais isolée dans la prestation de Romney.
Barack Obama, lui, passa l’essentiel du débat à regarder son pupitre plutôt que son adversaire et la caméra. Il afficha donc un air désintéressé et sembla rétif à la confrontation avec son opposant qui, lui, l’affronta en permanence du regard. Obama est tellement habitué à être adoré – à commencer par lui-même – lorsqu’il s’exprime qu’il semblait désemparé devant la contradiction généralement argumentée de Romney. Le Président en exercice ne commit pas d’erreur majeure mais il fut tendu, passif et parfois même irrité. Il s’en prit même à l’animateur du débat, ce qui est toujours mauvais signe. Ainsi que le résuma James Carville, l’ancien conseiller de Bill Clinton, sur CNN juste après le débat, le contraste fut saisissant entre un Obama manifestement mécontent de participer au débat et un Romney visiblement heureux d’y prendre part. Pire, Obama ne se battit pas et ne prit aucun risque, pouvant laisser les téléspectateurs croire qu’il considérait l’élection déjà gagnée, l’un des pêchés les plus mortels en perception politique. A cet égard, sa performance ne fut pas sans rappeler son discours dénué de toute passion lors de la récente Convention démocrate où il fut éclipsé par son épouse Michelle et, surtout, par Bill Clinton (lire ici).
Cet évitement se retrouva dans l’approche rhétorique d’Obama : il donna une série de mini-conférences au lieu de débattre réellement avec son adversaire. Plus étonnant encore, il n’attaqua Romney sur aucun de ses points les plus faibles : son bilan en termes de création d’emplois lorsqu’il dirigeait le cabinet d’investissement Bain Capital, son recours à des paradis fiscaux pour réduire ses impôts, sa déclaration sur les 47% d’Américains qui ne paient pas d’impôt fédéral et sont des assistés, sa réforme fort peu conservatrice du système d’assurance-maladie du Massachusetts lorsqu’il était gouverneur de cet Etat, le plan de réforme financière et sociale de son colistier Paul Ryan, ses changements de position répétés sur nombre de sujets… Alors que sa campagne a dépensé des dizaines de millions de dollars en publicités négatives pour dénigrer Romney sur tous ces sujets, Obama n’esquissa pas l’ombre d’une attaque cette nuit. La seule ombre visible sur scène fut la sienne.
Il se peut que le Président, qui n’avait pas pris part à un débat depuis quatre ans, ait été rouillé dans cet exercice. Plus fondamentalement, il n’a jamais été un grand débatteur, se complaisant dans des réponses trop longues, n’ayant pas une exceptionnelle répartie et montrant parfois son dédain pour son interlocuteur. En 2008, il avait fait face à un rival encore moins doué que lui pour cette activité en la personne de John McCain. Cette année, il se trouve face à Mitt Romney qui n’est pas non plus un génie dans ce domaine. Mais, au moins, Romney est-il entraîné (il a participé à 27 débats dans les 18 derniers mois !) et était-il manifestement très bien préparé sur le fond. Cela lui permit d’être vif et offensif tout au long du débat au cours duquel il eut toujours l’initiative dans la veine de sa remarquable prestation face à Newt Gingrich durant la primaire républicaine en Floride. Une nouvelle fois, Romney brilla lorsqu’il était dos au mur.
In fine, Romney parvint à attaquer Obama sur son bilan et son programme tout en projetant une image plus humaine que jamais. C’était un équilibre difficile à trouver. Il emporta clairement le débat aux points sans cependant parvenir à mettre son rival KO. Il est trop tôt pour dire si cette performance réussie lui donnera seulement un sursis – en 2004 George W. Bush avait lui aussi perdu le premier débat face à John Kerry et le format du prochain débat sera plus favorable à Obama – ou lui offrira un nouvel élan – mais la technicité du débat a probablement estompé le contraste de perception entre les deux candidats.
* Cet article résulte des notes que j’ai prises – et en partie tweetées – durant le débat et constitue donc une analyse à chaud. Le recul sur un tel événement confère cependant un nouvel éclairage lorsque la perception mûrit.