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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

La leçon de communication de Bill Clinton

Son discours d’hier soir à la Convention démocrate est un modèle d’art oratoire.

Lors des deux conventions républicaine et démocrate, la réaction pavlovienne des observateurs et du public a été d’évaluer les allocutions en fonction de leur force émotionnelle. C’est un réflexe logique alors que ces conventions sont plus que jamais conçues comme des shows télévisés. En outre, ainsi que je l’explique régulièrement sur Superception, l’émotion est le meilleur vecteur de persuasion.

De nos jours, l’émotion suscitée par les discours politiques est notamment jaugée en fonction du dialogue qu’ils génèrent sur Twitter, mesuré en tweets par minute. A cette aune, Bill Clinton, avec un pic de 22 087 tweets par minute, a fait mieux que Mitt Romney la semaine dernière (14 289) mais moins bien que Michelle Obama mardi soir (28 003). Mitt Romney avait tenté le registre de l’émotion sans réussir à réellement “fendre l’armure” alors que la Première dame a délivré un discours à l’extraordinaire puissance émotionnelle (voir ci-dessous).

Mais, dans certaines situations (et une élection présidentielle figure au premier rang de celles-ci), une allocution doit mettre l’émotion brute au service d’un raisonnement plus intellectuel. L’émotion est alors le décor du discours – sa forme – plutôt que son personnage principal – son contenu. C’est la leçon que nous a donnée Bill Clinton hier soir en prononçant un modèle absolu du genre. Loin des discours autobiographiques qui semblent désormais la norme dans ces conventions, l’ancien Président s’est livré à une brillantissime argumentation pédagogique qui fut en outre exempte des mensonges qui ont émaillé tant de prises de parole durant cette campagne présidentielle.

Ce faisant, il a aussi contribué à élever le débat politique américain, le tirant du marais dans lequel il semble se complaire. Comme le remarqua Ezra Klein, éditorialiste au Washington Post, sur Twitter, “Bill Clinton fait confiance aux Américains pour s’intéresser aux sujets de fond et, en retour, les Américains font confiance à Bill Clinton pour leur parler des sujets de fond“. Et ils semblent l’apprécier : le discours de Bill Clinton battit en effet de manière très inattendue le match de reprise du championnat de football américain – l’un des événements cathodiques les plus attendus par les Américains – entre les Dallas Cowboys et les New York Giants en termes d’audience télévisée et de nombre de mentions sur Facebook.

Les commentaires de tous bords après la prestation de “Bubba” rendent compte de sa qualité. Sur CNN, le journaliste Wolf Blitzer considéra que c’était probablement le meilleur discours de sa carrière politique. Andrew Cuomo, le gouverneur démocrate de l’Etat de New York et futur candidat présumé à la Maison-Blanche, souligna que, “après le discours de Clinton, il n’y a plus rien à dire“. Steve Schmidt, l’ancien conseiller stratégique de John McCain, affirma pour sa part : “Je prie dieu que nous, les Républicains, ayons quelqu’un capable de prononcer un tel discours. Mais nous n’avons personne d’équivalent“. Sur Fox News, le commentateur conservateur Brit Hume enfonça le clou : “J’ai toujours dit que, si j’étais accusé, et surtout si j’étais coupable, je voudrais être défendu par Bill Clinton. Personne ne fait mieux. Il est l’homme politique le plus talentueux que j’ai observé dans toute ma vie et l’homme le plus séduisant que je n’ai jamais rencontré. Et personne ne peut construire une argumentation aussi efficacement que lui“.

Enfin, Alex Castellanos, ancien conseiller de George W. Bush et Mitt Romney, conclut sur CNN : “Fermez les portes de l’arène de Charlotte, vous n’avez plus besoin de revenir demain. Cette convention est terminée. Ce sera probablement le moment qui aura réélu Barack Obama. Bill Clinton a sauvé le Parti démocrate une première fois (en 1992, NDLR). Il s’égarait alors trop à gauche, Clinton s’est présenté comme ‘nouveau démocrate’ et l’a recentré. Il a accompli la même chose ce soir. Le coût pour Obama est que le Parti ne lui appartient plus. Son vrai leader est revenu ce soir pour dire aux électeurs de donner une deuxième chance au jeunot et que les quatre prochaines années seraient meilleures“.

L’homme politique le plus doué et le plus populaire des Etats-Unis (avec 66% d’opinions favorables) a beaucoup improvisé et finalement prononcé un discours deux fois plus long (48 minutes) que le texte qui avait été distribué aux journalistes. La durée de son allocution, l’un des plus longs discours de désignation d’un candidat à la présidentielle de l’histoire (les Américains ne sont pas familiers des discours fleuves à la française), est d’ailleurs le seul reproche qu’on puisse lui adresser. Il me semble cependant que cette longueur ne lassa pas les spectateurs et contribua même à l’impact que le propos aura eu in fine. En effet, Clinton était dans la démonstration, pas dans la chicane (voir ci-dessous).

Ce discours fut une plaidoirie politique – et non politicienne – en faveur de Barack Obama. A ce titre, il n’eut aucun équivalent dans la Convention républicaine, les intervenants étant tous concentrés sur leurs attaques contre Barack Obama et/ou la description flatteuse de la personnalité de Mitt Romney. Aux dires de la presse américaine, Bill Clinton plaide d’ailleurs depuis un certain temps auprès de la campagne de Barack Obama pour qu’il affonte Mitt Romney sur le terrain des idées plutôt que sur celui de la publicité négative et du contraste des personnalités comme il s’abaisse trop à le faire (cf. ici). Hier soir, Clinton a mis ses conseils en application en se livrant à une réfutation sur le fond extrêmement détaillée des principaux arguments de campagne républicains et en ouvrant de nouveaux angles d’attaque contre le flou du programme gouvernemental de Mitt Romney et Paul Ryan. Il le fit avec un enthousiasme contagieux pour le débat de fond et une clarté pour clarifier les sujets les plus complexes dont il semble être le seul leader politique à savoir faire montre.

Le discours de Bill Clinton s’adressait d’abord aux électeurs inquiétés par la situation économique et sociale du pays – dette fédérale, chômage, assurance-maladie, assurance sociale des personnes âgées… – et, parmi eux, aux indépendants (ces électeurs qui ne sont inscrits ni comme républicains ni comme démocrates) qui vont jouer un rôle décisif dans quelques Etats-clés (Caroline du Nord, Colorado, Floride, Iowa, Nevada, New Hampshire, Ohio et Virginie) pour l’issue du scrutin du 6 novembre prochain.

A leur égard, Clinton eut par exemple l’habileté de reconnaître la grande difficulté de la période que les Américains traversent et l’imperfection de la situation actuelle du pays – contrairement aux autres intervenants qui furent emportés par leur désir de présenter un bilan idyllique du premier mandat de Barack Obama. Mais l’approche de Clinton est beaucoup plus efficace pour deux raisons : elle est plus cohérente avec ce que les électeurs vivent au quotidien et elle lui permet de vanter de manière plus crédible le chemin qui reste à parcourir à Obama pour parachever le redressement de l’Amérique qu’il a engagé depuis 2008.

En outre, Bill Clinton parvint à réaliser ce qu’aucun démocrate – y compris Barack Obama – n’avait réussi depuis le début de la campagne : formuler simplement la raison pour laquelle les Américains devraient réélire le Président-candidat. “Les Républicains croient en une société dans laquelle le vainqueur emporte tout et le chacun pour soi prévaut, alors que les Démocrates veulent un pays d’opportunités et de responsabilité partagées, une Amérique où tout le monde tire dans le même sens“.

Sur la forme, le discours de Clinton fut une délicate alchimie de subtilité et de passion, de formules mémorables et de calculs budgétaires, d’anecdotes de terrain et de réflexions stratégiques. L’un des aspects les plus étonnants de ce discours très pédagogue est qu’il fut truffé d’arithmétique, en cohérence avec l’un de ses passages les plus repris par la presse hier soir : “Les gens me demandent tout le temps comment nous avons généré des excédents budgétaires quatre années de suite, quelles nouvelles idées nous avons mises en oeuvre pour ce faire. Ma réponse tient toujours en un mot : l’arithmétique“.

L’arithmétique plutôt que la polémique. Le débat y a assurément gagné. Pour Barack Obama, ce n’est pas encore gagné mais Bill Clinton a fait l’impossible.

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