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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Leçons médiatiques des événements de Boston

Analyse à chaud d’une crise au cours de laquelle peu de médias ont gardé leur sang-froid.

La couverture médiatique de l’attentat de Boston, absolument sans précédent aux Etats-Unis, est riche d’enseignements :

  • la principale différence, de nature et non de degré, entre le journalisme traditionnel et le journalisme citoyen est désormais que le premier a l’apparence de la crédibilité – et fonde sa proposition de valeur sur cette apparence – alors que le second n’en bénéficie pas (encore). L’idée même du crowdsourcing – dont le journalisme citoyen relève – est en effet de faire appel à de nombreux amateurs pour accomplir la mission habituellement menée à bien par quelques professionnels. Le crowdsourcing n’a jamais prétendu à l’infaillibilité. Plus encore, je dirais même que la faillibilité est au coeur de son identité – j’y reviendrai plus loin. A contrario, le journalisme traditionnel incarne la crédibilité. Elle est même au coeur de son identité. La différence entre un fait relaté par un individu sur le web et un événement rapporté par un journaliste est thétique : le premier est un témoignage, le second une information. Or, tiré vers le bas par les concurrences numériques en tout genre (lire ici), le journalisme traditionnel prend désormais le risque de perdre sa particule la plus élémentaire : la crédibilité. Cette crise identitaire est mortifère pour lui. Dans l’affaire de Boston, The New York Post (cf. infra) a certes franchi les limites de la décence. Mais, sans tomber aussi bas, plusieurs médias plus sérieux ont commis des erreurs importantes – CNN, The Associated Press et The Boston Globe ont par exemple annoncé de manière erronée mercredi l’arrestation d’un suspect – en se précipitant pour ne pas perdre la course de vitesse qui définit aujourd’hui la pratique journalistique. La conséquence naturelle de cette dérive est que, à terme, les seules informations crédibles pourraient être celles relatées directement par les sources des médias – par exemple, dans le cas de l’attentat de Boston, le fil Twitter de la police de Boston ou, beaucoup plus paradoxalement, celui du suspect capturé samedi matin ainsi que son compte YouTube et sa liste d’achats souhaités sur Amazon qui nous en apprennent d’ailleurs davantage sur lui que tous les reportages réalisés par les télévisions auprès de sa famille. Personne n’a rien à gagner à une telle évolution. Heureusement, il y a encore des poches de résistance journalistique, incarnées dans la crise bostonienne par NBC avec Chuck Todd (dans un rôle inhabituel de présentateur) et Pete Williams ;
  • de fait, la couverture de l’actualité n’est plus l’apanage des médias traditionnels. Cependant, la crédibilité doit demeurer leur marque de fabrique s’ils veulent conserver un rôle notable à l’avenir. Lorsque les informations s’accumulent plus vite que jamais, le besoin de mise en perspective fournie par les médias traditionnels est plus nécessaire que jamais. Ils ne gagneront pas la bataille de la vitesse avec Internet. En revanche ils doivent prévaloir dans celle du sens ;
  • ainsi que je l’expliquais avant-hier (lire ici), on n’arrêtera pas la curiosité des gens. Il faut donc cesser de croire – et faire croire – qu’on pourra réguler le flot d’informations et de discussions qui se développent sur Internet à l’occasion de chaque événement spectaculaire. Même s’il n’est pas toujours génial, on ne remettra pas le génie dans sa bouteille Internet ;
  • tout directeur de la communication sait que la couverture d’une annonce positive ou d’une crise relative à l’entreprise pour laquelle il travaille dépendra largement de l’importance de l’actualité le jour où cet événement interviendra. Cela fait partie des fondamentaux de notre métier d’essayer d’anticiper – voire d’imaginer – de quoi l’actualité sera constituée pour trouver la meilleure date afin de lancer une nouvelle séquence médiatique – c’est-à-dire celle qui laissera le plus de place à notre annonce positive ou couvrira au mieux notre crise (pour peu que celle-ci soit prévisible). Quelques règles régissent l’intérêt des médias, lesquelles peuvent parfois avoir des conséquences significatives : ainsi l’attentat de Boston et la chasse à l’homme consécutive ont-ils totalement occulté la dévastation créée au Texas par l’explosion d’une usine d’engrais et le tremblement de terre qui vient d’intervenir dans la province du Sichuan en Chine – avec un nombre de victimes malheureusement bien supérieur dans les deux cas à celui enregistré à Boston. Mais ces deux événements n’avaient ni le caractère spectaculaire ni la charge émotionnelle ni la proximité du fait divers de Boston ;
La honte journalistique avec l'apparence de la crédibilité - (CC) The New York Post

La honte journalistique avec l’apparence de la crédibilité – (CC) The New York Post

  • la recherche par crowdsourcing des auteurs de l’attentat n’a pas été visiblement efficace en ce qu’elle a donné lieu à beaucoup d’attributions erronées sur les réseaux sociaux – au premier rang desquels Reddit et 4chan – et même dans certains médias traditionnels – le pire exemple à cet égard étant la couverture du New York Post présentant sans retenue (et sans honte comme à son habitude) deux innocents comme étant recherchés par le FBI (voir ci-dessus). Cela signifie que la foule numérique – qui est loin d’être sentimentale, tirant des conclusions hâtives tous azimuts – n’a pas su trouver les suspects dans la foultitude de photos et de vidéos qui ont été mises en ligne par les témoins du drame. Beaucoup en ont conclu à l’inanité – et parfois même à la nocivité – des réseaux sociaux. C’est à mon sens une erreur. Cet exercice pourrait en effet avoir livré aux autorités des informations cruciales que le grand public n’a pas su décryptées. Par ailleurs, le crowdsourcing a également permis de récolter déjà plus d’un million de dollars pour aider les victimes de l’attentat. Le visage médiatique de ces victimes – il en faut toujours un, cela fait partie des règles évoquées plus haut – est Jeff Bauman qui a perdu ses deux jambes lors de l’attentat (le sac contenant l’une des bombes était littéralement à ses pieds) et qui a aidé les policiers, après avoir repris conscience sur le trottoir, à identifier les suspects.
Jeff Bauman a perdu ses deux jambes lors de l'attentat de Boston et en est devenu le symbole médiatique grâce à cette photo - (CC) Charles Krupa

Jeff Bauman a perdu ses deux jambes lors de l’attentat de Boston et en est devenu le symbole médiatique grâce à cette photo – (CC) Charles Krupa

In fine, c’est une formule citée par le journaliste Mathew Ingram sur son fil Twitter qui définit le mieux le dilemme actuel du journalisme. Cette formule est l’ancienne devise officieuse du quotidien canadien The Globe and Mail : “Rapide, précis et intelligent – choisissez-en deux“.

Le problème, aujourd’hui, est que ni les citoyens ni les journalistes ne veulent choisir.

4 commentaires sur “Leçons médiatiques des événements de Boston”

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Bonjour,
Exemple plus ancien des dérives des medias traditionnels, en France cette fois, et qui avait fait scandale : l’annonce prématurée de la mort de Pascal Sevran.
Il faudra que vous m’expliquiez l’intérêt de relayer dans votre article cette image dramatique et insoutenable de Jeff Bauman. Je suis bien persuadé que ce n’est pas ce malchanceux seul qui a fait arrêter les suspects. La victimisation et la fabrication de héros peuvent aboutir à de multiples formes perverses, et selon moi votre argumentation n’avait pas besoin de cette image choc. C’était un attentat, pensez-vous que vos lecteurs (sur votre blog d’expert) ne soient pas suffisamment sensibles pour se rendre compte de l’horreur que cela implique?

Cher Riphifhy,
L’intérêt de présenter cette image n’est pas, comme vous le supposez, de faire comprendre l’horreur d’un attentat terroriste – qui est évidente – mais d’illustrer la puissance émotionnelle de ce cliché qui a fait de Jeff Bauman un héros outre-Atlantique.
Par ailleurs, comme indiqué dans mon article, Jeff Bauman n’a pas fait arrêter à lui seul les coupables présumés mais a aidé les policiers à ce faire.
Xophe

Bonjour,
En illustrant la puissance émotionnelle de ce cliché, votre message est selon moi atténué : le trop plein d’émotion représenté ici aboutit pour ma part à une mise à distance totale du message intial. Je venais prendre une leçon médiatique, pas une leçon d’anatomie.
Cordialement.

Désolé que cela vous ait perturbé mais, en l’occurrence, la “leçon médiatique” allait de pair avec la “leçon d’anatomie”.

Xophe

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