Fermer

Ce formulaire concerne l’abonnement aux articles quotidiens de Superception. Vous pouvez, si vous le préférez, vous abonner à la newsletter hebdo du site. Merci.

Fermer

Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Uber vs. taxis : changement de vitesses

Alors qu’Uber a annoncé la nuit dernière le recrutement de l’ancien directeur de la première campagne présidentielle de Barack Obama, il convient de décrypter l’opposition de plus en plus âpre entre la start-up californienne et les sociétés de taxis du monde entier.

David Plouffe, stratège politique et manager dont beaucoup d’organisations politiques et d’entreprises rêvaient de s’adjoindre les services, rejoint finalement Uber. Le choix de celui qui a dirigé la campagne politique la plus révolutionnaire de ces cinquante dernières années représente un extraordinaire vote de confiance à l’ambition affichée par la start-up : changer le monde des transports… dans un premier temps.

Elle incarne également la décision la plus intelligente que pouvait prendre Travis Kalanick, le cofondateur et patron d’Uber. La manière dont la mission de l’impétrant a été résumée dans l’annonce de sa nomination révèle d’ailleurs l’ampleur de l’enjeu auquel fait face Uber et la lucidité de son dirigeant : David Plouffe, qui supervisera la stratégie, les affaires politiques et la communication d’Uber, est présenté comme son directeur de campagne. “Uber a été impliqué dans une campagne politique mais n’en a pas encore mené une. Cela change à partir de maintenant”, a explique Kalanick. Ce dernier ne pouvait pas trouver profil plus impressionnant que celui de David Plouffe pour diriger cette opération.

Il faut dire que l’enjeu est de taille : la start-up fait face, à travers la planète, à l’opposition des sociétés et chauffeurs de taxis ainsi que de beaucoup d’autorités publiques. Avec quelques concurrentes (Hailo, Lyft, Sidecar…), elle révolutionne en effet un secteur d’activité qui n’a pas changé depuis plusieurs siècles. Ce sont des dizaines de lois et réglementations – et encore plus d’habitudes et de comportements – qu’Uber doit parvenir à faire changer. Il est impossible de surestimer l’impact que Plouffe va avoir dans cette optique.

David Plouffe - (CC) Barack Obama

David Plouffe – (CC) Barack Obama

L’émergence d’Uber confirme une nouvelle fois la célèbre affirmation de l’une de plus prestigieuses personnalités de la Silicon Valley, Marc Andreessen : “les logiciels mangent le monde”. Uber n’est rien d’autre qu’une société de haute technologie dont le coeur de la valeur ajoutée est un logiciel.

Uber utilise ses technologies pour révolutionner le secteur des transports personnels à la demande dominé par les taxis. Lorsqu’une personne cherche un taxi, elle ne sait ni si une voiture sera disponible ni lorsqu’elle arrivera. L’application mobile d’Uber permet de résoudre ce problème en fonctionnant comme une place de marché qui met en relation clients et chauffeurs.

La géolocalisation prodiguée par les smartphones respectifs du client et du chauffeur permet aux deux acteurs de la transaction commerciale de se situer et au client de savoir précisément où se trouve la voiture qui le prendra en charge et quand elle arrivera. Uber offre d’autres services innovants tels que le paiement automatisé – une fois sa carte de crédit enregistrée dans l’application – de la course (sans discussion sur le pourboire qui est intégré au prix nominal) et la notation du chauffeur (qui, en retour, note son client). Au final, Uber est gage de sécurité (grâce au suivi individualisé de chaque voiture et chaque chauffeur), ponctualité (grâce à la géolocalisaion réciproque) et qualité (grâce à la stimulation générée par la notation des chauffeurs).

Le fait qu’Uber soit une place de marché est révolutionnaire : ses chauffeurs sont soit des travailleurs indépendants soit des collaborateurs d’une PME qui détient quelques voitures. Ils ne travaillent d’ailleurs pas forcément de manière exclusive avec Uber. La start-up ne possède – et n’entretient – aucune voiture. Ses coûts fixes sont donc réduits à leur strict minimum*.

Cela lui permet de proposer une offre économiquement très attractive à ses clients et de rémunérer ses chauffeurs (qui engrangent en moyenne 80% du prix de la course) bien mieux que les sociétés de taxis traditionnelles. Uber couvre les coûts d’administration de son service : gestion des paiements (et de la fraude), service client, smartphones fournis aux chauffeurs…

Uber offre aujourd’hui deux principaux types de service :

  • UberBlack, un service haut de gamme avec des limousines ou véhicules 4×4 noirs ;
  • UberX, un service qui concurrence directement les taxis avec des prix équivalents. Cette offre, qui bénéficie des atouts propres à Uber, est délivré par des individus avec leurs véhicules personnels de milieu de gamme. Sur certains marchés, les prix proposés par UberX sont inférieurs à ceux des taxis (tant que le niveau de la demande peut le permettre).

Opérant comme une place de marché, Uber fonctionne avec une politique de prix élastique, ce qui déstabilise certains observateurs et même clients de la marque habitués aux prix des taxis fixés par la puissance publique. Ainsi, lorsque la demande est très élevée (les vendredis et samedis soirs, lors de grands événements locaux ou d’intempéries…), Uber augmente ses prix ponctuellement.

Cette approche s’apparente à celle des hôtels ou compagnies aériennes qui accroissent leurs prix lors des périodes durant lesquelles la demande est supérieure à l’offre. Elle avait cependant été fameusement déplorée par Jessica Seinfeld, l’épouse de Jerry Seinfeld, sur Instagram où elle avait mis en ligne en décembre dernier une photo de sa facture de 415 dollars (voir ci-dessous) acquittée… lors d’une tempête de neige. Incidemment, le client est informé du prix de la course avant de s’engager.

(CC) Jessica Seinfeld

(CC) Jessica Seinfeld

Naturellement, Uber, comme toute entreprise, n’est pas exempt de reproches. En particulier, il a probablement prêté trop peu attention aux enjeux de sécurité à ses débuts (notamment dans la vérification du passé des chauffeurs auxquels il faisait appel). En outre, la start-up n’offre pas les mêmes assurances que les sociétés de taxis en cas d’accident. Enfin, ses tactiques à l’égard de ses concurrents numériques n’ont pas toujours été irréprochables. Ce dernier aspect illustre un défaut d’Uber – et de son patron – qui pourrait lui jouer des tours en termes d’image à l’avenir : une excessive agressivité.

Cependant, la révolution initiée par Uber est en marche. Elle convainc investisseurs comme clients. La start-up a ainsi réuni 307 millions de dollars d’investisseurs tels que Google et Jeff Bezos (à titre personnel). Elle opère aujourd’hui dans 170 villes dans 44 pays et réaliserait près d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires. Sa valorisation, calculée sur la base de ses tours de table financiers, est de 18 milliards de dollars.

Avec cette révolution, Uber s’attaque à une industrie qui a tout fait pour être la cible idéale d’une destruction créative chère à Joseph Schumpeter. Pour être plus juste, je devrais plutôt écrire que ce secteur n’a rien fait. Ainsi Uber innove-t-il davantage – technologiquement et en matière de services – depuis cinq ans que l’industrie des taxis depuis cinquante ans.

Je ne prendrai à cet égard qu’un exemple tout simple qui n’induit aucune technologie mais juste un sens minimal du service client : Uber propose un nouveau service, UberFamily, dans quelques villes américaines. Il s’agit de pouvoir commander une voiture avec un siège enfant. N’était-ce pas une novation à la portée des sociétés de taxis depuis quelques décennies ?

Cette absence d’innovation s’explique aisément : elle résulte de la réglementation qui place les sociétés de taxis en position de monopole (ou de cartel) sur leurs marchés respectifs. Lorsqu’on est assuré de conserver son marché, on n’est pas poussé à innover. On défend son pré carré au lieu de tenter de mieux servir ses clients. Et, lorsqu’un acteur venu de nulle part séduit lesdits clients, on est pris par surprise.

Le résultat est que, du fait du manque d’innovation – et même d’évolution – de cette industrie, c’est son modèle d’activité qui est aujourd’hui en cause. Ce modèle repose sur des licences attribuées en nombre limité à des sociétés et/ou chauffeurs de taxi. Il remonterait à une décision du roi Charles Ier en 1635 outre-Manche**.

Depuis toujours, les acteurs du marché ont plaidé pour que le nombre des licences – et donc l’offre disponible – soit inférieur à la demande. Cela leur assurait de protéger leurs revenus et faisait aussi augmenter le prix unitaire des licences de taxi. Cette hausse ne reflétait pas une progression de l’offre (innovation, meilleur service…) ou des parts de marché des entreprises et individus concernés mais une protection par la puissance publique d’un monopole ou cartel fondé sur une limitation artificielle de l’offre. C’était, pensaient les sociétés de taxis, la garantie ultime contre la concurrence… jusqu’à ce qu’Internet rebatte les cartes.

Un excellent exemple de ce phénomène est la ville de New York où, pourtant, les célèbres taxis jaunes donnent l’impression de pulluler dans les rues… tant qu’on n’en cherche pas un disponible. De manière incroyable, le nombre de licences de taxi y a légèrement décliné entre la fin des années 1930 (14 000) et 2012 (13 237)*** sans aucun rapport, évidemment, avec l’évolution de la population de la ville sur la même période. Conséquence, les licences de taxi valent un million de dollars à Big Apple. Leur valeur a progressé de 1 000% depuis 1980, ce qui en fait un investissement plus de cinq fois plus rentable que l’or. Du fait du lobbying très efficace de l’industrie des taxis, cette situation se retrouve dans la majorité des grandes villes.

En théorie, une licence de taxi est un actif comme un autre. Le secteur des taxis n’est pas le premier à être chamboulé par Internet et à devoir s’adapter ou mourir. Selon la célèbre métaphore, on ne peut pas s’attendre à ce que les fabricants de bougie dominent le marché des ampoules électriques. Mais ce qui rend très particulier ce processus est que, contrairement aux industries “réellement privées” qui sont frappées par l’émergence d’Internet, le secteur des taxis tient sa position dominante de la puissance publique dont il est à la fois l’affidé et le maître-chanteur. Fort de cette relation, il ne veut donc ni mourir ni s’adapter aux nouvelles technologies et aux nouvelles habitudes de ses clients.

Ceci étant dit, la situation des chauffeurs de taxi – même s’ils en sont grandement responsables du fait de la médiocrité de leurs services – est plus apitoyante que celle des sociétés de taxis qui emploient la majorité d’entre eux. Leur licence, acquise à prix d’or et remboursée ensuite sur des décennies, est souvent le gage (au premier sens du terme) de leur retraite. La dévaluation que la concurrence d’Uber & Consorts provoque**** est dramatique, même si elle n’est pas beaucoup plus catastrophique que la condition de nombre d’employés d’autres industries dont les compétences sont dévalorisées par Internet.

Pour ce qui concerne les taxis, le réflexe des pouvoirs publics est généralement de continuer à tout faire pour préserver leurs avantages acquis en appliquant à Uber les réglementations des sociétés de taxis (sans leur donner leurs atouts) ou en lui imposant des handicaps absurdes.

Il ne vient à l’idée d’aucun pouvoir public, au contraire, de surtout réduire les réglementations auxquelles sont assujetties les sociétés de taxis et de créer ainsi un point de rencontre entre les deux segments (les sociétés de taxis et les start-ups). Comme certains experts l’ont proposé, les nouveaux entrants pourraient même être sollicités pour financer une partie de la dévaluation des licences de taxi en échange d’une réglementation assouplie.

L’approche actuelle est d’autant plus aberrante que l’une des conséquences de l’éruption d’Uber & Consorts est d’augmenter la taille du marché (jusqu’à présent artificiellement limitée), ce qui est bénéfique pour l’emploi et la croissance économique.

Dans ce secteur, il semble décidément que la réglementation, au lieu de défendre le consommateur comme c’est sa raison d’être, soit utilisée pour protéger les acteurs dominants (pour combien de temps encore ?). C’est ce qui explique qu’Uber change de vitesses avec le recrutement de David Plouffe pour mener une véritable campagne politique à l’échelle mondiale.

(CC) Adam Fagen

(CC) Adam Fagen

Uber nourrit des ambitions beaucoup plus grandes que la révolution de l’industrie des taxis. Comme nous l’avons vu, son modèle est fondé sur la création d’une place de marché pour mettre en relation clients et prestataires en tirant parti de la contribution de la foule numérique anonyme (crowdsourcing). Il pourrait être appliqué à d’autres secteurs que les seuls taxis afin de fournir un service ultra-personnalisé aux consommateurs (et aux entreprises).

C’est précisément dans cet esprit qu’Uber a annoncé ce matin le lancement à Washington D.C. d’une nouvelle offre, “Corner Store”, permettant aux gens de commander sur leurs smartphones et de se faire livrer gratuitement des produits de première nécessité (dentifrice, couches, préservatifs…). Uber teste donc le marché des services en temps réel que j’évoquais il y a quelques jours.

Comme Shervin Pishevar, l’un des bailleurs de fonds d’Uber, l’a formulé, la start-up pourrait devenir à terme un “noeud numérique” servant une multitude de besoins logistiques dans les villes où elle opère. On pourrait alors vivre ce que certains appellent “la fin de la Société de propriété”. De même qu’on observe déjà un déclin de l’appétence pour la possession de voitures dans certaines villes où Uber est très fortement implanté, on vivrait dans une Société où il serait plus pratique et rentable de louer un grand nombre de produits que de les acheter.

C’est la vision de Trevor Kalanick et c’est pourquoi beaucoup de personnes, dont David Plouffe fait manifestement partie, considèrent qu’Uber pourrait être l’une des entreprises les plus révolutionnaires de ce début de siècle.

* C’est aussi la logique d’Airbnb sur un autre marché.

** Source : DailyDot

*** Source : Boston Globe

**** 50 nouvelles licences de taxi ont été mises aux enchères à Chicago, le mois dernier, avec un prix de départ de 360 000 dollars alors qu’elles valaient dans le passé jusqu’à un million. Pourtant, malgré la grande promotion de cette vente, aucune licence ne fut achetée même à ce prix. (Source : Clicklabs)

Ajouter un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Remonter

Logo créé par HaGE via Crowdspring.com

Crédits photos carrousel : I Timmy, jbuhler, Jacynthroode, ktsimage, lastbeats, nu_andrei, United States Library of Congress.

Crédits icônes : Entypo