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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Donald Trump : le plus mauvais communicant de sa génération

Il avait tout pour gagner. Il a tout gâché – sa candidature, les espoirs et l’honneur des conservateurs et une certaine idée de la démocratie américaine.

Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré.Christophe Lachnitt

Cette année, un labrador1 républicain aurait probablement remporté l’élection présidentielle outre-Atlantique. La demande de changement, la désaffection à l’égard des élites et l’image personnelle de Hillary Clinton2 (incarnation de la continuité, représentative jusqu’à la caricature de l’aristocratie politique et considérée comme indigne de confiance) lui auraient assuré ce succès.

C’est pourquoi les Républicains étaient convaincus, à juste titre, que ce scrutin leur était acquis. Puis Donald Trump gagna la primaire du Parti, notamment grâce à sa faculté à personnifier les crispations identitaire et contestataire de ses sympathisants. Dès lors, son discours de haine, son incompétence et sa faillite caractérielle transformèrent progressivement Pennsylvania Avenue, l’artère qui mène à la Maison-Blanche, en autoroute pour Hillary Clinton. Ce n’est probablement pas le projet de génie civil dont le promoteur immobilier rêvait un jour de se prévaloir.

Depuis l’annonce de sa candidature, le génie de Donald Trump en matière de communication a été souligné par tous les observateurs. Il est vrai qu’il a rebondi après avoir connu des échecs retentissants dans son premier métier de développeur immobilier en créant une activité autour de la licence de la marque Trump. Il est aussi vrai qu’il s’est distingué au début de sa campagne par l’efficacité de son message.

Mais l’année écoulée nous a montré que la promotion de la marque Trump à travers une omniprésence dans les tabloids et l’animation d’une émission de télé-réalité n’a rien à voir avec le management d’une campagne présidentielle.

Comme l’a fameusement dit Bonaparte, en effet,

On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérances“.

Trump a incarné avec la vigueur du mépris qu’il ressent pour le monde entier la colère d’une partie de l’Amérique à l’égard de l'”établissement”. Cela lui a permis de remporter la primaire républicaine alors que l’appareil conservateur, ne croyant pas à son succès, réalisait trop tard qu’il fallait employer contre lui les grands moyens3. Mais cela ne suffit heureusement pas (encore) à gagner un scrutin présidentiel au pays de Washington et Lincoln.

De fait, le milliardaire rouge4 a été incapable de proposer une vision aspirationnelle5 à ses concitoyens. Dans la nation la plus optimiste de la planète, la haine n’est pas un projet de Société. Cette incapacité constitue le premier fiasco de communication de Trump.

(CC) Gage Skidmore

(CC) Gage Skidmore

Son deuxième échec est lié à son narcissisme (que j’ai analysé ici dans la foulée du premier débat entre Clinton et Trump).

Le candidat républicain est incapable de s’intéresser à autre chose qu’à lui-même et de centrer sa campagne sur quoi que ce soit d’autre que ses émotions du moment. Il a la capacité d’attention et la maturité psychologique d’un enfant en bas âge, ce qui est rédhibitoire lorsqu’on vise les plus hautes responsabilités.

Centré sur son ego, il enchaîna ainsi les erreurs stratégiques et tactiques, permettant à Hillary Clinton de se soustraire à ses propres crises, qu’un candidat républicain plus qualifié et discipliné n’aurait pas manqué d’exploiter.

Ces derniers temps, il était d’ailleurs apparent que les médias américains, lassés de narrer par le menu les turpitudes de Trump, souhaitaient commencer une nouvelle séquence destinée à maintenir l’attention de leurs publics. Celle-ci aurait pu concerner le redressement de la campagne de Trump ou l’examen plus approfondi, à la défaveur des révélations de WikiLeaks, de la conformité de Hillary Clinton à la fonction qui lui semble de plus en plus promise.

Mais Trump, jamais avare d’une déclaration scandaleuse ou d’une opération désastreuse, sortit toujours Clinton d’un mauvais pas potentiel avant même qu’elle n’ait le temps de le commettre.

Considérez ces quatre exemples représentatifs mais loin d’être isolés :

  • quelques heures seulement avant son deuxième débat avec Hillary Clinton, Trump organisa une conférence de presse avec quatre femmes qui accusent Bill Clinton d’agression sexuelle. Son objectif était de se présenter comme injustement vilipendé dans ce même domaine alors que l’ancien Président serait plus coupable que lui. S’il avait vraiment voulu ainsi prendre la parole juste avant le débat, une idée déroutante en soi, il aurait dû consacrer sa conférence de presse aux emails de la campagne de Hillary Clinton que venait de publier WikiLeaks et qui exposaient au grand jour des sujets autrement plus importants aux yeux des électeurs (et, incidemment, de la presse), au premier rang desquels les positions de la candidate démocrate en matière de libre échange ou de régulation de Wall Street. Au contraire, son point presse entretint le tumulte sensasionnaliste et détourna l’attention de ces sujets de fond ;
  • lors du troisième et dernier débat, il livra sa performance la moins mauvaise (ce qui ne veut pas dire qu’elle fut empreinte d’une réelle compétence sur le fond) pendant la première partie des échanges avant, une nouvelle fois, de donner la victoire à Clinton en affirmant qu’il n’était pas certain d’accepter le résultat de l’élection, considérant celle-ci truquée par le fait que sa rivale ait pu se présenter (alors qu’il juge qu’elle devrait être en prison) et par la complicité supposée des médias à son endroit. De nouveau, les médias ne retinrent que cette scandaleuse déclaration qui occulta la gêne exhibée par Hillary Clinton sur certaines thématiques ;
  • son insistance à expliquer depuis ce débat, contre toute évidence et contre l’avis de tous les dirigeants républicains sérieux, que l’élection est truquée, si elle met du baume sur son ego blessé par sa défaite désormais annoncée, constitue la meilleure manière de décourager ses supporters d’aller voter. Cela pourrait avoir non seulement des conséquences sur le résultat de l’élection à la Maison-Blanche (sans en changer l’issue) mais aussi sur les 500 scrutins qui vont se dérouler le 8 novembre dans le pays. Même s’il est difficile d’en évaluer l’impact, cette antienne pourrait donc porter un coup aux perspectives politiques des Républicains pour les prochaines années ;
  • lors de ce qu’il présenta comme “un grand discours” sur ses 100 premiers jours à la Maison-Blanche s’il était élu, il commença, samedi dernier, par déblatérer sur les femmes qui l’ont accusé d’avoir commis sur elles les actes dont il se vante dans une vidéo tournée en 2005 et affirma qu’il les poursuivrait en justice. Naturellement, tout le reste de son discours, destiné à tenter de mobiliser les électeurs républicains autour de mesures symboliquement conservatrices, fut éclipsé.

Pourtant, les focus groups6 montrent que, lorsqu’il colle aux messages préparés par ses équipes, Trump obtient de bons scores d’adhésion auprès des citoyens de son camp. En effet, ceux-ci sont toujours en quête d’un héraut incarnant leurs convictions.

Mais Trump est incapable de maîtriser son ego et ses émotions. Il préfère s’en prendre, sans aucune logique ni cohérence, à tous ceux qui ont le bonheur de lui déplaire. The New York Times a d’ailleurs publié avant-hier une liste des 281 personnes et organisations que Trump a insultées sur Twitter depuis qu’il s’est déclaré candidat à la Maison-Blanche :

(CC) The New York Times

(CC) The New York Times

Et c’est ainsi que, à forces d’errements stratégiques et d’aberrations tactiques de Trump, le Texas est désormais un Etat disputé entre les deux prétendants à la Maison-Blanche, situation inimaginable dans la configuration politique actuelle.

Dès le 9 novembre, tout ce que le Parti républicain compte de leaders plus ou moins éclairés – ceux qui n’ont pas soutenu la candidature de Trump comme ceux qui l’ont épaulée – vont lui imputer férocement la responsabilité de sa/leur défaite7.

Les uns affirmeront qu’ils ont été clairvoyants et vertueux en ne le supportant pas, les autres diront qu’ils ont fait preuve de discipline et de solidarité partisanes. Tous auront un intérêt commun : couper, sans s’aliéner ses électeurs, la branche Trump qui a gangrené l’arbre républicain depuis un an et demi. Mais il leur faudra mener une introspection beaucoup plus sérieuse pour réformer en profondeur un parti en déshérence.

Je rappelle régulièrement sur Superception l’étymologie du mot “communication” (“communicare” en latin), apparu au quatorzième siècle pour signifier mettre en commun, partager. Et je vous ai exposé ma conviction que “la communication est la science de l’autre” :

Pour faire passer son message, le communicant doit toujours, à chaque étape de sa réflexion et de son action, s’intéresser à l’autre, à son public cible, avant d’être centré sur son propre intérêt“.

C’est parce qu’il a ignoré durant toute sa campagne ce double principe fondamental que Donald Trump va échouer à gagner une élection qui lui était promise et qu’il est le plus mauvais communicant de sa génération.

1 La race de chiens la plus populaire outre-Atlantique.

2 Le candidat démocrate à la Maison-Blanche le plus impopulaire de tous les temps.

3 Il est incompréhensible, à cet égard, que les nombreuses révélations sorties sur Trump depuis trois mois n’aient pas été rendues publiques il y a un an.

4 La couleur du Parti républicain aux Etats-Unis.

5 On observe d’ailleurs ici la différence entre une communication aspirationnelle, qui mobilise ses publics autour d’une vision positive, et une communication inspirationnelle qui les enrôle autour d’un projet qui peut-être constructif ou, comme c’est le cas de celui de Donald Trump, destructif.

6 Groupes de discussion servant des recherches qualitatives.

7 D’ores et déjà, sa directrice de campagne commence à expliquer que certaines erreurs que son candidat a commises relèvent de sa seule responsabilité. Du jamais vu.

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