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Plates-formes de contenus : la vision de Medium n’est plus prophétique

Ev Williams, fondateur de la plate-forme de publication de contenus Medium, a annoncé l’abandon de sa stratégie actuelle et la suppression d’un tiers de ses effectifs. Ces décisions confirment la crise éditoriale dans laquelle l’ensemble du web s’enfonce.

Créé il y a quatre ans et demi, Medium se destinait à être “un nouveau modèle de média sur Internet”. Bénéficiant de la renommée et des réseaux d’Ev Williams, ancien cofondateur de Blogger et Twitter, la start-up a levé pas moins de 132 millions de dollars depuis son lancement et était valorisée à plus de 600 millions de dollars lors de son dernier tour de financement.

Cependant, son itinéraire stratégique fut très sinueux. Conçu comme un outil de blogging, Medium se transforma en plate-forme de publication avec l’acquisition du magazine en ligne Matter en 2013 et l’embauche de journalistes pour produire des contenus originaux. Puis cette priorité fut délaissée en 2015 et un bureau ouvert à Washington D.C. pour tenter de métamorphoser Medium en site de mise en ligne de communiqués de presse et éditoriaux politiques. Enfin, Medium connut une nouvelle mue en 2016, affirmant son ambition de devenir la plate-forme de publication de référence pour les producteurs de contenus professionnels.

C’est alors que fut lancé le programme de monétisation proposé auxdits producteurs, qui reposait notamment sur des offres de publicité native. Une trentaine de sites, au premier rang desquels des médias en vogue (The Awl, The Bold Italic, The Ringer, Think Progress…), migrèrent sur Medium. La start-up offrit d’ailleurs des garanties de revenus à certains sites pour les attirer, et ce même s’ils ne vendaient pas le volume de publicités afférent.

Désormais, Ev Williams annonce que cette méthode n’est pas pertinente pour réaliser sa vision consistant à monétiser les contenus de qualité et l’abandonne. Il engage une réflexion pour définir une nouvelle stratégie dont il ne préjuge pas la nature.

Ev Williams - (CC) Christopher Michel

Ev Williams – (CC) Christopher Michel

Dans son message, il affirme que le modèle fondé sur la maximisation du nombre de clics et de pages vues est “cassé”. Il argue que la grande majorité des contenus que nous consommons sont financés dans un but mercantile par des entreprises, une assertion qui me semble très exagérée.

Si le modèle éditorial est aujourd’hui déficient, c’est à mon sens en raison du phénomène que j’évoquais sur Superception il y a quelques mois :

L’un des impacts médiatiques les plus négatifs de la révolution numérique, sociale et mobile est la multiplication sans fin du nombre de médias et de commentateurs individuels sur Internet, favorisée par la gratuité de la production et la diffusion de contenus numériques. Cette évolution présente le paradoxe d’être positive pour la liberté d’expression et négative pour la démocratie.

En effet, elle crée un besoin inextinguible de contenus pour alimenter tous ces médias. Or la qualité de cette production éditoriale ne peut pas être équivalente à sa quantité. Plus le volume de contenus augmente, plus leur valeur moyenne diminue. Trop de journalisme tue le journalisme.

Tous les médias en viennent ainsi à se focaliser sur des sujets dérisoires car les plus vils contaminent les plus sérieux : par peur d’être déconnectés du grand public, les médias d’information traitent de sujets relevant des tabloïds. La surinformation génère une sous-information”.

En d’autres termes, l’économie de l’attention – alors que le volume de contenus disponibles est infini et leur coût de diffusion nul, la seule variable d’ajustement est l’attention des publics – pousse des médias pris dans une compétition de plus en plus violente pour l’audience à privilégier le sensationnel sur l’essentiel. Des pièges à clics (“clickbait“) aux fausses informations en passant par les bulles de filtres, les dérives se multiplient avec la complicité active des internautes.

Fidèle à son objectif initial, Ev Williams veut rompre avec l’approche quantitative dominante (maximiser le nombre de vues pour générer des revenus publicitaires) et inventer un modèle permettant de monétiser les contenus de qualité.

Il faut dire que, avec “seulement” 60 millions de visiteurs mensuels, Medium n’est pas en position de rémunérer publicitairement les producteurs de contenus qui utilisent sa plate-forme. En effet, par rapport aux champions du secteur, Medium pâtit d’un manque d’effet d’échelle (publication de contenus très fragmentée et audience très insuffisante) et de capacité de ciblage (les réseaux sociaux, par exemple, disposent de beaucoup plus d’informations que Medium sur les centres d’intérêt des internautes).

En réalité, ainsi que je l’explique dans mon dernier livre sur la transformation numérique, “Le génie gênant“, le meilleur modèle numérique pour monétiser des contenus qualitatifs me semble être l’abonnement. Il est notamment favorisé par le concept de longue traîne (“long tail” en anglais) qui pose que, grâce aux facultés de distribution illimitées offertes par le web, les produits les moins demandés peuvent représenter un marché cumulé supérieur aux plus populaires. En termes médiatiques, ce modèle induit qu’un producteur de contenus consacrés à un sujet de niche peut trouver sur Internet une audience conséquente.

En outre, les médias de niche présentent deux caractéristiques qui favorisent le modèle de l’abonnement :

  • ils proposent des contenus plus spécialisés qui suscitent une fidélité plus grande de la part de leurs lecteurs ;
  • ils bénéficient d’un positionnement de marque plus identifiable et lui aussi plus propice à une relation loyale avec leurs clients.

Ces deux caractéristiques peuvent se retrouver chez d’autres producteurs de contenus bénéficiant d’une identité forte, que celle-ci relève d’un positionnement politique, de la couverture d’un secteur industriel ou d’une zone géographique spécifique, ou d’un ton reconnaissable.

Qui peut le moins peut le plus : naturellement, le modèle de l’abonnement n’est pas adapté qu’aux médias de niche. C’est pourquoi le principe de fonctionnement de Patreon, une plate-forme qui permet à des producteurs de contenus (articles, musiques, vidéos, podcasts…) de créer un service d’abonnement individuel pour se rémunérer, me semble plus logique que celui de Medium, même s’il ne bénéficie pas du lustre médiatique (et du niveau d’investissement) associé à Ev Williams.

Incidemment, ce dernier a mis en place au mois d’avril dernier un système d’abonnement comparable dont il ne fait pas état dans son annonce du jour. Il s’agit donc peut-être d’une option qu’il veut se donner le temps d’explorer davantage.

De fait, si les contenus ne sont pas financés par les annonceurs, il ne reste que les internautes pour les rémunérer. Or cette seconde approche présente l’avantage de servir le citoyen alors que la première privilégie le consommateur.

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