Talents : l’intelligence artificielle va-t-elle faire prévaloir l’acquis sur l’inné ?

Une passionnante expérimentation menée par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pose la question.

Cette recherche avait pour objectif d’examiner les effets de ChatGPT sur la productivité pour des tâches d’écriture de niveau moyen. Notons d’emblée que ces tâches correspondent aux facultés intrinsèques du robot conversationnel d’OpenAI et qu’elles concernent les cols blancs davantage que les cols bleus. Au-delà de la robotisation, les répercussions de l’intelligence artificielle sur le marché de l’emploi vont d’abord impacter les salariés administratifs (au sens de non-industriels) et les cadres.

Dans l’expérience du MIT, 444 personnes ayant suivi des études supérieures se virent assigner des travaux d’écriture. La moitié d’entre elles, choisie au hasard, put utiliser ChatGPT. Le recours à ChatGPT augmenta considérablement la productivité moyenne des participants qui y eurent recours.

En outre, et c’est beaucoup plus intéressant, l’exploitation du robot conversationnel réduisit l’inégalité entre les participants en rapprochant la production des personnes les moins douées naturellement de celle des plus talentueuses. Last but not least, l’usage de ChatGPT augmenta la satisfaction au travail des participants.

Les conclusions de l’expérimentation du MIT suscitent deux questions évidentes : l’intelligence artificielle, en rendant meilleurs les salariés les moins doués, va-t-elle déprécier la valeur des experts au sein des organisations ? Partant, les salaires vont-ils baisser, la contribution humaine étant nivelée par l’intelligence artificielle ?

C’est ici, il me semble, qu’il faut opérer une distinction entre inné et acquis. Certes, les intelligences artificielles vont pouvoir effacer une partie significative de certains talents innés, ainsi que le démontre la recherche menée par le MIT. Mais d’autres talents, acquis ceux-là, vont rester déterminants.

J’en citerai trois qui me paraissent devoir être entretenus par tous les professionnels qui craignent la concurrence de l’intelligence artificielle :

• l’humanité : jusqu’à ce que des algorithmes puissent ressentir aussi finement des émotions que les humains, ces derniers bénéficient d’un atout unique qu’ils ont cultivé dans leur relation aux autres depuis qu’ils sont nés ;
• le discernement : souvent, ce n’est pas la détention de compétences qui fait la différence mais la manière de les mettre à profit, en particulier en situation d’urgence ou de crise. Cette capacité de jugement développée avec l’expérience de la vie fait aujourd’hui grandement défaut aux intelligences artificielles ;
• la motivation : le goût du travail et, plus encore, du travail bien fait, que certains stimulent au cours de leurs études puis de leur carrière, ne fera peut-être pas toujours la différence avec l’activité d’une intelligence artificielle mais pourra distinguer des salariés de leurs collègues et leur conférer un avantage sur le marché de l’emploi.

Je voudrais conclure ces quelques pistes d’analyse avec une réflexion plus globale : urgemment, tout le monde va devoir apprendre à travailler avec des intelligences artificielles. Au-delà de la réforme du système éducatif – qui représente un enjeu colossal –, c’est aujourd’hui la responsabilité de chaque individu d’apprendre à maîtriser ces outils dans une optique d’apprentissage et d’amélioration continus. Si vous attendez que votre employeur vous propose une formation dans ce domaine, il sera trop tard tant ces technologies évoluent rapidement et nécessitent d’être pratiquées pour être comprises.

Cet investissement personnel est d’autant plus important que, à mon sens, vous risquez davantage d’être remplacé, demain, par une personne qui saura travailler avec des intelligences artificielles que par une intelligence artificielle.