Le pouvoir de l’ignorance

L’innovation hors des sentiers battus.

Aujourd’hui, je voudrais vous entretenir de deux extraits des podcasts de Rick Rubin, l’iconique producteur de musique que je vous avais présenté dans cet article. Ces deux passages, qui émanent de deux superstars, traitent du même thème : le pouvoir de l’ignorance.

The Edge, le génial guitariste de U2, parle ainsi du talent d’Adam Clayton, le bassiste de la formation irlandaise :

“Adam est probablement le musicien le moins conventionnel du groupe, dans la mesure où sa compréhension des règles de base de la musique est très ténue. Adam apporte donc une qualité peu orthodoxe à notre travail, ce qui est extrêmement important. Il fait souvent des choses auxquelles personne d’autre n’aurait pensé. Pour lui, c’est tout aussi valable que les choses que la plupart des gens considèrent comme évidentes. A ses yeux, il n’y a pas de différence. C’est une grande force pour notre groupe”.

Quant à Arnold Schwarzenegger, il évoque comme suit son approche des problèmes politiques lorsqu’il fut élu Gouverneur de Californie :

“Du fait de ma naïveté, j’ai abordé certains enjeux en considérant que, si je pensais que je devais faire quelque chose à leur sujet, je ne devais pas m’incliner et me dire que cela avait toujours été fait ainsi : c’est la manière dont ils voulaient faire les choses il y a 200 ans et, par conséquent, nous devrions continuer de la sorte. Quand on est un peu naïf, on n’accepte généralement pas le statu quo. On ne sait pas ce qui est impossible“.

Ce pouvoir de l’ignorance que The Edge et Arnold Schwarzenegger mettent en exergue est l’objet de l’une de mes citations favorites, que l’on doit à Shunryu Suzuki, le moine qui fut à l’origine de la popularisation du bouddhisme zen aux Etats-Unis :

“Dans l’esprit du débutant, il existe de nombreuses possibilités. Dans l’esprit de l’expert, il y en a peu“.

Cette réalité induit à mon sens au moins deux principes de management.

En premier lieu, il ne faut pas seulement se comparer aux entreprises du marché dans lequel on opère. Le benchmark avec des acteurs d’autres secteurs peut mettre en lumière des stratégies et méthodes disruptives car impensées hors du cadre dans lequel elles sont pratiquées. Plus le domaine dont on s’inspire est éloigné du sien, plus on a de chances d’y percevoir une approche aussi déconcertante que gagnante.

En second lieu, les experts, que leur compétence procède d’une connaissance théorique ou d’une expérience acquise sur le terrain, sont naturellement indispensables dans toute organisation. Mais il importe aussi de saupoudrer celle-ci avec des regards neufs susceptibles de voir les choses différemment et, partant, de faire émerger des points de vue et des solutions qui échappent aux spécialistes. C’est pourquoi il convient de régulièrement recruter des talents pour leur mentalité, plutôt que pour leur expertise, puis de leur apprendre les savoir-faire propres au métier qu’on souhaite les voir exercer.

Comme Marcel Pagnol le souligna dans une citation le plus souvent attribuée à Mark Twain, “tout le monde savait que c’était impossible. Un ignare ne le savait pas : il l’a fait“.