6 septembre 2013 | Blog, Blog 2013, Marketing | Par Christophe Lachnitt
Marissa Mayer, papillon de nuit attiré par sa propre lumière
Nouveau logo et stagnation du business : la patronne de Yahoo! nous révèle cette semaine ses vraies priorités et compétences.
Yahoo! a présenté sa nouvelle identité graphique après un teasing d’un mois (lire ici) durant lequel l’Entreprise a affiché chaque jour sur son site une variation de son logo (voir ci-dessous).
Le problème est que cette montagne de teasing a accouché d’une souris créative. Yahoo! n’avait pas changé de logo depuis sa constitution en société en 1995 (la seule évolution avait été le passage du rouge au violet en 2009). On pouvait donc s’attendre à une transformation notable illustrant le nouveau Yahoo! que Marissa Mayer affirme construire depuis 14 mois.
Au lieu de cela, on se retrouve avec un logo sans personnalité, beaucoup moins dynamique et excentrique que le précédent et, in fine, moins identifiable que son prédécesseur. C’est un comble pour une marque qui évolue dans un environnement de marché aussi compétitif que celui de Yahoo!
A mon humble avis (et c’est partiellement une affaire de goût), la police et l’effet 3D sont datés, le violet a perdu son brio et l’articulation et la taille des lettres sont dénuées de toute originalité. Même si ce n’est pas ce que Yahoo! affirme, ce logo, beaucoup plus régulier et conformiste que l’ancien, tente peut-être de lui donner une image de stabilité.
La vidéo officielle (voir ci-dessus) insiste d’ailleurs sur les propriétés mathématiques et géométriques du nouveau logo. On retrouve là davantage une illustration de l’obsession de son initiatrice qu’un présage de son succès auprès du grand public. Pour tout dire, on ne peut pas faire preuve de moins d’empathie.
Ainsi que je l’avais souligné lors du lancement du teasing de Yahoo! et que les exemples de Gap et Tropicana (opportunément rappelés par AdAge) le montrent, il est très risqué, surtout à l’ère des commentaires non-stop sur les réseaux sociaux (voir cette page Tumblr dédiée à des designs alternatifs du logo de Yahoo!), de changer d’identité graphique. C’est pourquoi l’inanité de cette évolution la rend d’autant plus stérile et inutilement coûteuse.
L’explication de cette vacuité est certainement à trouver dans la méthode utilisée. Marissa Mayer nous explique en effet dans un long article sur Tumblr, la plate-forme de blogging simplifiée qu’elle a fait acquérir par Yahoo! pour un milliard de dollars, que le nouveau logo a été conçu en un week-end par elle-même, le directeur de la création graphique, le directeur créatif et un stagiaire de Yahoo! Les collaborateurs, clients et actionnaires de Yahoo! seront certainement ravis d’apprendre que la patronne d’une entreprise de 5 milliards de dollars en proie à des difficultés stratégiques et opérationnelles majeures passe ses week-ends à dessiner le nouveau logo de la marque. Toujours animée de son inextinguible arrogance, ladite patronne s’estime en tout cas compétente pour cette mission.
L’article de Marissa Mayer sur Tumblr (dont vous pouvez lire ici une hilarante parodie) en dit d’ailleurs beaucoup plus sur son approche que le laborieux logo dont elle vient de doter Yahoo! Dès le début de l’article, elle nous explique que “personnellement, j’aime les marques, les logos, les couleurs, le design et, plus que tout, Adobe Illustrator. Je considère que c’est l’une des suites logicielles les plus incroyables jamais conçues. Je ne suis pas une pro mais j’en sais assez pour être dangereuse“. Je ne peux résister au fait de relever que le nouveau logo prouve la justesse de cette assertion.
Plus généralement, ce texte souligne une nouvelle fois le besoin inextinguible de Marissa Mayer de toujours tout ramener à sa gigantesque personne (une tendance que j’avais déjà mise en lumière lors de sa nomination à la tête de Yahoo!). Aucune entreprise, aucune annonce stratégique, aucune dynamique collective d’entreprise ne semblent assez grandes pour égaler à ses yeux l’intérêt que devrait susciter sa personnalité.
Il aurait été tellement plus pertinent de centrer cette annonce sur les parties prenantes de Yahoo!, au premier rang desquelles ses collaborateurs, qui sont les publics auxquels s’adresse ce nouveau logo et qui vont le faire vivre. Mais non. L’amour de Madame Mayer pour les couleurs et Adobe Illustrator doit être détaillé dès les premières lignes de la présentation officielle du nouveau logo du groupe qu’elle dirige. Elle est convaincue que c’est là ce qui importe. Nombre de dirigeants d’entreprise ont un égo surdimensionné mais quel autre patron fait-il ainsi toujours passer son identité avant celle de la société qu’il dirige et micro-manage à ce point ? Marissa Mayer ou le cannibalisme de l’égotisme…
L’égérie de Vogue nous raconte ainsi qu’elle décida un jour de “retrousser ses manches et plonger dans les tranchées avec son équipe créative” et qu’ils dessinèrent le nouveau logo de Yahoo! en un week-end. Elle nous gratifie d’une longue explication du sens et des détails graphiques (et mathématiques) du logo. Je suis habitué aux commentaires oiseux des agences de design graphique à propos de leurs créations mais je me dois de reconnaître que, dans ce domaine, Marissa Mayer n’a rien à leur envier : “nous savions que nous voulions un logo reflétant Yahoo! – fantaisiste tout en étant sophistiqué. Moderne et dynamique avec un clin d’oeil à notre histoire. Doté d’une touche humaine et personnelle. Fier.” Celles et ceux qui perçoivent tous ces éléments dans le nouveau logo de Yahoo! ont gagné un cours de design avec Marissa Mayer.
Ce que cette dernière n’aborde pas du tout, en revanche, est le sens porté par ce logo dans le cadre de la transformation qu’elle conduit à la tête de Yahoo! Elle est intarissable sur l’image, muette sur le message. Il faut dire qu’elle excelle dans celle-là et s’emmêle dans celle-ci. Ainsi, le seul métrique qui a vraiment augmenté depuis son accession à la tête de Yahoo! est le volume d’articles de presse et de conversation numérique sur l’Entreprise (et sur elle-même naturellement). A cet égard, comme l’a noté sur son fil Twitter Preshit Deorukhkar, directeur de la publication du magazine dédié au design Beautiful Pixels, “un mauvais logo est tout ce qu’il aura fallu à Yahoo! pour que tout le monde en parle“.
L’utilisation des services de la marque et ses résultats financiers n’ont pas profité des multiples acquisitions dispendieuses réalisées par Marissa Mayer (lire ici). Même le claironné passage de Yahoo! devant Google en termes de visiteurs uniques au mois de juillet n’est pas fondé sur des données pertinentes (lire ici). En réalité, l’activité commerciale de Yahoo! stagne dans un marché en pleine croissance et, selon des informations de presse, cette situation commencerait à poser problème au sein de la direction de l’Entreprise.
Il semble ainsi qu’Henrique De Castro, le patron opérationnel que Marissa Mayer a fait venir à prix d’or de Google (une rémunération globale de 56 millions de dollars) ne parvienne pas à produire de résultats probants en matière de revenus publicitaires, pêchant par manque de proximité avec les annonceurs et arrogance interne et externe, deux déficiences pour lesquelles il était déjà connu lorsqu’il oeuvrait au sein de Google (son recrutement par Mayer avait d’ailleurs beaucoup surpris).
Or, le même jour qu’il présentait son nouveau logo, Yahoo! annonçait le recrutement de Ned Brody, un ancien cadre d’AOL, pour diriger ses ventes aux Etats-Unis. Ce énième recrutement d’un dirigeant de haut niveau repose la question que j’ai déjà traitée sur Superception (lire notamment ici et ici) et à laquelle le portrait de Marissa Mayer récemment publié par Business Insider (qui confirme notamment qu’elle ne s’intéresse pas à l’activité commerciale) a donné une nouvelle acuité : au-delà d’être un aimant pour l’attention médiatique, quelle est la valeur ajoutée de Marissa Mayer à la tête de Yahoo ?
La force d’aimantation médiatique de Marissa Mayer repose sur son amour de la lumière. La dirigeante de Yahoo! est comme ces papillons de nuit attirés par les ampoules électriques car ils les confondent avec l’éclat de la lune leur permettant de s’orienter dans la nuit. Comme les insectes qui tournent autour des ampoules, Marissa Mayer tourne autour de la lumière médiatique qu’elle recherche en permanence.
Elle est son propre astre.