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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Information numérique : l’ivresse d’ivraie

Facebook est au coeur d’une nouvelle affaire avec sa rubrique “Trending Topics“.

Au mois de mai dernier, le groupe de Mark Zuckerberg avait été accusé par des conservateurs, outre-Atlantique, de censurer les contenus d’obédience républicaine sur cette rubrique. Celle-ci ne s’adresse qu’aux abonnés américains de Facebook auxquels elle montre les sujets d’actualité les plus populaires sur le réseau. J’avais alors expliqué dans un édito de la Newsletter Superception pourquoi cette polémique me semblait très exagérée.

Trending Topics” se retrouve de nouveau au centre de l’actualité ces jours-ci.

La semaine dernière, Facebook a annoncé qu’il transférait la conception de cette rubrique d’une équipe éditoriale composée de 26 personnes à un algorithme d’intelligence artificielle.

Or, hier, “Trending Topics” a mis en avant une fausse actualité relative à Megyn Kelly, la brillante et pugnace journaliste-vedette de Fox News qui s’est notamment fait remarquer au cours de l’année écoulée pour avoir été la première à confronter Donald Trump sur certains des scandales qui ternissent sa campagne pour la Maison-Blanche.

Cette fausse nouvelle affirmait que Megyn Kelly avait été licenciée par la grande chaîne conservatrice en raison de son soutien à la candidature d’Hillary Clinton (voir la capture d’écran reproduite ci-dessous).

(CC) Facebook via The Washington Post

(CC) Facebook via The Washington Post

Cette fable, née sur un site web ultra-conservateur et véhiculée sur des médias en ligne du même acabit, est doublement fausse : Kelly ne supporte aucunement Hillary Clinton, qu’elle critique plus souvent qu’à son tour dans son émission quotidienne, et n’a pas été licenciée de Fox News. Au contraire, la chaîne fait son maximum pour conserver sa plus grande star dont le contrat arrive bientôt à échéance.

Pourtant, cette nouvelle fut distinguée par “Trending Topics” et, grâce à cette promotion, recueillit rapidement 200 000 “likes sur Facebook. Si je faisais preuve d’ironie, je soulignerais que cette mésaventure devrait rassurer les conservateurs américains sur les prétendus efforts de censure anti-républicaine de Facebook.

Mais le sujet est beaucoup plus grave.

En effet, la tendance que je déplorais sur Superception il y a huit mois ne fait que s’aggraver. J’écrivais alors dans “Le journalisme et la Société du mensonge” :

Comme le montre jusqu’à l’absurde l’exemple de Donald Trump, le mensonge se métastase désormais dans les Sociétés démocratiques à un degré qu’on aurait pu croire – et espérer – limité aux régimes autoritaires et totalitaires.
Le paradoxe est que les médias sont plus ouverts et libres que jamais, ce qui devrait, en théorie, assurer une prévalence irréfragable de la vérité.

Or, si les plates-formes numériques favorisent l’expression indépendante de toute opinion, elles permettent également la formation, sans restriction d’aucune sorte, de communautés dont les membres peuvent être aussi éloignés géographiquement qu’ils sont proches idéologiquement.

Ainsi, alors que, jusqu’à présent, les médias étaient globalement créateurs de consensus, sont-ils devenus, avec l’explosion du web social, générateurs de collapsus. […]

Quand chacun peut énoncer sur le web social – et par ricochet dans les médias traditionnels – une vérité sans le moindre rapport avec les faits, la réalité devient une notion secondaire, quasi imaginaire au sens où elle relève davantage des fantasmes des citoyens que de la certitude des faits.

Le grand sociologue et sénateur américain Daniel Patrick Moynihan a écrit que tout le monde a le droit à ses propres opinions mais pas à ses propres faits”. Avec le web social, tout le monde a le droit à ses propres opinions et celles-ci ont valeur de fait. Tout le monde a donc le droit à ses propres faits […]

Ainsi la mécanique qui se développe sur le web social fait-elle du peuple le complaisant instrument de sa propre tromperie. Paradoxalement, le suffrage universel se meurt peut-être d’un excès de démocratie médiatique.

C’est pourquoi la responsabilité des journalistes est plus grande que jamais et leur recherche d’une neutralité préservant toutes les catégories de leurs audiences un renoncement éthique que la démocratie ne peut plus se permettre“.

Megyn Kelly - (CC) Fox News via YouTube

Megyn Kelly – (CC) Fox News via YouTube

La dérive de “Trending Topics” (re)met à l’ordre du jour une responsabilité complémentaire de celle des journalistes : celle des grandes plates-formes numériques qui jouent un rôle déterminant dans la propagation de fausses informations.

Or l’intelligence artificielle qui régit les services qui nous sont proposés sur Internet est programmée pour nous faire plaisir à notre insu en allant, en particulier, dans le sens de nos opinions. Ce faisant, le web tend à nous emprisonner dans une “bulle de filtres” (“filter bubble“) pour reprendre l’expression créée en 2011 par l’activiste numérique américain Eli Pariser.

Cet enfermement idéologique constitue en soi une menace pour le débat civique comme je l’avais souligné il y a cinq ans dans “Pas d’accord avec Bill Gates sur le rôle joué par Internet en matière de perception politique” :

L’économie du web – qui permet de produire et diffuser des contenus à coût presque nul – a pour conséquence un émiettement illimité des sources d’information. On assiste donc à une communautarisation de la pensée sur Internet où chaque camp et chaque clan au sein de chaque camp s’informent et échangent en circuit fermé.

Les chaînes de télévision et les radios, qui doivent cibler un public plus large car leurs coûts d’exploitation sont supérieurs à ceux d’Internet, ne sont pas encore aussi polarisés. Certaines émissions peuvent l’être mais pas des chaînes entières. Même sur Fox News – la chaîne conservatrice du groupe de Rupert Murdoch -, on est exposé à davantage d’opinions divergentes que sur des sites Internet tels que www.rightbias.com.

Internet offre certes un potentiel d’information et de diversité d’opinions sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. Mais il donne également les moyens de se soustraire complètement à ce puits de connaissance pour rester dans une bulle complètement étanche“.

La propagation de fausses informations sur Facebook, Twitter & Consorts donne à cet enfermement une puissance à la fois endogène (en confirmant à ses victimes la prétendue pertinence de leurs lubies) et exogène (en diffusant lesdites lubies à un public toujours plus vaste).

On en revient in fine à la question de la relation avec la vérité que j’explorais cet été dans un article consacré à Donald Trump :

Le rôle de la presse est-il de résister à la campagne d’un candidat présidentiel qui a remporté sans coup férir la primaire républicaine face à seize candidats en recueillant le plus grand nombre de votes de l’histoire américaine (plus de 14 millions) ?

La réponse à cette question dépend de la mission qu’on attribue aux journalistes.

S’ils sont des agents de divertissement, comme les divers commentateurs et célébrités qui peuplent désormais le paysage médiatique, il est logique qu’ils traitent Donald Trump comme un phénomène de foire. Entre amuseurs, on se comprend et on s’entraide.

S’ils sont des auxiliaires de la démocratie, ce comportement est inacceptable. A mes yeux, le rôle de la presse est d’informer les citoyens pour qu’ils puissent voter en toute connaissance de cause, pas de se faire le relais des déclarations des acteurs de l’actualité sans les hiérarchiser ni les éclairer.

Ce travail doit être accompli en séparant journalisme d’information et presse d’opinion. Le premier exige d’établir les faits et donc de dépasser la fausse équivalence entre des positions respectives présentées par deux parties. La seconde commente lesdites positions en fonction du courant d’opinion dont relèvent les téléspectateurs, auditeurs, lecteurs ou internautes auxquels elle s’adresse. […]

Le problème, aujourd’hui, est que l’information pure (la relation des faits) est devenue une denrée sans valeur car elle est partout accessible gratuitement. Ce sont le commentaire et le divertissement qui permettent aux médias de se différencier et de générer des revenus parce qu’ils satisfont les besoins des citoyens en matière d’appartenance (à une communauté politique) et d’évasion (d’une réalité dont la surinformation rend le caractère dramatique toujours plus présent et proche).

La conséquence est que le commentaire est souvent traité par les médias comme un divertissement sans regard pour les faits. Cette dérive est aggravée par la disette de (presque) tous les producteurs de contenus dans un environnement médiatique qui n’a pas encore trouvé son point d’équilibre économique”.

Facebook, qui prétend à l’objectivité de sa rubrique “Trending Topics“, et Twitter, qui n’a pas cette ambition avec sa rubrique équivalente, sont à cet égard confrontés à la même interrogation : vont-ils continuer de laisser prospérer en leur sein des mensonges dangereux pour la démocratie ?

Il est inconcevable qu’Amazon promeuve des produits contrefaits sur sa page d’accueil. Nous devrions avoir au minimum la même exigence à l’égard des plates-formes numériques en ce qui concerne les fausses informations. L’éthique démocratique n’est-elle pas encore plus importante que l’équité commerciale ?

Cette position n’est pas du tout attentatoire à la liberté d’expression : je ne considère en effet pas que les réseaux sociaux doivent censurer quelque message indigne ou fausse information que ce soit, comme le montre d’ailleurs la position que j’avais prise à l’égard des dérapages de Milo Yiannopoulos. J’estime en revanche qu’ils ne devraient pas les promouvoir en les faisant figurer dans leurs rubriques mettant en exergue les thèmes les plus populaires auprès de leurs membres respectifs.

Quand les médias ne savent plus séparer le bon grain de l’ivraie, le débat démocratique devient un marais d’aigrefins.

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