16 mai 2017 | Blog, Blog 2017, Communication | Par Christophe Lachnitt
Le numérique aide-t-il Donald Trump à tuer la démocratie américaine ?
La situation est très grave. Est-elle désespérée pour autant ?
Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré. – Christophe Lachnitt
La vision que les citoyens américains respectivement démocrates et républicains ont du rôle et de la fiabilité des journalistes est plus divergente que jamais.
Ces dernières années, on avait observé une division croissante entre les électeurs des deux grands partis dans le choix des médias auprès desquels ils s’informent. Désormais, le schisme concerne la mission même des médias d’information.
Alors que la Présidence Trump n’en est qu’à ses tout débuts, 89% des Démocrates, mais seulement 42% des Républicains, estiment que les médias ont vocation à demander des comptes au nom des citoyens aux dirigeants politiques. C’est ce que révèle une étude du Pew Research Center.
Cet écart de 47% points de pourcentage doit être comparé avec les résultats du même sondage réalisé un an plus tôt, lequel avait livré un verdict radicalement différent : 74% des Démocrates et 77% des Républicains étaient favorables au contrôle des élus par les médias d’information.
De fait, alors que Pew interroge les Américains sur cette question chaque année depuis 1985, une différence d’appréciation aussi importante qu’aujourd’hui n’a jamais été constatée, et ce malgré les périodes de forte polarisation politique qui ont marqué l’histoire récente : le plus grand écart fut “seulement” de 28 points lors de la Présidence de George W. Bush.
Mais, à l’époque, les Etats-Unis ne subissaient ni un Président qui fait du mensonge une stratégie politique fondée sur la confusion des esprits ni des réseaux sociaux qui dévoient la formation des perceptions ni des cancers numériques (fuites organisées de documents secrets ou privés1, “fake news“, bulle de filtres…) qui gangrènent le débat civique.
A cet égard, un autre sondage, réalisé cette fois par The Quinnipiac University, indique que la proportion des Américains (58%) qui désapprouvent la couverture médiatique de la Présidence Trump est sensiblement équivalente à celle des électeurs (65%) qui condamnent la manière dont le Président traite les médias.
Dans ce contexte alarmant, peu de signes d’espoir apparaissent.
Certes, les grandes plates-formes numériques, au premier rang desquelles Facebook2, semblent vouloir mitiger les dérives éthiques qui caractérisent les services qu’elles proposent à leurs utilisateurs. Mais il semble qu’il sera extrêmement difficile, voire impossible, de remettre le mauvais génie dans sa bouteille sans se livrer à une censure de grande envergure.
Certes, certains journaux américains, au premier rang desquels The New York Times3, gagnent des flopées de nouveaux abonnés. Mais ces afflux, s’ils sont importants à l’échelle des titres concernés, sont dérisoires lorsqu’ils sont rapportés à la population américaine.
La situation politique et médiatique américaine semble donc cataclysmique. La démocratie se meurt-elle, outre-Atlantique, sous les coups conjugués de Donald Trump et de la révolution numérique ?
Je suis convaincu que la puissance de l’idée démocratique dans l’histoire américaine, la résilience du peuple américain et, accessoirement, la faiblesse des solutions démagogiques permettront à la démocratie de se tirer du mauvais pas dans lequel elle s’est mise outre-Atlantique.
Mais il faudra pour ce faire que les citoyens fassent montre du courage dont leurs représentants, trop attachés à leurs prébendes, sont rarement capables. A cet égard, il ne faut jamais oublier que les élus républicains au Congrès ne lâchèrent Richard Nixon, le contraignant à la démission sous peine d’être destitué et poursuivi, que lorsque sa popularité eut atteint un niveau abyssal. La menace qu’il représenta alors pour eux les convainquit plus sûrement que le danger qu’il constituait pour la République depuis un an déjà.
La vertu, comme la vengeance, est un plat qui se mange froid.
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1 Dans ce domaine, les médias français se sont comportés de manière exemplaire, relativement à leurs homologues américains, dans le traitement des “Macron Leaks” rendus publics dans les tout derniers jours avant le deuxième tour de l’élection présidentielle.
2 Mais pas Twitter, dont on connaît l’apathie à cet égard et dont un dirigeant a récemment proposé, idée aussi stupide qu’antidémocratique, que Donald Trump remplace les conférences de presse de son Administration par ses séries de tweets.
3 Le grand quotidien new yorkais a séduit près de 300 000 nouveaux abonnés numériques au dernier trimestre 2016.