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Toute vérité n'est que perception

Donald Trump : communication de crise ou crise de communication ?

La communication de Donald Trump ces derniers jours dépasse encore plus l’entendement qu’à l’accoutumée.

Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré.Christophe Lachnitt

J’ai défini sur Superception, il y a plusieurs années, six règles majeures pour toute communication de crise :

  1. Communiquer toutes les mauvaises nouvelles soi-même et le plus rapidement possible pour éviter qu’elles ne le soient par d’autres sans contrôle du message dans un feuilleton de révélations successives.
  2. Délivrer des messages clairs et cohérents. C’est le B-A-BA de la communication en période nominale qui se révèle encore plus important en temps de crise où chaque parcelle de message émis est disséquée.
  3. Assumer au lieu de chercher à faire le gros dos en attendant que cela passe. Tenter de minimiser une crise est généralement le meilleur moyen de l’amplifier. Il faut au contraire admettre sa part de responsabilité et expliquer ce que l’on va faire pour éviter que la crise ne se reproduise.
  4. Ne pas créer l’événement par ses déclarations sur la crise pour ne pas la faire prospérer.
  5. Ne pas tenter de camoufler sa faute. Le camouflage est généralement plus grave (surtout aux Etats-Unis où le mensonge est le pêché capital) que la faute elle-même. Faute avouée est à moitié pardonnée comme on dit en France – cela dépend naturellement de l’ampleur de la faute. Mais, quoi qu’il en soit, s’enferrer dans une défense maladroite est, quelle que soit la gravité de ce qui vous est reproché, la pire approche médiatique.
  6. Communiquer de manière plus empathique encore qu’en temps normal. Plus la communication de crise est managée en fonction de contraintes exclusivement endogènes (émotionnelles, financières, juridiques, organisationnelles…), plus elle va à l’encontre des enjeux représentés par ces contraintes mêmes. Or, dès qu’une crise se fait jour, les tensions vécues par l’entité ou la personnalité impliquée sont telles qu’elles font passer l’impératif d’empathie à l’arrière-plan davantage encore que dans la gestion nominale de sa communication. C’est donc au moment où il leur faut être le plus empathique que les dirigeants sont portés à l’être moins. Cette approche est d’autant plus contre-productive qu’une crise surexpose (dans les deux sens du terme) un acteur de l’actualité et exacerbe les réactions à son égard d’audiences qui, sur le web social, sont devenues des influenceurs.

Donald Trump – (CC) Win McNamee/Getty Images

Passons en revue ces six principes à la lumière, si j’ose dire, du comportement du Président américain depuis une semaine1.

1. Communiquer rapidement toutes les mauvaises nouvelles soi-même. Comme à son habitude, Donald Trump ment au peuple américain. Les points presse de son médecin sont ainsi devenus plus saillants pour les questions qu’ils suscitent que pour les réponses qu’ils apportent. Le Dr Sean Conley ne partage que des informations positives sur l’état de son patient et se refuse à répondre aux interrogations qui pourraient révéler des éléments plus inquiétants, s’abritant derrière une interprétation à géométrie variable des règles relatives au secret médical. On ne sait ainsi par exemple pas quand le Président fut diagnostiqué, quand ses derniers tests négatif et positif furent enregistrés, quand, combien de fois et en quelle quantité il eut recours à de l’oxygène et quels sont les résultats des consultations et examens qu’il passe. En un mot, on ne sait pas quel est son véritable état de santé. De ce fait, les médias et les médecins qu’ils interrogent en sont réduits à des conjectures sans fin sur la situation médicale du plus célèbre patient de la planète. Ils se fondent pour ce faire sur un principe élémentaire : on ne cache pas des informations sans importance. La conclusion qui s’impose à tous les observateurs est donc que l’état de santé de Donald Trump est plus grave que celui qui est communiqué par son équipe médicale et par les images officielles qu’il diffuse sur Twitter (dont une vidéo visiblement éditée au moment où il tousse).

2. Délivrer des messages clairs et cohérents. On assista à cet égard à des épisodes certainement sans précédent dans l’histoire américaine. Vendredi, quelques instants après le point presse du Dr Conley, une source de la Maison-Blanche indiqua au pool de journalistes que l’état de Donald Trump était plus grave que ce qu’avait expliqué le médecin ! Cette source, qui s’était approchée des journalistes devant les caméras de leurs confrères pour leur tenir ce discours, fut ensuite révélée, avec son accord, comme étant Mark Meadows, nul autre que le directeur de cabinet (chief of staff) du Président ! Samedi, le Dr Conley diffusa un communiqué de presse, qui contenait lui-même trois erreurs, pour corriger une information alarmante qu’il avait divulguée lors de son point presse du jour. Ces incohérences, qui sont les plus spectaculaires mais pas les seules observées depuis le début de cette crise, laissent accroire que l’équipe de Donald Trump est incompétente ou tente d’occulter la vérité. L’expérience de ces dernières années et la furie de Donald Trump à l’endroit de Mark Meadows font naturellement pencher pour la deuxième option, qui n’est d’ailleurs pas exclusive de la première. Toujours est-il que c’est dans un tel environnement où les faits les plus basiques ne peuvent pas être établis que les théories conspirationnistes prospèrent.

3. Assumer au lieu de chercher à faire le gros dos en attendant que cela passe. Donald Trump n’a jamais rien assumé depuis le début de sa présidence (et avait fameusement théorisé ce refus de toute imputabilité en mai 2020). Cette pratique n’allait évidemment pas changer alors qu’il se trouve personnellement au coeur d’une crise symbolisant le plus grand échec de son mandat. Le refus du Président de se comporter de manière responsable s’est notamment traduit par sa participation à au moins un événement de campagne après avoir appris le test positif de Hope Hicks, sa conseillère la plus proche avec laquelle il venait de voyager, et par son inacceptation de la dangerosité du Covid-19 après avoir été hospitalisé en urgence en raison du virus. C’est ainsi que toutes ses communications depuis son transfert à l’hôpital ont été réalisées sans masque et que son geste le plus symbolique, mis en scène de façon grandiose, lors de son retour à la Maison-Blanche fut de retirer le masque qu’il avait dû arborer pendant le voyage en hélicoptère. Par ailleurs, aucune action n’a été entreprise pour identifier les personnes qui ont pu être infectées dans la chaîne de contagion créée au sein même de la Maison-Blanche. N’ayant tiré aucune leçon de son événement médical, autre que peut-être son invincibilité, Donald Trump est incapable d’assumer ses erreurs et, partant, de faire renaître un début de confiance, ou au moins de compassion, chez ses concitoyens.

4. Ne pas créer l’événement par ses déclarations sur la crise pour ne pas la faire prospérer. C’est à cet égard que le comportement du Président fut le plus contradictoire avec les principes élémentaires de communication de crise et, il faut le dire, le plus abject. Deux épisodes ont ajouté la crise à la crise… et le dégoût au mépris qu’on pouvait déjà ressentir à son endroit. Dimanche, Donald Trump fit un tour en voiture pour saluer ses supporters amassés à l’extérieur de l’hôpital où il est soigné. Il mit ainsi en danger la santé de toutes les personnes impliquées dans cette fumisterie, déclenchant l’ire de leurs confrères. Il est facile de contraster cet égoïsme et ce manque d’humanité : il suffit de se souvenir d’une célèbre anecdote concernant le Président Kennedy. Un soir, alors qu’il faisait froid, il vit un membre de son équipe de protection en poste à l’extérieur du Bureau ovale. Il l’invita à tenir son poste à l’intérieur pour qu’il ait moins froid mais son ange gardien lui répondit qu’il n’en avait pas le droit. JFK commanda alors deux tasses de chocolat chaud, qu’il partagea avec son garde… dehors. Le respect ne se décrète pas, il se mérite. Le deuxième “écart”, si ce terme convient, de Donald Trump est plus inconcevable encore. Dans une vidéo diffusée lors de sa sortie de l’hôpital, il enjoignit les Américains à “ne pas avoir peur” du virus et à “ne pas se laisser dominer” par lui. Faut-il rappeler que ce discours s’adresse à une nation qui a perdu plus de 210 000 des siens du fait de ce virus et qu’il alimente la dénégation de la dangerosité du Covid-19 évoquée plus haut ? En 2014, le Président Obama avait pris dans ses bras une infirmière américaine qui avait contracté le virus Ebola en soignant l’un de ses patients, et en avait guéri, afin de démontrer la capacité de la Nation à vaincre le virus et éviter la stigmatisation des personnes qui en étaient atteintes. Donald Trump, lui, refuse d’admettre la dangerosité du Covid-19 et stigmatise ceux qui tentent de le combattre.

5. Ne pas tenter de camoufler sa faute. Il est a priori impossible, pour un personnage aussi scruté que Donald Trump, de cacher son état de santé. Cela n’empêche pas Donald Trump d’essayer. En premier lieu, sa maladie ne fut pas rendue publique par la Maison-Blanche mais par des révélations des médias. Si tel n’avait pas été le cas, on peut douter qu’il ait communiqué à son sujet avant d’y avoir été obligé par son hospitalisation. En second lieu, toute la communication du Président et de son équipe médicale vise à occulter la réalité de son état (cf. supra). Ce faisant, il ne fait que nourrir le doute et la méfiance.

6. Communiquer de manière plus empathique encore qu’en temps normal. Pour autant que ce soit possible, Donald Trump communique de façon encore moins empathique depuis qu’il est atteint du Covid-19 comme le montrent les épisodes relatés dans cet article. En outre, au lieu de s’intéresser davantage, du fait de ce qu’il traverse actuellement, aux affres vécus par les Américains en raison du virus, il continue de nier leurs difficultés et de centrer sa communication sur la véritable victime de cette crise à ses yeux : lui-même.

Au final, alors que les problèmes de santé rapprochent traditionnellement les dirigeants politiques de leurs concitoyens, Donald Trump réussit cet exploit, en raison d’une communication de crise et d’un comportement personnel ineptes2, de voir ses compatriotes s’éloigner davantage encore de lui, selon tous les sondages, depuis une semaine.

Pour comprendre ce qui lui arrive, il devrait méditer cette célèbre maxime de Winston Churchill :

La responsabilité est le prix de la grandeur“.

1 Cette analyse s’intéresse aux répercussions de la communication du Président américain sur ceux de ses concitoyens qui sont susceptibles d’être influencés par son attitude. La frange du peuple américain qui le soutient quoi qu’il fasse, qui est d’ailleurs la seule à laquelle il s’adresse depuis son élection, ne sera pas impressionnée par son attitude.

2 Et de sa gestion politique qui ne l’est pas moins.

2 commentaires sur “Donald Trump : communication de crise ou crise de communication ?”

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Bonjour,
Merci pour votre fidélité et votre message.
Le post que vous pointez est très intéressant car il reflète le rôle des croyances et des manipulations (celles-ci alimentant d’ailleurs celles-là) dans les perceptions de certains fans de Trump : quand l’interprétation des événements se fonde sur plusieurs contre-vérités (comme c’est le cas en l’espèce), le débat démocratique s’affaiblit.
Bien à vous.
Xophe

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