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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

La balkanisation médiatique, premier péril démocratique

La désintermédiation de l’information créée par les réseaux sociaux est mortifère.

La semaine dernière, dans l’article que je consacrai aux scandales de Meta, je craignais que “leur nombre ne crée une accoutumance et, partant, une forme d’indifférence du grand public aux dérives éthiques et morales de Facebook“.

C’est malheureusement ce qui est en train de se produire :

Les dizaines de révélations accablantes publiées ces dernières semaines n’ont pas généré une augmentation significative du nombre de mentions de Facebook sur les réseaux sociaux outre-Atlantique. Plus globalement, l’intérêt du grand public pour le groupe de Mark Zuckerberg ne s’est accru considérablement cette année que lorsque Donald Trump fut concerné par les nouvelles le concernant.

Les données de Google Trends confirment l’indifférence générale à l’égard des turpitudes de Meta :

Le pic de curiosité – visible ci-dessus – coïncide avec la panne qui paralysa les plates-formes du Groupe le 4 octobre dernier.

Pour ne prendre qu’un seul exemple parmi les nombreux scoops parus récemment au sujet de Facebook, on apprit qu’il n’agit pour contrecarrer la vente d’esclaves domestiques et sexuels sur sa plate-forme qu’une fois que son business fut mis en danger par une menace de bannissement de son application mobile de l’App Store d’Apple et qu’il n’a toujours pas pris les mesures nécessaires afin de complètement éradiquer les trafics humains de son réseau. Croyez-vous que la divulgation de ce comportement ignominieux provoquerait une prise de conscience des parties prenante du Groupe ? Que nenni. La caravane passe, les chiens n’aboient même plus.

Il serait évidemment excessivement déterministe d’attribuer ce phénomène à une seule cause. Il me semble cependant qu’il est possible d’en identifier une principale : la balkanisation des médias. Aujourd’hui, non seulement le nombre de médias numériques est quasi illimité mais en outre chaque internaute peut être un (ré)émetteur de contenus sur les réseaux sociaux.

Il résulte de cette double mutation au moins quatre pièges informationnels :

  • la démocratisation et, donc, le dévoiement de la fonction journalistique que chaque individu équipé d’un smartphone peut désormais exercer sans le moindre garde-fou déontologique ;
  • la destruction du modèle économique du journalisme sous les coups de la gratuité de l’accès à l’information (et à la désinformation) ;
  • l’augmentation inextinguible du volume de contenus accessibles sur le web qui, selon la “loi de Zuckerberg”, double chaque année ;
  • la réduction du cycle médiatique qui opère désormais en heures, voire en minutes, et non plus en jours, ce qui empêche notamment toute prise de recul sur le temps court et considération du temps long.

La conséquence est que le grand public est confronté à un déluge ininterrompu d’informations et d’opinions que presque plus personne ne vérifie, trie, hiérarchise et met en perspective. De ce fait, le rôle des médias qui, comme leur nom l’indique, est d’effectuer une médiation entre le fracas du monde et les tracas de ses habitants est largement neutralisé.

Cette nouvelle réalité fait l’affaire de tous les acteurs – individus et organisations – qui n’ont pas intérêt à ce que leurs agissements soient compris du grand public. Steve Bannon, idéologue de la campagne de Donald Trump en 2016, avait d’ailleurs vendu la mèche à ce propos après avoir quitté son poste de stratège en chef de la Maison-Blanche : “Les Démocrates ne comptent pas. Les médias sont la vraie opposition. Et le meilleur moyen de les contrecarrer est de submerger l’espace médiatique de merde” (sic).

Dans ce nouvel écosystème médiatique, l’un des aphorismes de perception les plus célèbres s’en trouve inversé : alors que, auparavant, une information pouvait être trop belle pour être vraie, on a aujourd’hui le sentiment que tout est trop moche pour être vrai. Comme le montre tristement l’exemple de Facebook, certaines des pires horreurs ont du mal à pénétrer la conscience mondiale.

En effet, le déferlement informationnel qui caractérise l’actuelle économie de l’attention génère une éphémérité croissante des perceptions. Une perception chasse l’autre au rythme des flux des réseaux sociaux : en moyenne, un internaute fait défiler l’équivalent de 91 mètres de contenus sur son mobile chaque jour. Pour l’exprimer en langage courant, le nombre d’impressions sur les médias numériques induit que presque plus rien n’imprime.

De ce fait, il n’existe plus de “grand public” au sens d’une communauté (locale, nationale ou mondiale) partageant les mêmes informations et expériences. A l’exception de très rares rendez-vous fédérateurs, les citoyens-internautes obtiennent le plus souvent leurs informations dans des silos : une multitude de médias de niche constituent des tribus qui dissolvent les associations anciennes.

Ainsi quelles figures auraient-elles aujourd’hui l’influence requise, dans des registres différents, pour jouer le rôle d’Emile Zola dans la dénonciation de l’affaire Dreyfus, d’Edward R. Murrow dans la chute du maccarthysme, d’Alexandre Soljénitsyne dans la révélation de la réalité du régime soviétique ou de Françoise Dolto dans la promotion du respect des enfants1 ? Avec le numérique, nous sommes passés de l’ère des autorités à celle des influenceurs. Celles-là étaient définies par leur expertise ou leur expérience, ceux-ci ne le sont que par leur audience.

Quand les faits les plus élémentaires ne font plus l’objet d’un accord général et que, de plus en plus, les conspirations tiennent lieu d’opinions, l’embellie des perceptions numérisées fait courir à la démocratie un risque d’embolie.

1 Dans chacun de ces exemples, les personnalités concernées ne produisirent pas un unanimisme au sein de leurs Sociétés respectives. Mais leur autorité permit d’orienter décisivement le débat.

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