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Toute vérité n'est que perception

La leçon de management (et de vie) du plus grand skieur de tous les temps

Le plus grand skieur de tous les temps est une skieuse.

Il faut lire les mémoires de Lindsey Vonn, “Rise: My Story“. Ce livre est un coup de poing en pleine face : il relate les difficultés, insondables pour le commun des mortels, surmontées par la skieuse pour se constituer un palmarès unique et, plus délicat encore, s’accepter personnellement.

Lorsque les Jeux olympiques d’hiver de 2002 furent attribués à Salt Lake City, la petite Lindsey, alors âgée de neuf ans, annonça à son père qu’elle comptait y participer. Elle se consacra à son objectif, grimpant les échelons dans les compétitions de jeunes outre-Atlantique, aux niveaux local, puis régional, puis national. A douze ans, elle intégra un groupe de jeunes espoirs américains dont la “star” était Julia Mancuso. Celle-ci avait alors tout ce dont Lindsey était dépourvue : un talent de skieuse indéniable, une confiance en elle à toute épreuve et une relation aisée avec les garçons. Lindsey Vonn raconte d’ailleurs à ce sujet dans “Rise: My Story” que, pour essayer d’être aussi populaire que Julia Mancuso, dont la fréquentation faisait ressortir ses complexes, elle mettait des mouchoirs en papier dans son soutien-gorge afin d’en augmenter le volume. Lors d’une relaxation de groupe dans un hot tub, ces mouchoirs s’échappèrent de son maillot et elle fut humiliée par les moqueries de ses jeunes compagnons de stage. Elle finit cependant par atteindre son objectif de participer aux Jeux de Salt Lake City où elle fut, à dix-sept ans, la meilleure skieuse alpine américaine.

Peu après ce premier succès, elle consulta un médecin pour essayer de comprendre l’état mental dans lequel elle languissait. Elle découvrit alors qu’elle souffrait de dépression clinique, un mal qui ne la quitterait plus jamais et menacerait plusieurs fois sa santé mentale et sa carrière sportive. Elle explique ainsi dans “Rise: My Story” que la confiance dont elle faisait montre en piste contrastait avec les profondes insécurités dont elle était victime dès qu’elle déchaussait ses skis.

Lindsey Vonn – (CC) Getty Images

A ses difficultés psychiques, Lindsey Vonn ajouta une série de meurtrissures physiques sans pareille (la liste qui suit ne reprend que ses blessures les plus graves et n’est donc pas exhaustive) :

  • 2007 : déchirure partielle du ligament croisé antérieur du genou droit à Are (Suède) qui mit fin à sa saison.
  • 2009 : rupture du tendon du pouce droit en ouvrant une bouteille de champagne pour fêter sa victoire dans la descente des championnats du monde à Val d’Isère. Elle fut opérée et skia le lendemain dans le slalom des championnats du monde en ayant sa main droite attachée avec du ruban adhésif à son bâton qu’elle était incapable de tenir. Elle termina deuxième de la première manche et chuta lors de la seconde lorsqu’elle ne put se rétablir avec sa main après avoir été déséquilibrée.
  • 2010 : fracture d’un poignet à Lienz, deux mois avant les Jeux olympiques de Vancouver.
  • 2010 : énorme contusion à un tibia deux semaines avant les Jeux. Elle ne put plus skier jusqu’au jour de la descente et put à peine enfiler sa chaussure pour prendre le départ de cette course. Mais elle devint championne olympique de descente. Elle remporta également la médaille de bronze dans le super géant.
  • 2013 : lors du super géant des championnats du monde, à Schladming (Autriche), rupture du ligament croisé antérieur et du ligament collatéral médial et fracture du plateau tibial du genou droit.
  • 2013 : lors de son deuxième stage d’entraînement après sa rééducation post-opératoire, rupture du ligament croisé antérieur du genou droit à Copper Mountain (Colorado). Elle skia avec cette blessure afin d’assurer sa qualification pour les Jeux olympiques de Sotchi et aggrava son mal en course à Val d’Isère. Elle retourna sur la table d’opération et manqua les Jeux ainsi que toute la saison.
  • 2016 : grosse fracture déplacée du plateau tibial du genou gauche à Andorre qui provoqua un enfoncement de son tibia dans sa jambe. Elle skia avec sa blessure et accomplit le meilleur temps du super géant du combiné avant de devoir se retirer devant l’étendue des dégâts pour subir une nouvelle opération de chirurgie reconstructive. Elle manqua de nouveau le reste de la saison.
  • 2016 : fracture de l’humérus en trois morceaux et endommagement du nerf radial du bras droit à Copper Mountain (Colorado). Ce fut sa blessure la plus grave. Outre que la réparation de son bras nécessita une plaque et dix-huit vis, le dommage subi par son nerf eut pour conséquence qu’elle ne put pas se servir de son bras et de sa main dans lesquels elle n’avait plus aucune sensation, même après l’opération, et qu’elle ne sut pas si elle allait en récupérer l’usage. Il lui fallut trois semaines de travail de rééducation intense avant de parvenir à entrouvrir sa main. Mais, elle fut très rapidement de retour sur les pistes en scotchant de nouveau son bâton à sa main. Seulement deux mois après son accident, elle remporta une descente à Garmisch, dans ce qui était seulement sa deuxième course depuis son opération. Elle qualifie cette victoire dans “Rise: My Story” de plus difficile de tous ses retours à la compétition.
  • fin 2017 : chute à Lake Louise qui endommagea le cartilage de son genou droit. Elle continua malgré tout de skier et de gagner des courses. Son cartilage se détacha ensuite lors d’une séance de musculation. Elle arriva aux Jeux olympiques de PyeongChang (Corée du Sud) avec un genou très instable (au sein duquel son cartilage flottait) et sans pouvoir étendre sa jambe. Elle y gagna pourtant la médaille de bronze de la descente olympique avant de rentrer aux Etats-Unis pour une nouvelle opération.
  • 2018-2019 : lors de son stage de reprise du ski après cette intervention chirurgicale, son genou droit lâcha de nouveau dans une descente d’entraînement. Elle finit le stage en ayant du mal à marcher mais en pouvant à peu près skier. Rentrée aux Etats-Unis, elle découvrit qu’elle s’était en fait déchirée le ménisque et fut de nouveau opérée, sa cinquième opération à son genou droit. Elle revint sur les pistes pour tenter de battre le record mythique d’Ingemar Stenmark (il lui manquait cinq victoires en coupe du monde pour ce faire) mais l’absence de cartilage dans son genou droit y provoqua des contusions osseuses (ses os s’entrechoquaient). Elle continua cependant de skier en essayant de s’économiser au maximum lors des entraînements. Mais telles n’étaient pas les meilleures conditions pour concourir au plus haut niveau : elle chuta de nouveau, se donnant une triple fracture du tibia et se rompant le ligament collatéral latéral du genou gauche. Elle ne pouvait pas se faire opérer si elle voulait avoir une dernière chance de participer à quelques courses, ce qu’elle fit donc, une fois ses fractures consolidées, sans ligament collatéral latéral, c’est-à-dire sans stabilité sur la partie externe du genou. Comme si ce n’était pas suffisant, son genou droit rendit les armes : il était tellement enflé qu’il exerçait une pression sur le nerf péronier, la privant de sensations dans la partie inférieure de sa jambe, ce qui rend tout ski quasi impossible. Elle continua cependant de skier en course à la poursuite du record de Stenmark et finit par admettre que son corps lui imposait de renoncer à cette quête. Elle n’arrêta cependant pas sans avoir obtenu une médaille de bronze dans la dernière course de sa vie, le super géant des championnats du monde, à Are (Suède) en février 2019. Elle acheva ainsi sa carrière avec 82 victoires en coupe du monde, à quelques longueurs du record d’Ingemar Stenmark (86).

Si Hollywood avait produit un film racontant le parcours fictif d’une telle skieuse, les critiques et les spectateurs auraient dit que les scénaristes exagéraient.

Plus sérieusement, le cheminement de Lindsey Vonn illustre une réalité trop souvent passée sous silence lorsqu’il est question de comparer les plus grands champions de l’histoire du ski : les risques sont beaucoup plus grands en descente et en super géant qu’en slalom (spécial et géant). Une petite erreur d’un skieur peut avoir des conséquences dans une épreuve de vitesse sans commune mesure avec ce qu’elle provoquerait dans une épreuve technique. En outre, plusieurs des blessures graves de Lindsey Vonn ont résulté de l’état des pistes sur lesquelles elle concourait ou s’entraînait. Dans ces conditions, il est extraordinaire qu’elle ait pu remporter autant de courses malgré les nombreuses et longues interruptions que sa carrière a connues en raison des importantes opérations chirurgicales qu’elle a subies. Comme le relate le tableau reproduit ci-dessous, les skieurs les plus titrés en coupe du monde sont des spécialistes des disciplines techniques, éminemment moins risquées que les épreuves de vitesse dans lesquelles s’est illustrée Lindsey Vonn. C’est ce qui fait, à mes yeux, de celle-ci la plus grande skieuse de tous les temps : elle a le palmarès le plus impossible de l’histoire de ce sport. C’est évidemment un point de vue subjectif. Mais je continuerai de penser ainsi lorsque l’exceptionnelle Mikaela Shiffrin dépassera le nombre de victoires en coupe du monde d’Ingemar Stenmark grâce à ses succès en slalom, ce qui, malgré ses échecs malheureux lors des Jeux olympiques de Pékin ces derniers jours, ne devrait pas manquer d’arriver dans les prochaines années.

(CC) Superception

Au-delà de ces considérations sur le ski, le parcours de Lindsey Vonn est aussi une extraordinaire leçon de management… et de vie.

J’en retiens d’abord qu’il est difficile d’accomplir de grandes choses si l’on ne se fixe pas des objectifs. Certes, nous ne sommes pas obligés, comme Lindsey Vonn, de vouloir, dès l’âge de neuf ans, participer aux Jeux olympiques – pour la majorité des lecteurs de Superception, il est d’ailleurs trop tard. Mais, si ne pas savoir où l’on va est formidable pour voyager, c’est une méthode beaucoup moins efficace pour performer. A travers ses hauts (ses ambitions de succès majeurs) et ses bas (ses retours à la compétition après des blessures), Lindsey Vonn nous donne l’exemple de la gestion au quotidien d’objectifs ambitieux dans le cadre de plans construits sur plusieurs mois, parfois même plusieurs années.

En second lieu, on ne peut atteindre ses objectifs que si l’on se donne les moyens pour ce faire. Je ne plains pas les velléitaires confrontés à des défaites car ils ne mettent pas leurs actes en conformité avec leurs paroles intérieures. Je ne méprise pas ceux qui échouent après avoir tout donné car j’accorde mon respect autant en fonction du potentiel des personnes concernées et des valeurs incarnées que des résultats obtenus. Certes, Lindsey Vonn n’a pas battu le record d’Ingemar Stenmark mais sa bataille pour le surpasser n’est-elle pas plus exemplaire que ne le serait un cheminement trop aisé ?

Comme l’a souligné Albert Camus, “le héros est celui qui fait non ce qu’il veut mais ce qu’il peut“.

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