Fermer

Ce formulaire concerne l’abonnement aux articles quotidiens de Superception. Vous pouvez, si vous le préférez, vous abonner à la newsletter hebdo du site. Merci.

Fermer

Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Les marchés numériques ne peuvent être régulés qu’en pesant des œufs de mouche dans des balances en toile d’araignée

Dans ce domaine, l’équilibre n’est pas dans le déséquilibre.

Il y a quelques jours, Thierry Breton, commissaire européen chargé notamment du marché intérieur et du numérique, écrivait à Elon Musk, dans son rôle de patron de X, pour lui rappeler l’importance de respecter les dispositions du règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act) en matière de modération des contenus lors de son interview à venir avec Donald Trump.

Thierry Breton indique dans sa lettre que cet entretien est couvert par le Digital Services Act car les citoyens européens pourraient le visionner en ligne. Le commissaire européen reçut une réponse en forme d’insulte d’Elon Musk et fut désavoué par la Commission européenne qui, en toute logique, ne souhaite pas donner l’impression qu’elle s’immisce dans la campagne présidentielle américaine. Honnêtement, il est difficile de comprendre quelle forme d’hubris put conduire Thierry Breton à vouloir contrôler la parole de l’ancien Président et de nouveau candidat à la Maison-Blanche.

On connaît le célèbre adage en vogue dans le secteur des nouvelles technologies : “les Etats-Unis innovent, la Chine copie et l’Europe régule”. Il se trouve que cette dernière met parfois un zèle excessif dans cette tâche – heureusement jamais aussi exagérément qu’avec cette initiative de Thierry Breton. On avait déjà observé les effets indésirables de son approche à travers le règlement général sur la protection des données (RGPD) qui, de par sa complexité, assit la domination des géants du numérique au lieu de favoriser la concurrence et l’émergence de challengers.

Même s’il est bienvenu, le règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act), qui vient d’entrer en vigueur, présente des risques de même nature. Ce n’est d’ailleurs pas seulement moi qui le dis mais aussi son architecte initial, Gabriele Mazzini, qui déclarait récemment que “l’ambition réglementaire a peut-être été trop élevée. Il se peut qu’il y ait des entreprises en Europe qui considèrent qu’il n’y a pas suffisamment de certitude juridique dans le règlement sur l’intelligence artificielle pour être actives dans ce domaine“. Dès lors, il redoute que ce texte ne pérennise la suprématie des acteurs américains qui ont la capacité de maîtriser le labyrinthe qu’il représente. Cependant, deux d’entre eux, et pas des moindres (Apple et Meta), rebutés par le flou de l’AI Act, ont renoncé, pour l’instant, à déployer en Europe leurs solutions d’intelligence artificielle. Ce règlement risque donc, plus ou moins durablement, à la fois de freiner l’innovation des acteurs européens et de priver les internautes européens de services d’origine américaine.

Illustration réalisée avec DALL-E 3. Prompt : “Pls create a 3D Pixar cartoon of a futuristic courtroom scene with a judge holding a gavel shaped like a digital circuit board, surrounded by holographic screens displaying legal codes, data privacy symbols, and cybersecurity locks. Vivid red. Wide format.”

De l’autre côté de l’Atlantique, la situation est différente : le processus de fascisation du Parti républicain empêche tout travail bipartisan en général (même quand les deux camps sont d’accord sur un projet de loi, comme récemment sur le contrôle des frontières, Donald Trump interdit à son camp de le voter) et sur la régulation des nouvelles technologies en particulier. Si la gouvernance américaine est inapte à réguler les marchés numériques, elle s’avère parfois plus compétente à corriger ses excès car cette atténuation passe par l’appareil judiciaire et ne requiert donc pas de collaboration bipartisane.

C’est ce que démontre le récent jugement dans le procès intenté par le ministère de la Justice à Google au sujet de sa position ultra-dominante dans la recherche en ligne : ce qui est en cause n’est pas l’acquisition de cette position, grâce aux innovations du Groupe, mais son maintien, grâce à des paiements exorbitants aux opérateurs de navigateurs Internet et fabricants de smartphones (dont environ 20 milliards de dollars annuels à Apple !). La décision du juge, qui a considéré que Google élimine la concurrence indûment grâce à ces accords pour préserver son monopole, est juste. Le(s) remède(s) qu’il apportera à cette situation dans sa prochaine résolution seront cependant beaucoup plus difficiles à déterminer étant donné la configuration à la fois du business de Google et des dynamiques globale de ce secteur.

C’est ici qu’intervient la notion d’équilibre. Microsoft, l’autre grand sujet des initiatives de régulation ces trente dernières années, nous prodigue involontairement une leçon édifiante à cet égard, qui procède du récent crash informatique mondial créé par le bug du spécialiste en cybersécurité CrowdStrike. Comme l’a expliqué le groupe de Redmond, l’accord d’interopérabilité conclu avec l’Union européenne en 2009 lui impose que toutes les API utilisées par ses propres produits et fonctions de sécurité soient ouvertes aux éditeurs de logiciels tiers, ce qui a pour objectif de favoriser la concurrence mais accorde également à ces tiers un accès au coeur de Windows : si l’un de leurs logiciels plante, c’est tout le système d’exploitation qui devient inopérant.

L’accord de 2009 a donc créé involontairement un risque sécuritaire majeur pour mitiger un risque concurrentiel relatif : l’équilibre qu’il a établi est déficient. La probable leçon qu’il faut en tirer est que les décisions de régulation devraient autant que possible demeurer au niveau macro des mécaniques de marché et ne pas traiter du niveau micro des décisions techniques et produit car celles-ci sont trop complexes et mouvantes pour être traitées pertinemment dans ce cadre.

L’impact sociétal du numérique, mis en exergue par la crise CrowdStrike, impose que la régulation des marchés afférents soit menée avec une extrême précaution (ce qui ne signifie pas une complaisance coupable), c’est-à-dire, comme l’écrivit Voltaire à un autre propos, en “pes[ant] des œufs de mouche dans des balances en toile d’araignée“.

Ajouter un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Remonter

Logo créé par HaGE via Crowdspring.com

Crédits photos carrousel : I Timmy, jbuhler, Jacynthroode, ktsimage, lastbeats, nu_andrei, United States Library of Congress.

Crédits icônes : Entypo