17 septembre 2024 | Blog, Blog 2024, Communication | Par Christophe Lachnitt
La normalisation partielle de Donald Trump mène inévitablement à sa normalisation totale
Au-delà de sa vocation politique, le débat entre Kamala Harris et Donald Trump aura aussi été une expérimentation médiatique.
En effet, au contraire de leurs confrères de CNN qui, lors du débat entre Donald Trump et Joe Biden, avaient laissé le premier déverser un torrent de mensonges pendant que le second cherchait désespérément ses esprits, les deux journalistes d’ABC (Linsey Davis and David Muir) ont décidé de corriger quatre des innombrables contre-vérités mêmement enchaînées par le candidat républicain face à son opposante démocrate. Ils rectifièrent sobrement ses assertions sur le résultat de l’élection présidentielle de 2020, l’immigration, l’avortement et l’insécurité.
Ils furent loués unanimement par les observateurs pour cette initiative. Il est certain que les journalistes furent fiers de l’incarnation de leur profession par leurs confrères et de leur tentative de reprendre une parcelle, depuis longtemps abandonnée, de leur quatrième pouvoir. Pourtant, corriger quatre mensonges sur plusieurs dizaines (au moins 33 en 43 minutes de locution) ne change pas la donne. C’est une action symbolique qui parle davantage aux médias qu’elle ne modifie la perception des électeurs à l’égard de l’apprenti dictateur que Donald Trump se cache de moins en moins d’être.
En réalité, la vraie question qui concerne ce débat a trait à la présence de Donald Trump sur scène, pas à ce qu’il y affirma : peut-on laisser un politicien qui a déjà tenté une fois de commettre un coup d’Etat se présenter de nouveau à une élection dont il a déclaré qu’elle serait la dernière à laquelle les Américains devraient participer ?
Si ce candidat était sur scène, c’est en grande partie parce que les médias américains ont trop fait – des milliards de dollars d’équivalents publicitaires gratuits qu’ils lui ont accordés en 2015-2016 à l’absence de mise en perspective de ses paroles et actes les plus répugnants depuis lors – pour le normaliser. Or, lorsqu’on commence à normaliser un candidat anti-démocrate et/ou anti-républicain, on le normalise complètement : un mensonge (ou une indignité) non récusé en appelle un autre, puis un autre, puis dix autres, puis cent autres, puis mille autres1. La fenêtre d’Overton ne s’entrouvre pas, elle s’ouvre immédiatement en grand aux vents de l’imposture.
C’est si vrai que, aujourd’hui, comme l’a si bien mis en exergue l’expérimentation d’ABC pendant le débat, les journalistes ont renoncé à corriger tous les mensonges de Donald Trump, car ce dernier les enchaîne en trop grand nombre. On observe d’ailleurs la même mécanique en France, en particulier avec les antisémites qui putrident moralement sans être boycottés par nos médias. Quand la vague de l’immonde s’est formée, il est difficile de l’arrêter.
Lorsqu’on confond information et divertissement, il ne faut pas s’étonner de terminer avec les jeux du cirque. A ce sujet, il convient de relire James Madison, l’un des Pères fondateurs de l’Amérique :
“Un gouvernement populaire, sans information populaire ni moyens de l’acquérir, n’est que le prologue d’une farce ou d’une tragédie, ou peut-être des deux à la fois“.
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1 Durant sa présidence, Donald Trump énonça 30 573 mensonges, soit plus de 20 par jour.
Merci cher Christophe pour cet article concis, qui va à l’essentiel.
Le sujet d’une scène politique submergée par les affirmations fausses, reprises en gras par des media avides de punchlines susceptibles de capter l’attention d’un auditoire ne creusant pas ou plus sa réflexion, est inquiétant pour nos régimes démocratiques.
Deux partis en France s’en sont faits une spécialité et l’on est parfois désarçonnés devant tant de mensonges et de mauvaise foi.
Puissent les journalistes faire preuve de plus de courage et de rigueur (tant pis pour l’audience) pour nous aider à séparer le vrai du faux. C’est l’essence même de leur métier.