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Toute vérité n'est que perception

Où commence la vérité journalistique ?

Après le médiateur du Washington Post, c’est celui du New York Times qui m’intéresse aujourd’hui. Et le débat qu’il ouvre est encore plus important.

Arthur Brisbane pose une question majeure dans un éditorial paru il y a quelques jours : les journalistes devraient-ils relever les mensonges des acteurs de l’actualité ?

Je suis à la recherche de l’avis des lecteurs sur le fait de savoir si et quand les journalistes du New York Times devraient challenger les faits énoncés par les acteurs de l’actualité au sujet desquels ils écrivent dans leurs articles. Un exemple cité récemment par un lecteur : comme ce fut rapporté dans l’article d’Adam Liptak sur la Cour Suprême, une porte-parole de l’institution avait déclaré que Clarence Thomas (un juge de la Cour) avait ‘mal compris’ un imprimé fiscal et que c’était la raison pour laquelle il n’avait pas déclaré certains revenus de son épouse. Le lecteur pensait qu’il était fort peu probable que M. Thomas ait mal compris ledit imprimé et qu’il avait en fait décidé de ne pas déclarer l’ensemble des revenus de son couple.

Un autre exemple : durant l’actuelle campagne présidentielle, Mitt Romney affirme régulièrement que le Président Obama a prononcé des discours dans lesquels il s’excuse au nom de l’Amérique, une phrase au sujet de laquelle Paul Krugman (Prix Nobel d’Economie et éditorialiste du New York Times) a écrit dans son éditorial du 23 décembre dernier qu’elle incarnait le passage de la politique américaine dans l’ère de la post-vérité. Comme éditorialiste, M. Krugman a la liberté de mettre en exergue ce qu’il pense être un mensonge. Ma question pour les lecteurs est la suivante : les journalistes devraient-ils faire de même ?

A première vue, la réponse à la question d’Arthur Brisbane est évidente : les journalistes devraient évidemment nous aider à séparer le bon grain de l’ivraie dans les déclarations de celles et ceux qui font l’actualité. Comme l’a écrit le grand sociologue et sénateur américain Daniel Patrick Moynihan, “tout le monde a le droit à ses propres opinions mais pas à ses propres faits” (“everyone is entitled to his own opinion, but not his own facts”), l’une de mes citations favorites que j’ai déjà plusieurs fois reprises sur Superception.

Statue de Daniel Patrick Moynihan par Pat Oliphant – (CC) Cliff

Cependant, trois facteurs interrogent sur l’application concrète de ce principe d’airain :

  • en premier lieu, il faut s’accorder sur ce qu’est un fait. A cet égard, les deux exemples cités par le médiateur du New York Times ne sont pas du même ordre à mon sens. La controverse autour de la déclaration de revenus de Clarence Thomas n’a pas trait seulement à un fait – la non déclaration de revenus de son épouse – mais à une intention : s’est-il trompé ou a-t-il sciemment voulu frauder ? On se situe donc dans l’interprétation de l’intention, pas dans la vérification d’un fait. A contrario, les déclarations de Mitt Romney relatives aux discours de Barack Obama relèvent clairement de la vérification factuelle : il est aisé de s’assurer qu’Obama ne s’est jamais “excusé” au nom de l’Amérique ;
  • en outre, le rythme effréné du suivi médiatique de l’actualité – qui est dicté de plus en plus, désormais, par l’instantanéité exigée par Internet en général et par Twitter en particulier – a notamment pour conséquence que les journalistes qui par exemple suivent une campagne électorale ont de plus en plus de difficultés à rendre compte de ce qui se passe durant ladite campagne et à vérifier l’exactitude des assertions faites par les candidats et leurs équipes. C’est pourquoi on voit se multiplier les initiatives dédiées à la vérification des déclarations politiques (cf. ici et ici deux de mes articles à ce sujet). Lorsque ces initiatives ne dérapent pas, elles peuvent être très utilement complémentaires du compte-rendu en temps réel de l’actualité ;
  • enfin, il est de plus en plus délicat pour les journalistes des médias les plus sérieux, étant donné la communautarisation absolue d’Internet (cf. l’un de mes articles à ce sujet) et le fait que les électeurs ne votent pas en fonction d’éléments rationnels mais émotionnels (cf. l’un de mes articles à ce sujet), de s’aventurer dans la critique du discours des candidats. Ils risquent en effet de se faire accuser aussitôt par un camp d’être à la solde de l’autre parti et de voir leur recherche d’objectivité se retourner contre eux avec l’ampleur qu’offre le web à ce type de campagnes de dénigrement. C’est pourquoi les journalistes peuvent-ils être tentés de laisser de plus en plus ce rôle aux éditorialistes et blogueurs, ce qui est d’autant plus dommage qu’ils seraient plus crédibles s’ils étaient les vigiles de la vérité appelés de ses voeux par le médiateur du New York Times. Parfois, l’objectivité supposée peut donc s’apparenter à de l’aveuglement volontaire.

Même si son titre est inutilement provocateur étant donné l’histoire du New York Times, l’adresse d’Arthur Brisbane vaut donc beaucoup mieux que les railleries qu’elle à recueillies sur Twitter.

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