29 juillet 2014 | Blog, Blog 2014, Management | Par Christophe Lachnitt
La culture de la critique constructive à la source du succès de Pixar
L’entreprise aux quatorze numéros 1 successifs du box office a développé un étonnant art de la franchise bienveillante.
Je voudrais aujourd’hui partager avec vous la première des deux leçons de management les plus importantes que j’ai retenues de “Creativity, Inc.: Overcoming The Unseen Forces That Stand In The Way Of True Inspiration”, le livre d’Ed Catmull, co-fondateur de Pixar et aujourd’hui Président de Pixar Animation Studios et Walt Disney Animation Studios.
Catmull explique que chaque projet de film est revu régulièrement, au cours de son développement, par un “braintrust”, cénacle qui rassemble les membres les plus expérimentés de Pixar (sans rapport, incidemment, avec leur position hiérarchique).
Ce qui distingue ces réunions – et qui constitue une leçon pour toute entreprise, qu’elle soit de nature créative ou pas – est l’atmosphère dans laquelle elles se déroulent. Bien que leur objectif consiste à mettre à jour – et résoudre lorsque cela est possible dans ce cadre – les moindres imperfections du projet concerné, les débats sont à la fois francs et bienveillants, une combinaison qu’une majorité d’entreprises sont incapables de réaliser.
Au sein des braintrusts de Pixar, personne ne cherche à l’emporter sur son interlocuteur, à le dominer intellectuellement ou à lui prouver qu’il a raison contre lui. Le collectif l’emporte toujours sur les individus, et ce alors que les créateurs et réalisateurs de cinéma ne sont pas connus pour manquer d’ego. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Steve Jobs, bien qu’il fut l’actionnaire majoritaire de Pixar, ne fut jamais invité, avec son plein accord, à prendre part aux braintrusts. Ed Catmull craignait que son charisme dominateur n’empêche le bon déroulement des débats.
Trois éléments expliquent le succès improbable des braintrusts :
- la culture de Pixar est fondée sur la solidarité entre ses collaborateurs, des stars aux anonymes. Chaque film implique 300 personnes et requiert plusieurs années d’un travail aussi harassant que stressant au cours desquelles l’alchimie qui fait d’une idée originale un long métrage réussi n’est jamais garantie. Les individus qui se retrouvent lors des braintrusts sont animés, outre la passion de leur métier, par cette solidarité. Le fait qu’ils se trouvent tour à tour du côté de ceux qui présentent leur projet en cours de développement et de ceux qui le commentent contribue également à cette communion d’esprit ;
- la clé du fonctionnement des braintrusts est que ses membres envisagent les remarques qui y sont effectuées comme complémentaires, et non concurrentielles, avec le point de vue présenté. Un commentaire concurrentiel induit que l’un des interlocuteurs doit perdre le débat auquel il participe. Un commentaire complémentaire, a contrario, part du principe que chaque participant au débat lui apporte une valeur ajoutée – même si ce n’est qu’une idée qui nourrit la discussion sans être pertinente en soi in fine. Ainsi, lors des braintrusts, il arrive qu’un participant explique qu’il n’est pas à l’aise avec un ingrédient du projet de film présenté sans pouvoir expliquer précisément pourquoi et encore moins proposer une solution. Mais il amorce une discussion qui permet aux autres participants, parce qu’ils ont l’esprit ouvert, d’identifier ce qui ne fonctionne pas. De fait, un échange complémentaire élargit la perspective de ses membres alors qu’un échange concurrentiel la rétrécit ;
- les dirigeants de Pixar sont très soucieux de faire la différence entre la critique et la critique constructive. Celle-ci construit en même temps qu’elle détruit alors que celle-là ne fait que détruire. La critique met son émetteur en valeur – du moins dans les entreprises qui acceptent cette déviation – alors que la critique constructive aide son destinataire. Certes, il est beaucoup plus facile de critiquer mais je considère qu’il est plus courageux de proposer une alternative constructive à l’élément que l’on critique et de s’ouvrir ainsi soi-même à la critique des autres.
Une telle culture de franchise, d’ouverture et de solidarité est essentielle au succès de toute entreprise. Pourquoi ? Parce que, comme l’écrit Ed Catmull, “vous ne voulez pas qu’il y ait davantage de franchise dans les couloirs de votre entreprise que dans les salles de réunion où se prennent les décisions importantes“.
Mais elle n’existe jamais par hasard ni par chance. Elle est toujours le fruit de l’attention permanente portée par le management de l’entreprise concernée aux conditions indispensables à son développement et sa préservation.
Ed Catmull explique ainsi dans “Creativity Inc.” qu’il préfère se séparer des génies qui ne savent pas travailler en équipe car ils ont une influence trop négative sur la culture de Pixar. Lorsqu’on sait l’impact qu’un génie – créatif ou technique – peut avoir dans l’industrie des films d’animation en images de synthèse, on comprend mieux l’importance qu’accorde Ed Catmull aux valeurs de son entreprise.