8 septembre 2014 | Blog, Blog 2014, Communication | Par Christophe Lachnitt
L’heure de vérité d’Apple et Tim Cook
La succession de Steve Jobs commence vraiment maintenant.
Demain, Apple va donner une conférence au cours de laquelle devraient être présentés deux nouveaux modèles d’iPhone avec des capacités accrues et des écrans – peut-être en cristal de saphir – plus grands (a priori 4,7 et 5,5 pouces) que celui des modèles actuels (4 pouces).
Mais ce qui focalise l’attention est l’entrée attendue de la marque à la pomme, avec l’iWatch*, dans un nouveau segment de marché**, celui des “technologies mettables”, horrible néologisme censé franciser les “wearable technologies”. En clair, il s’agit d’accessoires électroniques que l’on porte sur soi (vêtements intelligents, montres connectées, lunettes de réalité augmentée…).
Le défi pour Tim Cook est de réaliser le même saut quantique, dans cette nouvelle catégorie de produits, que ceux réalisés par Steve Jobs avec l’iPod (présenté le 23 octobre 2001), l’iPhone (9 janvier 2007) et l’iPad (27 janvier 2010). Dans ces trois cas, Apple réinventa un appareil qui ne satisfaisait pas les consommateurs et pris le leadership sur le marché afférent.
Ces ruptures – à la fois en termes de technologies, d’usages et d’écosystèmes – durent énormément au génie de Steve Jobs. La question est donc de savoir si Tim Cook et son équipe pourront approcher le talent – et l’exigence – de leur ancien patron pour faire en sorte que le segment des montres connectées, qui n’a pas décollé jusqu’à présent, profite – et Apple avec – de leur nouvelle création.
Les spéculations à ce sujet évoquent deux innovations différenciantes :
- le suivi de l’état de santé des futurs propriétaires d’iWatch***. C’est un domaine dans lequel Apple a donné des indices de son ambition en présentant, lors de sa dernière Conférence mondiale annuelle des développeurs, son application Health qui sera disponible avec la prochaine version de son système d’exploitation mobile iOS 8 ;
- la possibilité de réaliser des paiements mobiles à partir de son iWatch, une fonctionnalité qui ne bénéficiera certainement pas du problème de sécurité d’iCloud mis en lumière il y a quelques jours lors du piratage des comptes de plusieurs célébrités. Rien de tel pour donner confiance aux consommateurs de confier leurs informations de paiement aux solutions connectées de la marque à la pomme.
Tim Cook va affronter demain son heure de vérité. Depuis trois ans qu’il dirige Apple, il n’a présidé qu’au lancement d’incréments de ses produits et logiciels existants. En outre, il n’a jamais présenté lui-même une nouvelle solution, laissant ce soin à ses collaborateurs en se contentant du rôle de passe-plat.
Cela pouvait être considéré comme une reconnaissance lucide de ses propres limites (Tim Cook n’est ni un homme de produits ni un stratège visionnaire ni un dirigeant très charismatique) et une manière d’éviter la comparaison frontale avec son prédécesseur dans l’exercice favori de ce dernier. Au soliste Steve Jobs succéda donc le chef d’orchestre Tim Cook.
Aujourd’hui, la pression est maximale sur le maestro pour ce qui concerne le fond comme la forme.
Sur le fond, il doit démontrer la capacité d’Apple à être révolutionnaire sans Steve Jobs. Cette fois-ci, en effet, c’est lui qui a dû prendre toutes les décisions ultimes concernant l’iWatch, un produit qui, en outre, s’attaque à un groupe de concurrents auxquels Apple ne s’est encore jamais confronté, les marques du secteur du luxe.
Quelques heures après la démission du cofondateur de la marque et son passage de relais à Tim Cook, j’avais écrit que, contrairement à ce que nous expliquait alors Apple, celui-ci “ferait un bon job mais pas un bon Jobs”. On ne pouvait pas affirmer, à mon sens, que Jobs est l’un des plus grands génies corporate de l’Histoire et asséner que son départ ne changerait rien.
La présentation de demain va nous permettre de jauger l’ampleur du vide laissé par Steve Jobs, ce que nous n’avons pas encore complément pu faire. A cet égard, le défi pour Tim Cook n’est pas seulement de présenter un produit et des pratiques révolutionnaires mais aussi de montrer que cette solution peut constituer un relais de croissance suffisant pour l’Entreprise alors qu’elle concerne un appareil qui devra se vendre à des volumes extrêmement importants pour tangenter le chiffre d’affaires de ses devanciers.
Sur la forme, Apple a fait monter les enchères en organisant sa présentation dans le lieu (The Flint Center à Cupertino) où Steve Jobs avait dévoilé le Macintosh le 24 janvier 1984 puis l’iMac le 6 mai 1998 après son retour à la tête de l’Entreprise. Ainsi donc, alors que Tim Cook s’éloignait plutôt des présentations de Steve Jobs jusqu’à présent, il semble cette fois vouloir se confronter à l’écrasante ombre médiatique de son maître, invitant à la comparaison avec lui.
Quatre autres signes nourrissent les attentes créées par Apple :
- la construction d’une grande structure ad hoc à côté du Flint Center dont la mission (défilé de mode, concert…) est à ce stade inconnue ;
- l’invitation à cet événement de journalistes et blogueurs du secteur de la mode ;
- les déclarations attribuées à Jony Ive, le patron du design d’Apple, selon lesquelles l’industrie horlogère suisse serait menacée par la qualité de l’iWatch ;
- le recrutement, annoncé par Vanity Fair (!), de Marc Newson, un designer mondialement célèbre (notamment pour ses meubles… et montres) au sein de l’équipe de Jony Ive.
J’écris sur Superception, depuis quelque temps déjà, que le format des présentations d’Apple est un peu usé et que la marque devrait les réinventer pour créer une nouvelle forme d’enthousiasme. L’événement de demain constitue l’occasion ou jamais – étant donné qu’Apple va s’adresser à un public complètement nouveau – pour ce faire.
Outre la configuration et la mise en scène de la conférence, il sera également intéressant d’observer les rôles respectifs des intervenants, en particulier en ce qui concerne l’iWatch.
Il faut espérer que la logique récente ne sera pas respectée et que Phil Schiller (patron du marketing d’Apple), dont l’excitation mécanique ressemble de plus en plus au discours d’un vendeur de voitures d’occasion, ne dévoilera pas le nouveau gadget de la marque. Ce serait une réelle rupture si celui-ci était dévoilé par Tim Cook (qui n’a jamais divulgué de produit) ou Jony Ive (qui n’est jamais monté sur scène).
Un choix logique en termes de talent – mais pas d’organisation interne à Apple – serait Craig Federighi, qui a démontré ces derniers temps qu’il était le plus charismatique des dirigeants de l’Entreprise. Les grosses cotes, enfin, concernent Angela Ahrendts, icône du monde de la mode chez Burberry avant de rejoindre la marque à la pomme mais qui n’a aucun rôle officiel lié à l’iWatch, et Paul Deneve, ancien CEO d’Yves Saint-Laurent recruté par Apple pour s’occuper des projets spéciaux (dont probablement l’iWatch). Mais aucun des deux n’est jamais intervenu publiquement au nom d’Apple et ce serait donc un pari (surtout dans le cas de Deneve) et un événement (surtout dans le cas d’Ahrendts) significatifs.
Les attentes et interrogations sont donc nombreuses avant la présentation de demain. Alors que l’entreprise la plus réputée et la plus observée de la planète s’apprête à entrer dans une nouvelle ère sans son guide, il ne faudrait cependant pas que la discussion autour de ces enjeux économiques et de perception occulte le lancement de son nouveau produit-phare.
* C’est ainsi que le produit attendu a été dénommé dans la presse mais il n’est pas garanti qu’il porte finalement ce nom.
** Il est probable que l’iWatch ne sera pas disponible à la vente avant plusieurs mois mais qu’Apple la présentera demain pour surprendre les observateurs et consommateurs avant que les fuites ne se multiplient sur son design et ses fonctionnalités.
*** Apple fera certainement attention à ne pas positionner l’iWatch exclusivement comme un accessoire dédié à la santé pour ne pas limiter son attrait auprès du plus grand nombre possible de consommateurs.