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Toute vérité n'est que perception

Le fonctionnement de la vision oculaire permet de comprendre la formation des perceptions

Dans les deux cas, le discernement est plus empirique que scientifique.

Dans deux des articles que j’ai consacrés à la formation des perceptions au sein du cerveau, “Une émotion n’est pas une idée” et “Toute vérité n’est que perception“, j’explique :

Notre cerveau classe les stimuli qu’il reçoit dans les catégories qu’il a déjà apprises. Cela lui permet d’anticiper les éléments auxquels nous sommes confrontés et de nous y préparer. Cela lui permet aussi de gérer un environnement qui serait écrasant si chaque nouveau stimulus était une expérience inconnue. Pour ce faire, le cerveau fonctionne par analogies et métaphores. Il relie les stimuli les uns aux autres et analyse les similarités, les différences et les relations entre eux. Nous classons ainsi automatiquement et inconsciemment nos sensations dans des catégories que nous avons apprises et que nous faisons évoluer à travers le temps.

De même, les études neuroscientifiques ont-elles montré que, pour constituer des souvenirs durables, il est important d’accrocher les nouvelles informations à celles déjà existantes : le cerveau choisit de traiter les informations qui font le plus écho à son expérience. Or l’objectif de la communication est de laisser une trace. Un message incohérent avec ceux qui précèdent a davantage de chances d’être ignoré par le cerveau qu’un message cohérent qui donnera du sens. On ne peut pas demander aux publics cible de reconstituer a posteriori la cohérence des prises de parole que l’on n’aura pas su constituer a priori. Pour ne pas franchir la ligne jaune, en communication, il faut avoir un fil rouge.

[…]

Le récepteur d’un message ne fait généralement rien pour se mettre à la portée de l’émetteur. C’est ce dernier, et lui seul, qui doit consentir l’effort d’adaptation indispensable à une bonne compréhension mutuelle et, partant, à une bonne communication. Mais ce n’est pas chose aisée car la réception comme l’émission repose largement sur des facteurs subjectifs – éducation, souvenirs, imagination, valeurs, culture, etc. – qui sont le plus souvent inconscients. Or la part de subjectif qui aura joué dans l’émission d’un message a fort peu de chances d’être la même que celle qui influencera sa réception. L’objectivité n’existe pas“.

Une étude consacrée à la vision oculaire par Dale Purves, Yaniv Morgenstern et William T. Wojtach, trois chercheurs de l’Institut pour les sciences du cerveau de l’Université de Duke (Durham, Caroline du Nord) et de l’Ecole de médecine des universités de Duke et Singapour (Singapour), met en exergue, pour le fonctionnement de la vision optique, des principes comparables à ceux que j’évoquais pour la formation des perceptions.

Longtemps, les spécialistes ont pensé que le système visuel opère de manière analytique en traitant les caractéristiques des images rétinales. Or cette hypothèse ne permet pas d’expliquer pourquoi les représentations de la réalité créées par notre système visuel diffèrent significativement, comme nombre d’études scientifiques l’ont démontré, de la réalité physique (lumières, couleurs, formes, distances, profondeurs et mouvements) qu’elles sont censées dépeindre très précisément.

(CC) Purves, Morgenstern & Wojtach

(CC) Purves, Morgenstern & Wojtach

De nouvelles théories du fonctionnement du système visuel se fondent désormais sur le rôle inconscient des expériences passées dans la vision oculaire1. Cette conception empiriste pose que, étant donné qu’il est impossible pour le cerveau humain de reproduire précisément la réalité physique qui l’environne, il attribue des caractéristiques visuelles aux “objets” qu’il voit à partir d’images similaires qu’il a déjà traitées et de la manière dont elles ont affectées le déroulement de son existence (Purves and Lotto, 2003, 2011; Purves et al., 2011, 2014).

Ainsi, la vision oculaire reflète-t-elle un discernement utilitaire et empirique, davantage que factuel et scientifique, de la réalité physique. Le rôle du système visuel n’est pas de mesurer précisément le monde physique mais d’en tirer des recommandations comportementales instruites par l’expérience de l’individu concerné (voir le graphique reproduit ci-dessus).

Nous ne redécouvrons pas le monde qui nous entoure à chaque fois que nous regardons autour de nous. Mais nous le prédisons en partie à partir de ce que nous avons déjà vu et vécu. C’est parce qu’elle est fortement empirique que la vision oculaire ne dépeint pas la réalité physique avec une rigueur scientifique. Mais elle traite notre environnement en tirant parti de nos expériences antérieures et en nous donnant le maximum de chances de succès face la situation à laquelle nous sommes confrontés.

De même que nos perceptions ne reflètent pas une vue objective du monde qui nous entoure et ont une vocation utilitaire (conforter notre estime de soi, assurer notre cohérence cognitive, appartenir à des communautés, nous mobiliser pour agir…), notre système visuel ne cartographie-t-il pas la réalité physique dans laquelle nous évoluons de manière scientifique mais afin de nous permettre d’y prospérer.

Dans les deux cas, le réel moteur de notre vie est l’émotion que nous ressentons.

1 Comme à chaque fois que j’évoque des concepts neuroscientifiques, je prie les spécialistes de ces sujets d’excuser la simplification et la synthèse excessives de mes écrits.

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