15 février 2017 | Blog, Blog 2017, Communication | Par Christophe Lachnitt
Le vrai moteur de la communication de Donald Trump n’est pas Twitter
Distinguer la stratégie de la tactique.
Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré. – Christophe Lachnitt
Des deux côtés de l’Atlantique, les observateurs mettent pertinemment en exergue l’utilisation inédite, par le nouvel occupant du Bureau ovale, de Twitter où il dispose de près de 25 millions d’abonnés à son compte personnel et 15 millions au compte officiel du Président.
Pour autant, je suis convaincu que, si Twitter est le premier vecteur de sa communication, son moteur en est la télé-réalité. Déjà, il y a trois mois, au lendemain de l’élection du milliardaire, j’écrivais sur le blog Superception :
“De même que Franklin D. Roosevelt avait été le candidat de la radio, John F. Kennedy celui de la télévision et Barack Obama celui des réseaux sociaux, Donald Trump a été le candidat de la télé-réalité dont il maîtrise et exploite les codes narratifs.“
De fait, la télé-réalité se distingue de la télévision traditionnelle en pervertissant quatre de ses fondamentaux. Elle dénature :
- Le besoin de divertissement en addiction au voyeurisme.
- La présentation de la complexité de la nature humaine en réduction de chaque individu à un ou deux stéréotypes simplistes.
- Le goût du public pour la compétition en encouragement à la violence symbolique et glorification des “méchants”.
- Les téléspectateurs en télé-acteurs ayant parfois droit de vie ou de mort médiatique, par leurs votes, sur les participants à ces émissions.
Le résultat est la disparition de toute relation logique entre célébrité et talent, documentaire et fiction, amour et haine. C’est pourquoi le terme de “télé-réalité” est un oxymore au sens où ces programmes ne créent que des réalités alternatives. Son symbole est Kim Kardashian qui est connue pour sa célébrité1 et non pour un talent ou accomplissement notable. Comme la starlette callipyge le personnifie, la télé-réalité est une machine à embrouiller les esprits.
Or, ainsi que je l’expliquais il y a un mois sur le blog Superception :
“C’est un truisme politique que la confusion bénéficie aux régimes autoritaires : lorsque le vrai et le faux ne peuvent plus être distingués, les autocrates trompent les peuples sans risque d’être exposés.“
Ce n’est donc pas un hasard si Donald Trump, roi de la télé-réalité pendant une décennie outre-Atlantique avec “The Apprentice” puis “The Celebrity Apprentice“, en a exploité les codes pour favoriser son accession au pouvoir suprême2.
Reprenons un par un les quatre modes opératoires de la télé-réalité que j’évoquais ci-dessus pour analyser comment Trump les met à profit politiquement.
En premier lieu, dès l’annonce de sa candidature en juin 2015, il transforma la campagne électorale en source de divertissement. Depuis lors, il nourrit le voyeurisme des journalistes et électeurs par ses provocations verbales, comportementales et désormais constitutionnelles, captant l’attention des médias comme aucun candidat à la Maison-Blanche ni aucun Président dans l’histoire américaine. Ses transgressions sont l’équivalent, dans son accession au pinacle politique, de la sex-tape qui fit émerger Kim Kardashian sur la scène médiatique : elles ne révèlent aucune autre compétence que l’absence de surmoi.
En deuxième lieu, Donald Trump schématise ses positions idéologiques et oppositions politiques par des combats avec des personnes ou communautés qu’il réduit à des stéréotypes primaires. Il en va ainsi des surnoms dont il affubla ses concurrents (“low energy Jeb“, “little Marco“, “lying Ted“, “crooked Hillary“…) et des attributs respectifs auxquels il identifie par exemple les musulmans et les Mexicains. Mais, dans ce domaine, sa simplification abusive la plus importante est la présentation des journalistes comme des menteurs car elle lui permet de discréditer à l’avance leurs révélations gênantes et critiques légitimes3. Dans tous les cas, il s’agit, comme dans une émission de télé-réalité, de maximiser les réactions émotionnelles du public en lui présentant des individus ou groupes caricaturaux. Cette technique favorise également le positionnement de Donald Trump en héros.
En troisième lieu, le nouveau Président a rompu avec tous les codes de la politique moderne en faisant preuve d’une violence verbale et symbolique sans précédent. Il emploie ainsi l’un des principes de communication qu’il a toujours défendus : toute publicité est une bonne publicité, l’essentiel est de faire parler de soi4. C’est une règle que toutes les stars de télé-réalité appliquent avec d’autant plus d’assiduité qu’elles ne bénéficient d’aucun talent pouvant alimenter leur présence médiatique. Quant à la dynamique compétitive popularisée par la télé-réalité, elle a été valorisée par Donald Trump dans les concours publics mis en scène pour désigner les membres de son gouvernement et de son cabinet ainsi qu’un juge de la Cour Suprême.
Enfin, Trump confère une nouvelle vocation à l’engagement politique de ses supporters. Il ne les invite pas, comme d’autres leaders, à s’investir au quotidien pour des causes qu’ils défendent. Il les enjoint à attaquer des personnalités qu’il dénonce comme ses ennemis. La dynamique qu’il leur propose ainsi n’est pas celle du militantisme politique mais du plébiscite cathodique. Qu’il s’agisse d’élus, de journalistes ou de la famille d’un héros de guerre, ses adversaires sont désignés à la vindicte populaire.
Cette stratégie est parfaitement adaptée à la dissolution du paysage médiatique et la cristallisation de la défiance démocratique dont souffre aujourd’hui l’Amérique. Si le constat sur la désintermédiation associée au premier phénomène est bien connu, le “Trust Barometer” annuel récemment publié par Edelman révèle des données alarmantes sur le second5 :
- une minorité d’Américains font confiance au gouvernement (37%) et aux médias (35%) ;
- une majorité d’Américains (57%) estiment que le système politique et économique ne fonctionne pas ;
- Trump a remporté la majorité des suffrages des Américains dont les inquiétudes et déceptions s’expriment désormais par un sentiment de peur.
Dans ce contexte, Twitter offre à Donald Trump un formidable vecteur de communication directe avec ses supporters et, plus encore, d’influence de la couverture médiatique. Mais le réseau de micro-blogging, d’ailleurs certainement beaucoup moins influent que la télévision6, n’est qu’un vecteur de son expression publique parmi d’autres.
Ce qui distingue celle-ci est le moteur de sa communication : une stratégie calquée sur le fonctionnement des émissions de télé-réalité.
En communication, le fond prime toujours sur la forme, le contenu sur le canal, la stratégie sur la tactique.
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1 Ce qui ne retire d’ailleurs rien au professionnalisme avec lequel elle valorise – dans tous les sens du terme – cette célébrité.
2 Toute élection politique, compétition publique marquée par des interactions de toute nature entre les candidats, ressemble déjà intrinsèquement à un programme de télé-réalité.
3 En diminuant la confiance d’une partie des Américains dans les médias, il réduit la capacité de ces derniers à énoncer la vérité. En forçant les médias à défendre leur intégrité et leur liberté, il les amène à parler d’eux-mêmes et ainsi paraître auto-centrés aux yeux d’une partie des Américains.
4 C’est une théorie à l’égard de laquelle je suis extrêmement réservé pour ce qui concerne les marques et personnalités qui veulent créer une image valorisante (lire notamment ici, ici et ici).
5 Lesquelles, malheureusement, résonnent également dans notre pays.
6 Que Trump utilise comme aucun de ses prédécesseurs.