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Communication de crise : comment gérer habilement un échec ?

Démonstration avec le premier débat de la primaire démocrate pour la présidentielle américaine.

Ce débat, divisé en deux soirées étant donné que vingt candidats s’étaient qualifiés pour y participer, vit deux des cinq leaders dans les sondages, Joe Biden et Pete Buttigieg, gérer chacun une situation de crise. Ces deux malaises concernent les relations ethniques, lesquelles demeurent le sujet sociétal le plus sensible outre-Atlantique.

Joe Biden, sénateur des Etats-Unis pour l’Etat du Delaware de 1973 à 2009 puis Vice-Président de Barack Obama durant huit ans, avait vanté, quelques jours avant le débat, l’importance de la civilité et du consensus dans la vie politique en prenant comme exemple sa collaboration avec deux sénateurs ségrégationnistes racistes, James Eastland (élu démocrate du Mississippi) et Herman Talmadge (élu démocrate de Géorgie), dans les années 1970.

Pete Buttigieg, le jeune maire de South Bend (Indiana) que je vous présentais dans cet article, fait lui face aux conséquences de la mort d’un résident noir de sa ville sous les balles d’un policier blanc le 16 juin dernier. Le policier, dont la caméra corporelle était éteinte au moment des faits, était intervenu suite à une alerte faisant état de vols avec effraction commis dans des voitures par un homme armé d’un couteau. Ce drame mit en exergue le fait que 26% des habitants – mais seulement 6% des policiers – de South Bend sont noirs.

Biden et Buttigieg furent mis en cause au cours du débat sur ces deux affaires. Leurs réactions respectives appliquèrent deux stratégies de gestion de crise diamétralement opposées, l’une pertinente, l’autre aberrante.

La stratégie pertinente fut le fait de Pete Buttigieg. Interrogé sur son échec à adapter ses forces de sécurité à la composition de la population de sa ville, il appliqua tous les préceptes de communication de crise (voir la vidéo reproduite ci-dessous) :

  • il fit montre d’une empathie sincère, étant visiblement affecté par le décès de son administré ;
  • il reconnut son échec sans pour autant répéter les termes de l’accusation prononcée à son égard ;
  • il exposa les faits de manière équilibrée ;
  • il mentionna qu’il avait pris beaucoup d’initiatives dans ce domaine sans les détailler afin d’éviter de donner l’impression de se justifier mais, au contraire, en précisant que ces actions n’étaient pas suffisantes ;
  • il mit la crise en perspective en l’abordant d’un point de vue social et en partageant sa détermination à se battre pour faire advenir une nouvelle ère dans la Société américaine à cet égard.

En résumé, il se comporta en leader responsable : un leader dont on n’attend pas qu’il soit infaillible mais que, confronté à un revers, il soit honnête et authentique et se tourne vers les autres, ceux qu’il doit guider, avant de penser à lui-même.

A l’opposé de la démarche de Pete Buttigieg fut la méthode employée par Joe Biden lorsqu’il fit face à l’attaque de Kamala Harris, sénatrice des Etats-Unis pour l’Etat de Californie. Il faut replacer la charge de l’ancienne procureur dans son contexte historique afin d’en comprendre la portée symbolique.

Lors des luttes pour les droits civiques, des lois furent votées afin que des mesures favorables aux minorités fussent imposées par l’échelon fédéral, assurant leur application cohérente dans l’ensemble des Etats-Unis quelles que soient les positions des élus de chaque Etat. L’une de ces mesures concernait l’acheminement en cars d’élèves noirs vers des écoles situées dans des quartiers blancs et vice-versa afin de mettre un terme à la ségrégation du système scolaire. Or Joe Biden s’opposa à l’époque à ce que cet acheminement fût imposé par l’Etat fédéral et se battit pour qu’il fût laissé à la main des Etats confédérés. C’est un point de vue qui permettait aux Etats opposés au développement des droits civiques des minorités, nombreux à l’époque, de poursuivre leur politique rétrograde à ce sujet.

La philippique de Kamala Harris contre Joe Biden fut d’autant plus puissante1 que, jeune élève afro-américaine, elle bénéficia elle-même de cet acheminement en car et que la douleur engendrée par le fait d’avoir été victime de racisme dans son enfance anima son propos. Son adresse à son aîné fut également portée par son charisme et sa rhétorique chirurgicale : elle commença par lui dire qu’elle ne pensait pas qu’il fût raciste, associant dans l’esprit des téléspectateurs les mots “raciste” et “Biden” avec un effet potentiellement aussi dévastateur que celui produit par la fameuse défense de Richard Nixon, “je ne suis pas un escroc“, dont la majorité des Américains avaient retenu l’association Nixon-escroc. Elle sembla ensuite s’attendre à ses réponses et avoir anticipé ses angles d’attaques consécutifs (voir la vidéo reproduite ci-dessous).

Face à cela, Joe Biden donna une anti-leçon de communication de crise :

  • il ne fit preuve d’aucune empathie, n’ayant pas le moindre mot de compassion pour la douleur de son interlocutrice qui venait de lui raconter son expérience de victime du racisme. Il était trop occupé à être peiné de voir sa réputation assaillie pour avoir conscience de l’affliction de Kamala Harris ;
  • au lieu d’avoir un signe de sympathie pour la sénatrice, il l’attaqua au début de sa réponse, l’accusant, en ayant recours à un sophisme indigne du sujet, de travestir sa position : certes, son action politique contre le système des cars n’empêcha pas la sénatrice d’en bénéficier à Berkeley mais uniquement parce que cette ville prit une décision dans ce sens, ce qui ne change rien à la nature du bilan personnel de Joe Biden dans ce domaine ;
  • il centra sa réponse sur lui-même, dans une longue tentative d’auto-défense, au lieu de se tourner vers les autres (les personnes concernées à l’époque des faits et les Américains qu’il aspire à diriger aujourd’hui). Il donna ainsi une leçon d’engagement au service des droits civiques à une responsable politique afro-américaine qui venait de lui narrer son expérience personnelle avec le racisme ;
  • il ne sut pas reconnaître son erreur, y compris lorsque Kamala Harris lui en donna l’occasion dans sa relance, et ne prit jamais de recul sur le sujet de leur échange. Pis, il confirma la position qui, dans les années 1970, l’avait vu être l’allié de sénateurs suprémacistes blancs contre l’accès des enfants de minorités à une éducation intégrée ;
  • cerise sur le gâteau, Biden acheva son propos en disant “my time is up“, ce qui faisait certes référence au fait que son temps de parole était écoulé mais qui, figurativement, pouvait aussi être compris comme l’admission qu’il avait fait son temps et montrait un dirigeant capitulant devant les règles d’un débat au lieu de se saisir d’un temps de parole supplémentaire afin de se défendre.

Joe Biden & Kamala Harris – (CC) MSNBC

En résumé, la réaction de Joe Biden fut l’exact contraire de celle de Pete Buttigieg : il ne se comporta pas en leader responsable, se voulant infaillible et étant de ce fait incapable d’être honnête, authentique et tourné vers les autres.

Au final, celui qui entra sur scène comme le grand favori de la primaire démocrate en ressortit affaibli pour deux raisons au moins : sur le fond, il défendit des positions intenables pour son parti et, sur la forme, il s’avéra un piètre débatteur alors que le choix d’un candidat capable de tenir tête à son adversaire républicain et de le défaire revêt une importance sans précédent au sein de l’électorat démocrate.

Cet épisode confirme que la plus grande habileté en communication (de crise) est l’authenticité. Il se trouve que celle de Joe Biden n’est pas en phase avec son époque2.

1 Incidemment, sa diatribe contrasta avec la piteuse tentative d’Eric Swalwell, représentant d’un district de la Californie à la Chambre des Représentants des Etats-Unis, de pointer l’âge de Joe Biden et lui demander de passer le flambeau à des leaders plus jeunes. Outre le manque évident de talent d’Eric Swalwell, le contraste entre ces deux charges confirme qu’il vaut toujours mieux, en politique, porter des idées fondées sur des valeurs auxquelles les électeurs peuvent adhérer que sur un intérêt personnel qui isole le locuteur concerné de ses concitoyens.

2 Je suis convaincu depuis le début de cette primaire démocrate, malgré le respect que je lui porte sur le plan humain, que Joe Biden n’en sortira pas vainqueur car il ne correspond pas au moment politique actuel de l’Amérique, est loin d’être le candidat le plus talentueux des plus de vingt prétendants en lice et compte trop de dossiers gênants – dont celui évoqué dans cet article – attachés à son nom.

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