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Toute vérité n'est que perception

Facebook et l’Australie : les preuves de force

Pourquoi la démarche du gouvernement australien est aussi arbitraire qu’aberrante.

Le gouvernement australien a entamé un bras de fer avec Facebook et Google, à propos de la publication sur leurs plates-formes respectives de contenus de médias d’information locaux, en concevant une loi qui obligerait notamment celles-là à payer ceux-ci.

Après avoir initialement menacé de couper le service Google Search en Australie, Google a cédé à cette pression en concluant des accords financiers avec les trois grands groupes locaux de médias (le secteur médiatique du pays est très concentré), au premier rang desquels News Corp. de Rupert Murdoch. Mais ces accords signalent au moins trois éléments suspects dans la démarche du gouvernement australien.

En premier lieu, Rupert Murdoch est à la fois un soutien actif de l’exécutif australien et le premier bénéficiaire de son initiative pour faire cracher le duopole de la publicité numérique au bassinet. Cette collusion n’est d’ailleurs pas la seule dans ce dossier : The New York Times nous a ainsi appris que le principal négociateur de Canberra avec les géants de la Silicon Valley avait été le témoin de mariage du fils d’un autre magnat des médias australiens dont le groupe (Seven West Media) vient également de signer un accord financier avec Google.

En outre, la convention entre Google et News Corp. est d’autant plus sujette à caution qu’elle est assez éloignée des prétendus objectifs du gouvernement australien :

  • elle a une dimension mondiale et non australienne. Si la priorité était vraiment l’île-continent, le gouvernement aurait dû chercher à maximiser les subsides de Google dans ce pays plutôt que de laisser Rupert Murdoch négocier un accord qui profite à son groupe à l’échelle mondiale ;
  • elle ne fait aucune référence à certaines des dispositions de la loi australienne. Le “code de conduite contraignant” stipule par exemple que les plates-formes numériques devraient payer les éditeurs de contenus y compris pour des liens qui apparaîtraient sans contenu sur leurs services (!), participer à un arbitrage subjectif (car fondé sur aucune évaluation de la valeur de la publication des contenus concernés) des montants qu’ils devraient régler s’ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord avec lesdits éditeurs et dévoiler auprès de ces derniers les changements de leurs algorithmes 28 jours à l’avance (ce qui est impossible étant donné que ces algorithmes, fondés sur des solutions d’intelligence artificielle, évoluent en quasi temps réel en fonction de ce qu’ils apprennent). Or, comme par miracle, aucune de ces mesures n’est prévue dans les accords entre Google et les médias australiens. Pourtant, le gouvernement laisse entendre que le groupe dirigé par Sundar Pichai est désormais exempt des menaces de celle-ci.

La démarche australienne révèle donc sa vraie nature : il s’agit juste de faire raquer Facebook et Google. Mais pour quoi ?

La réponse à cette question représente le troisième élément suspect de cette affaire : le gouvernement de Scott Morrison n’a rien fait pour garantir que les “dons” de Google aux trois grands groupes de médias locaux (News Corp., Nine Entertainment et Seven West) favoriseraient bien le développement du journalisme. Et il est plus que paradoxal que Rupert Murdoch, qui a diffusé davantage de désinformations dans le monde que n’importe quel autre dirigeant d’entreprise à l’exception de Mark Zuckerberg, bénéficie ainsi de subsides pour censément soutenir le journalisme. Enfin, l’opération du gouvernement australien renforce la domination des trois principes groupes de médias du pays au lieu d’aider des projets éditoriaux alternatifs à émerger ou percer.

L’opéra de Sydney – (CC) Christophe Lachnitt

Facebook, pour sa part, a choisi une approche différente de celle de Google en empêchant ses membres de publier les contenus de médias australiens sur leurs murs1.

Disons le d’emblée : les lecteurs de Superception et de mes livres savent combien je tiens Mark Zuckerberg, que je considère comme l’un des cinq individus les plus dangereux de la planète pour la survie de la démocratie, en piètre estime. Mais ce n’est pas une raison pour avoir une réaction pavlovienne lorsque j’analyse chaque information relative à Facebook.

Or, en l’occurrence, l’argumentaire du Groupe au sujet de l’initiative du gouvernement australien est pertinent. En effet, alors que ce sont les algorithmes de Google qui publient des contenus de médias tiers, ce sont les membres de Facebook et les médias eux-mêmes qui relaient ces contenus sur le premier réseau social mondial. Il est donc absurde de lui demander de payer pour que des éditeurs de contenus puissent faire la publicité de leur production sur sa plate-forme.

J’ai déjà abordé cette problématique sur Superception il y a plusieurs années en comparant Google News à un kiosque de journaux. Comme un kiosque, ce service promeut les contenus de la presse. Il ne les pirate pas, les internautes étant dirigés vers les sites des autres médias dès qu’ils cliquent sur un lien. De plus, les médias ont tout intérêt à voir leurs contenus promus sur Google comme sur Facebook car cela leur apporte une audience – et donc des revenus – qu’ils ne pourraient pas capter par leurs propres moyens. Or Facebook et Google ne pourraient pas adresser ces internautes aux médias d’information s’ils ne leur donnaient pas les liens à suivre pour s’y rendre et ne leur montraient pas un aperçu des contenus qui justifient qu’ils cliquent sur ces liens.

C’est la raison pour laquelle les médias d’information ne veulent pas rompre cette dynamique, alors qu’il leur suffirait pour ce faire de modifier le code de leurs sites respectifs2. L’un d’eux expérimenta cette formule et revint vite à la raison : en 2014, Springer, le premier groupe de presse allemand, restreignit l’accès de Google à quatre de ses principales publications. Devant la perte de trafic occasionnée par cette restriction, il y mit rapidement un terme. En réalité, les groupes de presse ont besoin de la publicité que leur font Facebook et Google et ils veulent être payés pour en profiter.

La relation entre Facebook et Google et les médias d’information n’est d’ailleurs pas neutre : les premiers financent déjà les seconds à coups de dizaines de millions de dollars dans des programmes de soutien qui relèvent du mécénat. Ils sont aussi obligés de subventionner les groupes de presse par certaines actions de justice, comme le montre, dans notre pays, le récent accord entre Google et l’Alliance de la presse d’information générale (APIG). Il intervint après que Google eut été contraint à négocier avec les médias français. Mais, à la différence de la loi australienne, l’accord entre Google et l’APIG établit la compensation des médias locaux sur des critères objectifs, au premier rang desquels le volume quotidien de publication et le trafic Internet mensuel des entreprises concernées.

Cela ne rend cependant pas cette démarche plus légitime à mes yeux : on n’aide pas une industrie à se réformer face à une révolution technologique en subventionnant son absence de lucidité. Même si je suis un défenseur inlassable du rôle de la presse et des journalistes, le fait que l’existence de cette industrie soit cruciale pour la salubrité démocratique ne peut pas indéfiniment constituer une excuse.

Une autre dimension troublante de ces démarches est que, lorsque des gouvernements se font ainsi les porte-drapeaux des organes de pesse qui sont censés enquêter sur leurs faits et gestes, l’équilibre démocratique n’en sort pas forcément grandi.

Au final, l’épisode australien aura révélé trois réalités alarmantes :

  • Facebook a fait plier le gouvernement : après seulement cinq jours de suspension de la publication des contenus des médias australiens sur sa plate-forme, le groupe de Mark Zuckerberg a conclu un accord avec l’exécutif. Celui-ci a apporté deux amendements majeurs à sa loi : Facebook aura la possibilité de davantage négocier avec les médias australiens avant que l’arbitrage ne soit lancé en dernier recours et ses accords individuels avec des médias de son choix pourront lui éviter l’application de la loi. Surtout, Facebook conserve la possibilité de retirer de nouveau les contenus des médias australiens de sa plate-forme s’il était une nouvelle fois menacé : la législation australienne est donc peu ou prou rendue sans effet car le gouvernement ne peut pas à la fois obliger Facebook à laisser diffuser par des tiers sur sa plate-forme des contenus qu’il ne veut pas y voir figurer et ensuite le faire payer pour cette publication. Cela ne signifie pas que Facebook ne conclura pas des accords financiers avec des médias australiens mais cela donnera un caractère très différent à leurs négociations ;
  • l’assaut financier du gouvernement australien sur Facebook et Google, observé avec envie par nombre de gouvernements à travers la planète, signale l’incapacité des Etats à combattre les plates-formes numériques sur les deux terrains de la manipulation de la démocratie et de l’abus de position dominante. Leur impuissance à cet égard ne peut pas être compensée par leur agitation dans un domaine éminemment moins important ;
  • ce qui est en jeu est aussi la capacité d’Internet à demeurer un système mondial et donc, dans une certaine mesure, supranational. La guerre froide numérique entre les Etats-Unis et la Chine menaçaient déjà considérablement cette vision. Des législations telles que l’initiative australienne et des abus exécutifs tels que ceux subis par Twitter en Inde pourraient lui porter un coup fatal.

Dans cette épreuve de force, les preuves de force ne se manifestent décidément pas au bon endroit.

1 Ce faisant, Facebook a malheureusement aussi interdit l’accès à sa plate-forme en Australie à des organisations non gouvernementales, des organismes de charité et des institutions d’information sur la santé publique.

2 C’est aussi la raison pour laquelle ces groupes de presse encouragent leurs journalistes à promouvoir leurs contenus sur les réseaux sociaux.

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