21 novembre 2023 | Blog, Blog 2023, Management | Par Christophe Lachnitt
Les leçons de management du patron d’écurie de Formule 1 le plus accompli et du nouveau génie du tennis mondial
Comment faire face à l’échec ?
Le leadership de Toto Wolff à la tête de l’écurie Mercedes de Formule 1 est si remarquable qu’il est étudié par l’Université de Harvard. C’est au micro de celle-ci que l’Allemand a expliqué comment il avait réagi à la baisse de performance de son équipe après des années de domination sans partage (huit titres des constructeurs et sept titres des pilotes en huit ans) dans un sport qui se joue au centième de seconde et où les enjeux technologiques et industriels sont considérables.
La première leçon que je retiens de cet entretien est que Toto Wolff avait préparé son écurie, durant son règne, à la fin de son emprise sur sa discipline : “Pendant toutes ces années, nous avons vraiment essayé de travailler sur nos valeurs, notre culture et notre philosophie pour savoir comment faire face [à la défaite] le jour venu. Nous savions qu’aucune équipe sportive au monde n’avait remporté tous les championnats auxquels elle avait participé. […] Durant notre hégémonie, nous parlions du fait que les jours où nous perdrions seraient ceux que nos concurrents regretteraient le plus car ce sont ceux où nous apprendrions“.
Deuxième enseignement, ne pas laisser imperceptiblement ses propres attentes fléchir, phénomène qui peut résulter d’une auto-préservation naturelle : “Au début, vous n’en revenez pas. Ce n’est pas possible. Puis vient la phase où l’on se dit que ce n’est qu’un accident de parcours. Nous nous sommes trompés. Il s’agit d’une organisation qui a réussi par le passé. Et puis on se rend compte qu’on s’est vraiment trompé. Le véritable risque est alors de modifier ses attentes. Et c’est là qu’il devient fondamental de ne pas changer ses propres attentes et de ne pas se dire que, de toute façon, on a déjà perdu les titres cette saison. Dans ce cas, on s’habitue à un podium et on se dit que ce n’est pas si mal. D’une certaine manière, perdre n’est plus aussi douloureux qu’avant, ce qui est vraiment dangereux. Nous avons vécu cette émotion avec l’équipe : finir cinquième et sixième ou quatrième et cinquième et, soudain, vous vous retrouvez sur le podium et vous pensez que c’est un succès mais ce n’est pas le cas. Il faut se rappeler à quel point c’est douloureux. Si nous avions fait une quatrième et une cinquième places ou une troisième et une quatrième places l’année dernière, cela aurait été perçu comme une défaite. Il faut se rappeler qu’on ne peut pas s’habituer à ne pas finir premier car notre esprit nous protège presque du sentiment de médiocrité. Et si vous n’êtes pas assez bon, vous obtenez soudain un résultat meilleur que prévu, vous en êtes très heureux. Mais lorsque l’on revient en arrière et que l’on se demande ce que l’on aurait ressenti il y a six mois face à un tel résultat, on se rend compte que ce n’est pas là où l’on s’attendait à être”.
J’ai retrouvé la mentalité exprimée par Toto Wolff dans ces deux citations dans la conférence de presse donnée par Carlos Alcaraz, la nouvelle merveille du tennis mondial, après sa sèche défaite, samedi dernier, face à Novak Djokovic en demi-finale du Masters (3-6, 2-6) : “On a fait de grands matches à Wimbledon, Cincinnati ou Roland-Garros. Là, j’avais l’impression d’être à son niveau. Il va falloir que je travaille encore plus pour m’améliorer sur cette surface1. […] Ce match perdu va m’aider pour la préparation de la saison à venir. Avec Juan Carlos Ferrero2, on va parler de ce qu’on doit travailler. Evidemment, je vais revoir ce match pour analyser mes faiblesses et tenter de les corriger. Je vais oublier tous les autres matches contre lui, Wimbledon et Cincinnati3, et me focaliser sur celui-là pour voir ce que je dois arranger pour me hisser à son niveau“.
Troisième précepte de Toto Wolff, cette fois relatif au risque de micro-management induit par une spirale négative : “Je suis un maniaque du contrôle. Dans le passé, il me suffisait de savoir : tant que je savais ce qui se passait, même si des erreurs se produisaient, cela me convenait parce que je voyais les choses venir et que j’aime l’échange et parfois l’argumentation au sein de l’équipe pour trouver les bonnes solutions. Mais défaite après défaite, à un certain stade, j’ai voulu reprendre le contrôle complet. Et, naturellement, ce ne fut pas toujours très bien perçu par les ingénieurs et les scientifiques qui travaillent sur des sujets pointus depuis longtemps. Mais nous en avons parlé. A certains moments, ils m’ont dit : ‘D’accord, prends un peu de recul. Nous allons régler cela‘. Puis nos résultats ont continué de décliner. A un moment donné, je leur ai demandé s’ils m’accordaient le bénéfice du doute et si j’avais des raisons de m’interroger. Ils en convinrent. Alors je me mis à poser des questions. Cela ne veut pas dire que j’ai micro-managé chaque détail du développement de la voiture ou du moteur. Il s’agit simplement de comprendre où et quand nous nous sommes trompés, de décoder intellectuellement comment éviter cela à l’avenir. D’ailleurs, je pense que j’ai changé, pas toujours pour le meilleur au début. Il faut savoir se regarder en face et se dire qu’on s’est trompé. Cette année4, je me suis trompé à plusieurs reprises et, probablement, à un point tel que ma manie du contrôle et le fait d’essayer de régler moi-même les choses ont agacé certaines des personnes qui étaient en charge des enjeux scientifiques. J’essaierai donc, d’une certaine manière, de tirer de cet apprentissage ce que je pense être bon et je serai certainement une personne différente l’année prochaine, un manager différent. Le maniaque du contrôle est encore très présent en moi. Mais il y a certains domaines où je dois me calmer un peu et faire confiance“.
—
1 Indoor.
2 Son coach.
3 Les finales de Wimbledon et Cincinnati entre Djokovic et Alcaraz furent deux matches d’anthologie, le premier gagné sur le fil par l’Espagnol (1–6, 7–6(6), 6–1, 3–6, 6–4), le second in extremis par le Serbe (5-7, 7-6(7), 7-6(4)).
4 Cet entretien a été réalisé fin 2022.