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Toute vérité n'est que perception

La leçon de management de Rory McIlroy

La performance peut se nourrir de la vulnérabilité.

Je ne connais pas grand-chose au golf et la pratique de ce sport m’est interdite en raison de mes problèmes de dos. Cependant, j’adore suivre les grands événements de cette discipline (e.g. compétitions du grand chelem, Ryder Cup) qui me fascine en raison de sa beauté (magnificence des lieux où ces événements se déroulent et esthétique gestuelle du swing) et, plus encore, de sa dimension psychologique.

La nuit dernière, j’ai donc regardé le dernier tour du Masters, le plus prestigieux tournoi au monde, qui se déroule à Augusta (Géorgie). Beaucoup d’observateurs affirment déjà que ce fut le plus beau Masters de golf de tous les temps et je ne peux, avec un savoir bien moindre que le leur, qu’adhérer à leur jugement. En particulier, ce dernier tour restera comme l’un des plus grands moments de sport dont j’ai été le témoin cathodique. Pour les fans de tennis qui lisent cet article, ce tour constitua une sorte de tie-break irrespirable au cours duquel les (environ) 70 points joués par chacun des prétendants firent et défirent les écarts au score entre eux.

A l’ouverture de ce tournoi, tous les yeux étaient braqués sur l’Irlandais du Nord Rory McIlroy. Celui-ci tente en effet depuis onze ans de conclure son grand chelem en carrière (remporter les quatre tournois majeurs sur plusieurs années) auquel il ne lui manquait plus que le Masters. Pour ajouter à la pression qui pèse sur ses épaules, il faut en outre noter que Rory McIroy n’a plus empoché de tournoi du grand chelem depuis onze ans également et qu’il a, à quelques reprises (dont celle-ci), craqué sur le plan émotionnel alors qu’il avait la victoire au bout de son club de golf. Naturellement, à chaque occasion manquée, la pression augmente, et ce d’autant plus avec les années qui passent. Or, Rory McIlroy jouant remarquablement depuis le début de cette saison, son rendez-vous avec le Masters s’annonçait sous les meilleurs auspices, ce qui ne fit qu’augmenter les attentes à son endroit, au premier rang desquelles les siennes, et, partant, la pression.

Lors du quatrième tour du Masters, le joueur de 35 ans dut donc lutter à la fois contre ses adversaires et, surtout peut-être, contre lui-même dans ce qu’il décrivit comme des “montagnes russes d’émotions” :

  • Il commença la journée avec deux coups d’avance (-12) sur Bryson DeChambeau (-10).
  • Hyper tendu (il racontera ensuite qu’il n’avait rien pu avaler ce matin-là), il débuta au trou n°1 avec un double bogey et perdit ses deux points d’avance.
  • Au trou n°2, DeChambeau réalisa un birdie, alors que McIlroy fut dans le par. Il avait désormais un coup de retard sur son rival (-10 contre -11).
  • McIlroy se détendit au trou n°3, où il engrangea un birdie, et inversa le score avec DeChambeau qui encaissa un bogey (-11 contre -10).
  • Il compta trois points d’avance au trou n°4 après un nouveau birdie de sa part et un nouveau bogey pour l’Américain (-12 contre -9). DeChambeau passera d’ailleurs une bien mauvaise journée et ne menacera plus McIlroy.
  • Ce dernier passa à -13 au trou n°9, puis à -14 au trou n°10. Le Masters lui semblait alors promis. Son plus proche rival était Justin Rose à -10.
  • Mais ses démons le rejoignirent et il enchaîna bogey au trou n°13 et double bogey, sur une grossière erreur, au trou n°14. Il redescendit à -11, score auquel il fut bientôt rejoint par Justin Rose.
  • Au trou n°15, McIlroy réalisa un coup exceptionnel pour prendre seul la tête à -12.
  • Il arriva ainsi au trou n°18 avec un coup d’avance et une nouvelle opportunité de remporter le Masters. Malheureusement, il rata son dernier putt, pourtant bien plus facile que nombre des coups faramineux qu’il avait accomplis durant la journée et le tournoi.
  • Rory McIlroy et Justin Rose se retrouvèrent donc en playoff en mort subite. L’Irlandais du Nord enquilla une merveilleuse approche du green et, cette fois, ne manqua pas son putt.
Rory McIlroy lors de sa victoire – (CC) Richard Heathcote/Getty Images

Avec cette victoire lors de sa dix-septième tentative, qui l’aura vu manquer les coups les plus faciles et réussir les plus difficiles1, il devint seulement le sixième joueur à réaliser le grand chelem en carrière – personne ne l’a accompli sur une année calendaire et seul Tiger Woods a effectué le grand chelem consécutif en enchaînant les quatre victoires sur deux ans (2000-2001).

Outre la dimension historique de l’événement, il semble que tout Augusta voulait voir gagner Rory McIlroy qui fut même plus encouragé, tout au long du parcours, que Bryson DeChambeau, son adversaire américain. Il faut dire que Rory McIlroy est une personnalité qui se distingue par son humanité, son humilité, sa générosité et sa sincérité. Ce n’est pas davantage un hasard si toute la salle de presse, aux dires des journalistes présents sur place, versa une larme, comme votre serviteur d’ailleurs, lors de la victoire de l’Irlandais du Nord. De fait, peu de champions sont plus touchants que lui.

En outre, il se distingue aussi par ses principes qui le virent notamment défendre bec et ongles, quitte à empiéter sur sa concentration lors des tournois, le circuit légitime du PGA Tour contre les attaques du circuit pirate du LIV, refusant, selon des indiscrétions, 850 millions de dollars des Saoudiens pour les rejoindre, au contraire de tant de ses pairs qui vendirent leur âme pour beaucoup moins cher.

On ne peut pas simuler l’authenticité, ce que certains sportifs, à l’instar de Kylian Mbappé, n’ont toujours pas compris. Et ce sont ceux qui sont les plus authentiques, comme Rory McIlroy, qui suscitent l’amour lui aussi le plus sincère de la part de leurs pairs et des foules du monde entier.

Hier, Rory McIlroy souffrit mille maux devant la terre entière pour réaliser son rêve et la terre entière en fut émue. Il est rare de voir un personnage si attachant et si vulnérable sur le plan émotionnel réaliser de si grands exploits. Il avoua d’ailleurs s’être demandé, y compris hier sur le parcours, s’il arriverait un jour à atteindre son graal.

Même s’il est très proche amicalement de lui, Rory McIlroy est à mille lieux du tueur à sang froid qu’était Tiger Woods, qui triompha souvent mentalement de ses adversaires avant même de s’être présenté au départ du parcours. Et pourtant, il vient de le rejoindre dans le club le plus fermé du golf mondial, et ce, de surcroît, en composant l’un des plus beaux chapitres de l’histoire de ce sport. L’hypersensible résista à tous les revers et les coups durs pendant cette journée d’anthologie pour, enfin, accéder à son Everest.

C’est en cela qu’il nous prodigua une leçon de management fort utile. En effet, il est tentant, dans les entreprises, d’associer performance et invulnérabilité, efficacité et dureté. Or Rory McIlroy nous démontre qu’il n’y a aucune corrélation entre ces dimensions. Comme lui, on peut être vulnérable et avoir du génie. Cessons donc, dans nos pratiques de management, de considérer que les plus confiants en eux, ceux qui parlent le plus fort, ceux qui ont tendance à dominer les autres, sont forcément les plus compétents ou les plus productifs.

Comme Rory McIlroy, les entreprises qui accepteront cette réalité pourront réaliser des prouesses inconcevables.

1 Il remporta le Masters après avoir touché seulement un fairway sur les neuf premiers trous de ce quatrième tour et après avoir terminé le premier tour à la 27ème place (seul Tiger Woods, avant lui, avait remporté le tournoi après avoir achevé la première journée au-delà de la dixième place).

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