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Toute vérité n'est que perception

Quelle gouvernance démocratique après la crise du Covid-19 ?

Nos institutions pourraient être les prochaines victimes de la pandémie.

Au début du mois d’avril, Henry Kissinger publiait un éditorial dans The Wall Street Journal. Un paragraphe en particulier avait alors retenu mon attention car il formalise la suspicion que je nourris depuis l’acmé de la crise du Covid-19 :

Le maintien de la confiance du public est essentiel à la solidarité sociale, aux relations entre les communautés, ainsi qu’à la paix et la stabilité internationales. Les nations coexistent et prospèrent grâce à la conviction que leurs institutions peuvent anticiper la survenue d’une catastrophe, en contrôler les effets, puis rétablir la stabilité. Lorsque la pandémie de Covid-19 sera terminée, les peuples de nombreux pays auront le sentiment que leurs institutions ont échoué”.

Une crise de confiance délétère

Ce sentiment d’échec serait d’autant plus grave qu’il concernerait la protection des citoyens, l’une des premières missions de l’Etat comme l’a énoncé Thomas Hobbes dans “Léviathan“. Il pourrait être exacerbé par le fait que cette crise présente la rare particularité de toucher mêmement toutes les nations et, partant, de favoriser une comparaison entre leurs approches (et même entre celles de différentes régions au sein d’un même pays), voire un étalonnage avec des initiatives privées. Or les Etats qui réalisent une excellente performance face à cette pandémie (voir les graphes reproduits ci-dessous) signalent aux peuples du monde entier que le champ du possible dans la gestion de cette crise est plus vaste que ce que beaucoup de gouvernants veulent leur faire croire. En outre, les Etats touchés dans la deuxième phase de la pandémie seront aussi évalués à l’aune des leçons qu’ils auront su tirer des ravages créés par le virus dans les pays atteints en premier.

La crise de confiance serait plus sévère encore si le scénario sanitaire le plus défavorable se concrétisait dans les prochains mois. Deux éléments doivent nous inciter à la vigilance à ce sujet :

(CC) Horace Dediu (www.asymco.com)

La gestion de crise deviendrait plus délicate encore si ces scénarios catastrophes se réalisaient. Comment, alors, traiter le danger sanitaire persistant en préservant autant que possible l’économie ? Comment encadrer une population de plus en plus désemparée dont le comportement risquerait d’aggraver le mal sanitaire et/ou économique plutôt que de le résorber ? Comment imposer une quarantaine aux populations les plus fragiles ? La prévention des citoyens à l’égard de leurs gouvernants menacerait la prévention de la maladie et la récession.

De surcroît, en l’absence d’un vaccin ou d’un traitement, les périodes de sortie du confinement ne pourraient être prolongées que si la liberté des citoyens était significativement restreinte. La Chine n’autorisa ainsi les villes touchées par le virus à rouvrir qu’après que la surveillance dans laquelle le régime excelle eut montré qu’aucun nouveau cas n’avait été enregistré durant quatorze jours. De toute évidence, une telle surveillance n’est pas envisageable dans nos démocraties. Or, pour être efficaces, les solutions de “tracing” numérique qui sont censées la remplacer devraient y être adoptées par une proportion de la population (plus de 60%) qui a été très loin d’être atteinte dans les pays qui y ont eu recours jusqu’à présent (par exemple moins de 20% des habitants de Singapour utilisent ce système). En outre, ces applications sont fondées sur la technologie Bluetooth dont le large rayon d’action crée un grand nombre de faux positifs dans l’analyse de la chaîne de propagation. C’est pourquoi la solution allemande, qui repose sur des enquêtes humaines, est plus fiable.

Même dans le cas d’une évolution favorable dans les prochains mois, plusieurs décisions susceptibles de déstabiliser certaines institutions devraient être prises : qui se verrait attribuer en premier les vaccins, à l’échelle mondiale et dans chaque pays1 ? Comment empêcher qu’une immunité au virus – si elle existe – ne devienne un avantage social créant deux nouvelles classes de citoyens, ceux qui pourraient travailler bénéficiant d’un avantage considérable sur les autres ? Comment éviter, dès lors, la discrimination, notamment à l’emploi, qui pourrait en résulter, et ce alors que la situation à cet égard serait déjà dramatique ?

Une nouvelle vision de l’Etat et de la gouvernance

Il y a un mois, je partageais avec vous une réflexion sur les qualités éthiques dont les dirigeants politiques devraient faire montre dans la crise actuelle. Je voudrais aujourd’hui la compléter en considérant leur approche politique et institutionnelle.

La pandémie actuelle met une nouvelle fois en lumière la difficulté des pouvoirs, exécutifs comme législatifs, à penser le temps long. Possiblement est-ce la nature d’une génération qui n’a pas connu de défis durables tels que la reconstruction après la Seconde guerre mondiale ou les différentes phases de la Guerre froide. Probablement est-ce la conséquence d’un écosystème médiatique qui ne jure que par l’instantané. Certainement est-ce la demande d’électorats qui, trop souvent, se laissent séduire par des réponses simplistes, et donc court-termistes, à leurs angoisses. Assurément est-ce notre incapacité à appréhender l’évolution du monde, y compris sa transition vers de nouveaux dangers. Ainsi, comme l’expliquait Bill Gates en 2015 dans The New England Journal Of Medicine, les pays occidentaux réalisent-ils chaque année des exercices très détaillés pour se préparer à une menace militaire hypothétique alors qu’ils ne s’organisent pas du tout dans l’optique d’une menace épidémiologique certaine2.

La crise du Covid-19 est patente à cet égard. Malgré les alertes répétées de spécialistes depuis une dizaine d’années et les épidémies précédentes du SARS en 2002 et du MERS en 2012 (il y a donc en moyenne une vague de coronavirus par décennie depuis le début du siècle), très peu de pays étaient préparés à gérer la pandémie du Covid-19 en matière de dimensionnement de leur système de santé, d’approvisionnement des équipements nécessaires, de capacité de production des traitements et éventuel vaccin et, peut-être plus encore, de culture des gouvernants et gouvernés. Incidemment, ce constat est indépendant de l’orientation politique des exécutifs concernés, et ce d’autant plus que ce déficit de préparation est rarement le fait des dirigeants aujourd’hui au pouvoir3.

Les peuples et leurs élus sont focalisés sur le court terme, plus intéressés par le prochain scrutin que par leur destin. Beaucoup d’entreprises cotées en Bourse souffrent du même mal, leurs patrons et actionnaires étant obsédés par le trimestre en cours. Il demeure cependant des entrepreneurs et capitaines d’industrie qui parviennent à penser le temps long tout en prospérant dans le temps court. Il faut admettre que cette classe de dirigeants est beaucoup plus rare dans le monde politique. L’argent est semble-t-il un guide moins impérieux que les émotions.

Seule l’exigence des citoyens permettra de faire évoluer cette situation. Or, aujourd’hui, deux facteurs pourraient aggraver la perception des peuples à l’égard de leurs responsables politiques.

En premier lieu, la grande majorité des partis et dirigeants affirment que la survenance de la pandémie confirme la pertinence de leurs idées. Il est évidemment impossible que ce soit le cas et ce manque de remise en question n’est pas encourageant eu égard à leur éthique de responsabilité. En second lieu, les dirigeants de plusieurs Etats ont pris, en quelques semaines, des décisions qu’ils affirmaient depuis des années inconcevables, notamment en termes de finances publiques. Cette démarche est évidemment légitime dans le contexte actuel mais elle pose la question du traitement de la crise climatique : il s’agit d’un danger beaucoup plus insidieux que le Covid-19, du moins jusqu’à ce qu’une première mégalopole soit ensevelie sous les eaux, mais qui exigerait des mesures plus radicales encore aux échelons nationaux et mondial.

Ce rapport tendu des exécutifs à l’action fut éclairé par une analyse de l’essayiste Francis Fukuyama dans son livre “Political Order And Political Decay” paru en 2014 : il y expliquait que la démocratie américaine4 est devenue une “vétocratie”, un régime de gouvernement par vétos. L’équilibre des pouvoirs qui est au fondement de toute démocratie s’y est progressivement transformé en système de blocage, notamment en raison de la montée en puissance de groupes d’intérêt de toutes natures qui, chacun, détiennent une capacité d’entrave.

Il est temps que cette addition de verticalités paralysantes, qui découle aussi, dans notre pays, de la culture d’omniscience supposée de l’Etat, fasse place à un fonctionnement plus horizontal des institutions favorisant une gestion plus efficace de la complexité.

Un Etat à la fois plus indispensable et affaibli que jamais

La crise sanitaire s’est rapidement muée en crise économique et sociale. Il est à craindre qu’elle ne produise une crise politique, voire institutionnelle, dans les pays où l’exposition de problèmes de gouvernance par la pandémie aggravera le déficit de confiance du peuple. Un révélateur de l’ampleur de cette crise sera, dans chaque nation, le recours par les gouvernants à la peur comme mode de mobilisation. On connaît le risque attaché à cette dérive depuis “L’esprit des lois“. Montesquieu y associait chaque régime politique à une passion : la monarchie et l’honneur, la république et la vertu, le despotisme et la crainte. L’enjeu sera demain d’éviter que la pandémie et ses conséquences ne versent le poison du despotisme dans nos républiques.

En réalité, le paradoxe est que cette crise replace l’Etat (et l’Etat-providence) au centre des enjeux les plus vitaux tout en révélant ses plus grandes faiblesses. Ainsi faudra-t-il pour que, selon l’aphorisme américain, cette crise ne soit pas gâchée qu’elle donne lieu à une réforme d’envergure des Etats et pratiques de gouvernement démocratique.

Cette réforme devrait à mon sens aborder trois relations déterminantes que j’ai esquissées dans les lignes qui précèdent :

  • celle entre le temps court et le temps long,
  • celle entre la verticalité et l’horizontalité,
  • celle entre les intentions et les réalisations.

Dans son “Discours de la servitude volontaire“, Etienne de La Boétie explique que le peuple se soumet volontairement à ses tyrans. Indubitablement, les institutions dépendent toujours des citoyens. Il nous revient donc, individuellement et collectivement, de promouvoir les changements que nous voulons voir advenir, ce que je fais à mon modeste niveau dans cet article.

L’expérience de l’univers corporate devrait nous inspirer. Plusieurs grandes entreprises ont en effet été créées dans des périodes de récession. Ce fut notamment le cas de General Electric (1892), General Motors (1908), I.B.M. (1911), The Walt Disney Company (1929), Hewlett-Packard (1939) et Microsoft (1975). Il est évident que, de même, certains Etats sortiront renforcés de cette crise.

Il nous appartient que la France figure parmi ceux-ci.

1 Cette interrogation serait d’autant plus épineuse si la vaccination contre le Covid-19 requérait deux doses et non une seule.

2 A l’inverse, des pays asiatiques comme la Corée du Sud et Taiwan, qui ont été touchés par les épidémies précédentes de SARS et MERS, avaient, eux, accompli les préparatifs nécessaires à la gestion d’un nouveau coronavirus.

3 Sauf pour ceux qui, comme Donald Trump, ont saboté les efforts de préparation réalisés par leurs prédécesseurs.

4 Une partie de son raisonnement concerne l’Amérique mais il s’applique globalement à beaucoup d’autres pays.

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