26 juillet 2013 | Blog, Blog 2013, Communication | Par Christophe Lachnitt
La vraie raison de l’échec de la presse face à Internet
Comme souvent, la différence ne se fit pas sur des critères économiques ou technologiques mais culturels.
Le site web de FORTUNE rend compte d’un projet mené au sein de l’Université d’Harvard par trois figures du journalisme américain : John Huey, ancien directeur de la publication de TIME, Martin Nisenholtz, conseiller spécial du New York Times, et Paul Sagan, ancien rédacteur en chef des nouveaux médias au sein de TIME.
Cette étude, composée de près de 70 interviews d’acteurs du monde des médias, explore l’évolution du journalisme après l’émergence d’Internet. Le trio donna un avant-goût de ses conclusions il y a quelques jours lors de la Conférence Brainstorm Tech de FORTUNE.
En synthèse, ils considèrent que le déclin de la presse était inévitable face à la mutation du marché publicitaire créée par Internet et que, contrairement à l’idée reçue, les dirigeants des médias traditionnels ne commirent pas d’erreurs majeures.
A leurs yeux, les systèmes d’accès payant aux sites web de presse – les fameux paywalls qui se développent avec un certain succès ces temps-ci (lire notamment ici et ici) – n’auraient pas été pertinents à la fin des années 1990 alors que le critère de succès (et de monétisation) unanimement adopté par la toute jeune industrie numérique était le nombre de pages vues.
Ils soulignent également que le nouveau modèle fut davantage disruptif pour l’industrie publicitaire – et le modèle économique sur lequel elle reposait – que pour le journalisme qui, selon eux, gagna un territoire d’action de plus en plus vaste. Ils relèvent cependant que le journalisme est aujourd’hui écartelé entre une audience plus grande que jamais et des risques financiers mortifères induits par le développement de la gratuité à tous crins.
Il est étonnant que l’équipe de direction de ce projet soit composée de trois papys du journalisme et n’inclut pas des spécialistes du nouveau monde numérique. Je ne puis m’empêcher de penser que leurs conclusions représentent davantage une auto-absolution qu’une réflexion porteuse de leçons pour l’avenir. Nos papys – qui font de la résistance au changement – soulignent d’ailleurs qu’ils n’ont aucune idée de ce qui sortira le journalisme de l’ornière…
Plus étonnant – et comique – encore, ils envisagent le papier comme un média d’avenir en utilisant des arguments plus qu’effarants. Walter Isaacson, autre ancien directeur de la publication de TIME, aujourd’hui patron du think tank The Aspen Institute et incidemment auteur de la biographie de référence de Steve Jobs, se joignit à eux sur la scène de la Conférence Brainstorm Tech.
Il fit à ce sujet une déclaration extraordinairement anachronique : “Ecoutez, le papier est une technologie merveilleuse. C’est un excellent média dont la batterie a une très longue durée de vie. Si nous avions accédé à toutes nos informations de manière électronique sur des écrans pendant les 450 dernières années et qu’un Gutenberg des temps modernes nous annonçait qu’il pouvait désormais les mettre à notre disposition sur papier, les livrer sur le pas de notre porte pour que nous puissions les consommer dans le bus, dans notre jardin, dans notre baignoire, bref où nous le voulons, nous serions estomaqués. Le papier est vraiment une technologie remarquable qui pourrait même commencer à remplacer l’Internet“.
Il est déconcertant qu’un journaliste aussi bien informé que Walter Isaacson et qui, en outre, est le remarquable biographe official de Steve Jobs qu’il a suivi durant les dernières années de sa vie, profère une telle énormité.
Faut-il lui rappeler que deux produits numériques pensés par Steve Jobs, l’iPhone et l’iPad, offrent toutes les qualités (hormis la batterie inépuisable) qu’il décrit avec enthousiasme en parlant du papier et d’autres avantages (actualisation en temps réel, personnalisation, diffusion multimédia, interactivité…) dont le papier ne disposera probablement jamais ?
In fine, le plus grand intérêt de ce projet est peut-être de nous aider à mieux comprendre pourquoi le monde de la presse est resté enferré dans ses pratiques anciennes face à la menace vitale créée par Internet : ses dirigeants n’avaient pas la capacité à changer de culture et donc de stratégie.
Sauf que l’électronique n’a pas de “batterie infinie” et surtout dispose d’un bilan carbone ahurissant (10 fois superieux selon une étude récente) comparé aux supports papier. Après, chacun voit midi à sa porte 😉