26 novembre 2013 | Blog, Blog 2013, Management | Par Christophe Lachnitt
Pourquoi le recrutement de Katie Couric par Yahoo! ne fait aucun sens
Mais au moins Marissa Mayer est-elle cohérente… dans son incohérence stratégique.
La patronne de Yahoo! a annoncé hier sur Tumblr qu’elle était “incroyablement excitée” que Katie Couric – la Christine Ockrent américaine – rejoigne l’entreprise quelle dirige.
Tout en continuant (au moins temporairement) de présenter son talk-show quotidien “Katie” sur ABC, Couric sera en quelque sorte la tête de gondole du média d’information que Yahoo! constitue ces temps-ci à coups de recrutements. Avant Couric, Marissa Mayer avait notamment enrôlé David Pogue, Matt Bai et Megan Liberman, trois journalistes éminents du New York Times.
A mon humble avis, le recrutement de Katie Couric ne fait aucun sens. Pire, il démontre l’errance de Marissa Mayer depuis qu’elle a pris la tête de Yahoo! il y a un an et demi. Sa seule cohérence réside en effet dans son incohérence stratégique. Effectuons un petit retour pour en prendre la mesure.
Pendant des années, les dirigeants de Yahoo! ont hésité à positionner l’Entreprise, alors qu’elle déclinait, comme un média ou un groupe technologique. En juin 2012, cette question fut de nouveau mise sur la table du Conseil d’Administration lorsqu’il s’agit de nommer un nouveau patron. Ross Levinsohn, nommé directeur général par intérim après la destitution de Scott Thompson, présenta une stratégie aussi claire qu’audacieuse visant à faire de Yahoo! un média en ligne de tout premier plan. A l’appui de cette approche, Levinsohn fit valoir sa longue expérience dans cet univers.
Mais le Conseil d’Administration décida de nommer Marissa Mayer qui disposait, à l’inverse, d’un parcours impressionnant au sein de Google, la référence des entreprises de nouvelles technologies. J’avais expliqué sur Superception à l’époque (lire ici) pourquoi ce choix – la stratégie privilégiée et la personne nommée pour la mettre en oeuvre – me semblait constituer une double erreur.
Ainsi que je le redoutais dès sa nomination, Marissa Mayer fait une nouvelle fois montre avec l’embauche de Katie Couric (i) qu’elle n’a ni vision ni stratégie pour Yahoo! et (ii) qu’elle privilégie toujours les paillettes sur toute autre considération.
Stratégiquement, Mayer s’ébroue dans toutes les directions, ne répondant toujours pas à la question existentielle qui taraude les utilisateurs, annonceurs, actionnaires, collaborateurs et partenaires de Yahoo! Elle dépense avec entrain les réserves financières du Groupe pour investir à la fois dans les nouvelles technologies (ainsi par exemple de l’acquisition de Tumblr pour plus d’un milliard de dollars et d’une vingtaine d’autres entreprises) et dans les médias (à l’instar des embauches évoquées plus haut).
Sur le plan technologique, le bilan de Marissa Mayer est des plus minces : elle a rénové une série de produits (Flickr, Yahoo! Mail, Yahoo! News, Yahoo! Weather…) et développé quelques services pour mobiles. Aucune de ces nouveautés n’a pris une place de choix dans le coeur des utilisateurs et plusieurs d’entre elles ont même provoqué un rejet.
Il est d’ailleurs ironique qu’ait fuité hier sur AllThingsD un email diffusé par deux cadres dirigeants de Yahoo! à tous les collaborateurs de l’Entreprise pour leur signaler/reprocher qu’ils n’aient été que 25% à délaisser Microsoft Outlook et adopter le nouveau Yahoo! Mail. Ce faible taux d’adoption interne est le meilleur indicateur du succès des nouveautés lancées sous le magistère de la spécialiste des produits qu’est Marissa Mayer. De même, l’ancienne dirigeante du premier moteur de recherche planétaire n’a-t-elle pas réussi à faire progresser la fréquentation du moteur de recherche de Yahoo!
Echouant (pour l’instant) dans son coeur de métier, Marissa Mayer cherche à s’illustrer dans une activité qu’elle ne maîtrise pas : les médias. Ici aussi, elle est attirée par ce qui brille. Son recrutement de Katie Couric est à cet égard le pendant dans les médias de son acquisition de Tumblr dans le domaine technologique.
Katie Couric délaisse la télévision, où sa carrière déclinait depuis quelque temps au rythme de la baisse de ces audiences, pour rejoindre Yahoo! où elle va couvrir les grands événements de l’actualité et réaliser des interviews de personnalités. Cette activité va-telle permettre à Yahoo! d’endiguer la baisse du chiffre d’affaires généré par ses bannières publicitaires et de créer de nouveaux revenus ?
J’en doute pour deux raisons.
En premier lieu, la baisse du chiffre d’affaires produit par les bannières publicitaires relève davantage du développement de la publicité programmatique (dont j’ai expliqué les principes et les conséquences ici) que d’un problème de contenus.
En second lieu, Internet se distingue des autres médias par sa capacité à cibler précisément toutes les personnes intéressées par un sujet aussi précis soit-il ou porteur d’une opinion aussi peu répandue soit-elle. Ainsi que je l’ai souvent expliqué sur Superception (lire notamment ici, ici et ici), le web est donc le vecteur de la segmentation par excellence. C’est pourquoi y réussissent les médias – et les individus – spécialisés dans un secteur d’activité et/ou porteurs d’idées fortes.
Or Katie Couric, une présentatrice généraliste, ne correspond en aucune manière à ce modèle. Elle n’incarne ni une spécialité ni un positionnement intellectuel. Sa valeur ajoutée correspond donc au média télévisé, où ce type de personnalités est indispensable pour séduire le plus grand nombre de téléspectateurs, mais pas à Internet où la communautarisation l’emporte.
Ainsi, même si la journaliste fera bénéficier l’Entreprise de sa notoriété et de sa crédibilité, elle constitue à mes yeux une erreur de casting de plus pour Yahoo!