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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Culture d’entreprise : comment traduire l’intangible en tangible ?

Une culture corporate ne se réduit pas à de grandes idées et de beaux slogans.

Certes, elle repose sur des idées – une vision de marché, un modèle stratégique, des valeurs, des principes managériaux… – mais elle trouve son efficacité dans leur mise en oeuvre concrète. Une culture purement déclarative n’est en fait qu’une contre-culture au sens où elle favorise le développement de comportements contraires à ses objectifs affirmés.

La traduction de l’intangible en tangible passe notamment par l’exemplarité des dirigeants d’entreprise et la mise en place de processus opérationnels très prosaïques.

Il y a deux mois, Lou Gerstner, l’ancien patron emblématique d’I.B.M. qui redressa le Groupe de manière spectaculaire entre 1993 et 2002, évoqua ces enjeux dans un éditorial publié dans The Wall Street Journal qui retint mon attention. Il y évoque en effet, beaucoup plus brillamment que moi, des thématiques que j’aborde régulièrement sur Superception :

Il est essentiel de comprendre que les gens ne font pas ce que vous escomptez mais ce que vous inspectez. Une culture d’entreprise est un produit dérivé plutôt qu’une force motrice : elle se forme en fonction des signaux que les collaborateurs reçoivent des processus qui structurent leurs priorités de travail.

La rémunération est l’un des plus puissants. Si un mécanisme de prime récompense un type de comportement, c’est celui qu’adopteront les collaborateurs, et ce quel que soit l’énoncé des valeurs de l’entreprise concernée.

Lou Gerstner - (CC) Madalin Matica

Lou Gerstner – (CC) Madalin Matica

Si un système de reporting financier est focalisé sur les résultats opérationnels à court terme, c’est la priorité à laquelle se consacreront les collaborateurs.

Si vous voulez que vos équipes attachent une grande importance à la satisfaction de vos clients, vous devez mettre les indicateurs afférents au même niveau d’importance que le chiffre d’affaires et le résultat opérationnel. […]

En matière de diversité, les proclamations d’un PDG ont moins d’influence que les budgets qu’il alloue aux programmes proposés par la Direction des Ressources Humaines. Croyez-moi, le processus budgétaire est au moins aussi prépondérant que le mécanisme de rémunération dans la formation d’une culture d’entreprise. […]

C’est l’effet cumulé de tous les processus (budget, rémunération, mesure de la performance, reconnaissance…) qui forge une culture. Ainsi les patrons qui veulent comprendre la vraie culture de leur entreprise ne doivent-ils pas se contenter de consulter l’énoncé de ses valeurs ; ils doivent regarder ce que ses processus signalent à ses collaborateurs“.

Un autre chef d’entreprise américain, Jim Whitehurst, patron de Red Hat et membre du Conseil d’Administration de la compagnie aérienne United, partageait récemment dans The Harvard Business Review une vision cohérente avec celle de Lou Gerstner.

Il souligne que “la culture est un comportement appris” et raconte son expérience au sein du Conseil d’United. Chaque séance commence par l’indication des sorties de secours et des procédures à suivre en cas d’incendie. En effet, la culture d’United est fondée sur la priorité absolue accordée à la sécurité et le meilleur moyen de la renforcer est de promouvoir les comportements afférents à partir du sommet de l’Entreprise.

Jim Whitehurst - (CC) Red Hat

Jim Whitehurst – (CC) Red Hat

De même, le deuxième élément de sa culture, la ponctualité, est-il appliqué avec rigueur dans les séances du Conseil qui commencent à l’heure précise prévue, ou en avance si suffisamment de personnes sont présentes, et ce même si un ou plusieurs membres sont en retard.

Dans le même ordre d’idées, j’avais évoqué sur Superception la pratique de Jeff Bezos consistant à placer une chaise vide dans chaque réunion tenue au sein d’Amazon pour rappeler la priorité donnée à la satisfaction des clients du Groupe.

Ces exemples mettent en lumière le fait qu’une culture d’entreprise est une série de comportements. C’est pourquoi elle est si difficile à changer une fois qu’elle est assimilée par les collaborateurs d’une entreprise si les dirigeants ne sont pas eux-mêmes exemplaires.

Une étude consacrée par une équipe conjointe des universités de Columbia, Harvard et New York aux effets sur leur performance financière des raisons d’être communiquées par les entreprises montre d’ailleurs l’importance des modalités de leur application. Les chercheurs ont analysé l’activité de 429 entreprises américaines et les perceptions à leur sujet de plus de 450 000 de leurs collaborateurs.

A partir de ces données, ils ont identifié deux types d’entreprise parmi celles qui affirment une mission : les premières se distinguent par leur esprit de camaraderie (plaisir au travail et ambiance très collaborative), les secondes par la clarté de leur management (netteté des objectifs et moyens de les atteindre ainsi que des attentes des dirigeants). Or seulement celles-ci bénéficient d’une performance financière supérieure à la moyenne.

L’analyse des universitaires montre également que ce sont les employés et les managers intermédiaires qui jouent un rôle clé dans ce succès, pas les cadres dirigeants. Mais ceux-ci doivent donner à ceux-là l’envie, le cadre d’action et les informations nécessaires à leur engagement.

Quelle que soit leur raison d’être, les entreprises se divisent en deux types de mentalité – fixe ou de croissance. C’est ce que révèle une recherche menée par Carol Dweck, professeure de psychologie au sein de l’Université de Stanford. Je vous avais entretenu il y a un an de ses travaux sur les mentalités des individus.

Une mentalité fixe porte celles et ceux qui en sont dotés à considérer qu’ils sont ce qu’ils sont et ne peuvent pas changer. Lorsqu’ils sont confrontés à un défi ou une difficulté, ils sont dépassés. Au contraire, ceux qui bénéficient d’une mentalité de croissance sont convaincus qu’ils peuvent s’améliorer s’ils consentent les efforts nécessaires. C’est pourquoi ils surpassent, même si leur quotient intellectuel est inférieur, ceux qui ont une mentalité fixe. Cette faculté résulte du fait qu’ils envisagent chaque challenge comme une opportunité d’apprendre.

Carol Dweck - (CC) Bengt Lennartsson

Carol Dweck – (CC) Bengt Lennartsson

Carol Dweck applique désormais cette distinction aux entreprises. Il ressort de ses travaux que les collaborateurs d’une entreprise sont généralement d’accord sur la mentalité qui la gouverne et que ladite mentalité influence autant les organisations que les individus.

Ainsi les collaborateurs d’une entreprise à mentalité fixe soulignent-ils que seulement un petit groupe d’entre eux sont valorisés. La conséquence est que les équipes de ces entreprises sont moins motivées que celles des organisations à mentalité de croissance parce qu’elles ne pensent pas que leur employeur les soutient. Ces collaborateurs ont donc peur d’échouer et prennent moins de risques et d’initiatives. Ils sont aussi plus enclins à tricher pour faire avancer leur cause.

Dans les entreprises à mentalité de croissance, au contraire, les collaborateurs font preuve de plus d’esprit d’équipe, sont plus innovants et veulent davantage apprendre pour se développer. Ils y sont 65% plus inclinés que dans les entreprises à mentalité fixe à considérer que leur employeur encourage la prise de risques, 49% plus disposés à estimer qu’il favorise l’innovation, 47% plus enclins à dire que leurs collègues sont dignes de confiance et 34% plus portés à éprouver un fort sentiment d’engagement envers leur entreprise.

Ces différences de mentalité jouent également un rôle important dans les pratiques de recrutement : alors que les entreprises à mentalité de croissance promeuvent beaucoup en leur sein, celles à mentalité fixe recherchent des talents à l’extérieur. Lorsqu’elles recrutent, celles-là privilégient le potentiel et la passion pour le développement personnel des candidats, alors que celles-ci se concentrent sur leurs accomplissements antérieurs.

Au-delà de son impact sur les résultats financiers et sur l’épanouissement des collaborateurs, une culture, bien qu’elle soit un ensemble de processus prescrivant des comportements, peut donner une âme à une entreprise. L’un des exemples les plus symboliques, à cet égard, est celui de Ford.

Henry Ford affirmait que

Une entreprise qui ne gagne rien d’autre que de l’argent est bien pauvre“.

La volonté de Henry Ford de voir son entreprise contribuer au développement de la Société trouva son apogée dans le procès qui l’opposa en 1919 à deux de ses grands actionnaires, les frères John et Horace Dodge. Ces derniers poursuivirent Ford en l’accusant de détourner une part excessive des ressources financières de l’Entreprise vers des objectifs sociaux au lieu de les allouer à la rémunération de ses actionnaires.

Henry Ford - (CC) United States Library of Congress

Henry Ford – (CC) United States Library of Congress

Il est vrai que Henry Ford accordait la priorité aux embauches d’ouvriers supplémentaires et à la réduction des prix de ses voitures. Les frères Dodge critiquaient cette approche qui, à leurs yeux, ne favorisaient pas la prospérité de l’Entreprise à long terme, alors même que sa position concurrentielle lui aurait permis d’augmenter ses tarifs. Ils considéraient la stratégie d’Henry Ford comme excessivement favorable aux employés et clients de la marque, l’apparentant davantage à une opération philanthropique que commerciale.

Pour crédibiliser leur accusation, les frères Dodge mirent en exergue des déclarations de Henry Ford dans lesquelles il expliquait que son ambition était “d’employer plus d’ouvriers, de diffuser les bienfaits du système industriel au plus grand nombre possible et de les aider à améliorer leur vie. Pour ce faire, nous réinvestissons la majorité de nos profits dans l’entreprise“.

Au final, la Cour Suprême de l’Etat du Michigan autorisa Henry Ford et son Conseil d’Administration à gérer l’Entreprise comme ils l’entendaient, s’estimant incompétente dans ce domaine et reconnaissant le succès passé de Henry Ford.

De fait, c’est quand elles dépassent leur vocation mercantile que les entreprises prennent toute leur dimension. Ne parle-t-on d’ailleurs pas d'”objet social”, et non économique, dans leurs statuts ?

4 commentaires sur “Culture d’entreprise : comment traduire l’intangible en tangible ?”

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