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Communication.Management.Marketing

Toute vérité n'est que perception

Tim Cook a croqué la pomme

Il est le remplaçant de Steve Jobs mais pas son successeur.

Apple a lancé une alerte sur ses ventes du premier trimestre fiscal 20191 : le nouveau chiffre d’affaires anticipé est inférieur de 7 milliards de dollars (soit une baisse supérieure à 5%) au milieu de la fourchette communiquée dans les prévisions du Groupe il y a deux mois2. Dans ce contexte, la décision annoncée par Apple il y a quelques semaines de ne plus publier trimestriellement le nombre d’iPhone qu’il vend prend tout son sens. Résultat, l’action du Groupe a perdu près de 40% de sa valeur (soit plusieurs centaines de milliards de dollars) depuis le mois d’octobre dernier.

Disons-le d’emblée : le traitement de cette crise par les médias et les observateurs est exagéré, ce qui peut se comprendre concernant la première entreprise de l’Histoire à avoir dépassé le trillion (mille milliards) de dollars de valorisation boursière. Ce traitement est démesuré au sens où cet épisode ne nous apprend rien de déterminant sur la situation d’Apple. Mais il remet au premier plan les questions que je pose de manière récurrente sur la pertinence de sa stratégie (lire notamment ici, ici, ici, ici, ici et ici)

Dans son message aux actionnaires, Tim Cook blâme la décélération du grand marché chinois (Chine, Hong Kong, Taiwan). Cette excuse occulte pudiquement le double fait que la croissance récente du Groupe est loin de reposer majoritairement sur cette région et que, depuis la disparition de Steve Jobs, Apple a cessé d’innover, c’est-à-dire de créer des ruptures, pour se contenter de proposer de nouvelles versions incrémentales de ses produits-phares et s’appuyer sur une expansion géographique pour les vendre au plus grand nombre.

L’évolution d’Apple depuis le décès de son patron emblématique repose de fait sur un illogisme que j’avais dénoncé quelques heures après l’annonce de sa démission pour raisons de santé en août 2011 : on ne pouvait pas affirmer à la fois que le cofondateur d’Apple était un génie sans égal et qu’il allait être remplacé sans le moindre dommage à la tête du Groupe. C’était un discours d’autant moins crédible que sa doublure était un expert industriel et non un spécialiste produit.

Apple vit sur ce malentendu, voire cette escroquerie intellectuelle, depuis sept ans. L’exceptionnelle ligne de produits conçue par Steve Jobs, l’aura du Groupe et ses relations faites de séduction et d’intimidation avec les médias et les marchés financiers lui ont permis de tromper son monde plus longtemps que de raison. Mais, que cette crise boursière se révèle un accident passager ou le début d’une tendance durable, Apple se trouve aujourd’hui rattrapé par son absence de vision stratégique et de novation produit (technologies et usages). C’était écrit d’avance et la seule surprise réside dans le fait que le Groupe ait pu tenir jusque-là sans subir les conséquences de son immobilisme stratégique.

Le titre de mon article du mois d’août 2011 – “Tim Cook fera certainement un bon job, mais pas un bon Jobs” – annonçait ce qui s’est déroulé depuis lors, même si l’écrasante majorité des analystes a voulu croire à l’impossible : Apple n’a opéré aucune percée stratégique significative depuis plusieurs années. Dans tous les domaines, il a adopté une approche suiveuse (“me-too“) et a parfois même pris du retard sur ses concurrents (e.g. intelligence artificielle, interface homme-machine vocale…).

Tim Cook – (CC) iphonedigital

Au lieu d’annoncer de nouvelles versions de produit banales avec la même forfanterie que s’il avait résolu la crise climatique, Tim Cook aurait dû depuis plusieurs années trouver les remèdes à l’impasse stratégique prévisible du Groupe, symbolisée par sa dépendance exagérée à l’iPhone3, dont il n’a pas su anticiper le déclin contre toute évidence. Il aurait aussi pu valoriser sa gigantesque trésorerie en réalisant une acquisition, plutôt que de racheter ses actions, lui permettant de se doter d’une putative relève à même de compenser ses lacunes.

Tim Cook, en effet, n’est qu’un régent à la tête d’Apple : sa performance pour faire fructifier l’héritage de Steve Jobs est aussi remarquable que son incapacité à inventer l’avenir est abyssale. Il n’aura été que le remplaçant de Steve Jobs. Son vrai successeur sera celui ou celle qui définira une nouvelle stratégie pour le Groupe4.

En effet, le problème d’Apple réside dans son inaptitude à créer les nouveaux usages de ses clients, comme Steve Jobs l’avait fait successivement, pour en rester au niveau des équipements, avec le Mac, l’iPod, l’iPhone et l’iPad. L’Apple Watch n’est pas à la hauteur de ces enjeux, ni en matière d’usages ni en termes financiers. D’ailleurs, plus l’entreprise grossit, plus elle a besoin d’un coup d’éclat majeur pour maintenir son rythme de croissance profitable. Or, dans sa lettre aux actionnaires, Tim Cook ne fait rien pour rassurer à ce sujet. Il présente même une solution dérisoire, la facilitation du remplacement par les clients d’un ancien iPhone par un nouveau modèle dans les Apple Store.

Cet errement est d’autant plus alarmant qu’Apple n’avait pas prévu les problèmes qu’il connaît aujourd’hui. Durant la présentation de ses précédents résultats trimestriels, son directeur financier affirmait ainsi le 1er novembre dernier :

Nous disposons, pour aborder les fêtes de fin d’année, de la plus forte gamme de produits de notre histoire et nous attendons à ce que notre chiffre d’affaires [au prochain trimestre] soit compris entre 89 et 93 milliards de dollars, un record pour notre Groupe“.

A ce niveau, le déficit de prévision (financière) et le manque d’anticipation (stratégique) commencent à confiner à l’aveuglement. On ne peut que se demander si celui-ci n’est pas le fruit d’une trop grande confiance en soi du groupe de Cupertino, cadenassé mentalement dans la série de succès hors du commun qu’il a connus ces douze dernières années.

A la différence d’Apple, Amazon est conscient des risques qu’il encourt malgré sa prodigieuse trajectoire, comme le montrent les récentes déclarations de Jeff Bezos sur la possibilité que l’Entreprise fasse faillite d’ici une trentaine d’années. Moteur sans volant, la marque à la pomme a trop longtemps cru ses propres rodomontades. Il ne serait pas étonnant qu’elle entre plus vite qu’elle ne l’anticipe dans une ère de pépins.

1 Qui se termine le 29 décembre 2018.

2 C’est la première fois depuis 2002 qu’Apple est obligé de réviser à la baisse ses prévisions financières.

3 Dont les prix exorbitants sont de moins en moins justifiés par ses nouvelles fonctionnalités.

4 Le parallèle avec le trio Bill Gates-Steve Ballmer-Satya Nadella à la direction de Microsoft est à cet égard de plus en plus frappant. Il reste à Apple à dénicher son Nadella.

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