6 mai 2021 | Blog, Blog 2021, Management | Par Christophe Lachnitt
La vogue du “why” est-elle surfaite ?
Un élément encore plus important et plus difficile à cristalliser que la mission d’une entreprise est trop souvent ignoré.
L’univers corporate vit depuis plusieurs années dans la croyance que le “why” – la raison d’être d’une entreprise – détermine son succès. Ce qui est devenu un véritable courant de pensée a même son évangile avec le livre de Simon Sinek, “Start With Why: How Great Leaders Inspire Everyone To Take Action“, qui fit suite à une célèbre présentation que l’auteur avait donné sur le même sujet.
J’ai moi-même, à mon plus modeste niveau, été un promoteur de cette idée depuis la création de Superception en insistant continûment sur l’importance du sens dans le management, la communication et le marketing. J’ai d’ailleurs aussi consacré un ouvrage à cette conviction, “Donnez du sens, il vous le rendra“, dans lequel je fais notamment référence aux écrits philosophiques de Viktor Frankl et pose que le communicant est un fournisseur de sens.
Mais, comme le recommandait Alain, “réfléchir, c’est nier ce que l’on croit” et il importe donc de régulièrement penser contre soi-même selon le précepte de Montaigne.
Dans cet esprit, je voudrais partager avec vous l’un des enseignements de “Good To Great: Why Some Companies Make The Leap And Others Don’t“, probablement l’un des cinq ouvrages les plus importants de l’histoire de la littérature sur le management (sa première édition fut publiée en 2001), que je relisais récemment. L’ancien professeur de management de l’Université de Stanford et consultant Jim Collins y livre les conclusions d’une étude qualitative et quantitative qu’il a menée avec son équipe afin de déterminer ce qui distingue les entreprises qui obtiennent de bons résultats de celles qui surperforment considérablement leurs concurrentes sur la longueur. C’est une lecture fascinante que je ne peux que vous recommander.
Parmi les sept caractéristiques qui font les entreprises transcendantes, la qualité des équipes occupe une place particulière. Jim Collins écrit à ce sujet :
“Nous nous attendions à ce que les meilleurs dirigeants définissent d’abord une nouvelle vision et une nouvelle stratégie. Au lieu de cela, nous avons constaté qu’ils commencent par faire monter les bonnes personnes dans le bus, faire descendre les mauvaises personnes du bus et faire asseoir les bonnes personnes sur les bons sièges. Puis, seulement après, déterminent-ils vers où conduire le bus. Le vieil adage selon lequel ‘les collaborateurs sont votre atout le plus important‘ est en fait faux. Les personnes ne sont pas votre atout le plus important. Les bonnes personnes le sont“.
Cependant, ce principe est extraordinairement difficile à appliquer instantanément et durablement car il exige une discipline probablement plus grande encore que la réalisation de la raison d’être d’une entreprise.
Instantanément, un dirigeant qui prend la barre d’une entreprise en crise n’a généralement pas la fortitude de se concentrer sur la qualité et la pertinence de ses équipes avant de mettre de l’ordre dans sa stratégie et son bilan. Rares sont les leaders qui appréhendent cet enjeu comme le fit David Maxwell lorsqu’il devint PDG de Fannie Mae, l’un des cas d’étude décryptés par Jim Collins dans “Good To Great”.
Lorsque David Maxwell prit la tête de Fannie Mae en 1981, le spécialiste des prêts hypothécaires perdait un million de dollars chaque jour ouvrable et 56 milliards de dollars de ses prêts étaient en souffrance. Il résista cependant à l’intense pression de son Conseil d’Administration et attendit d’avoir les bonnes personnes en place avant d’élaborer une nouvelle stratégie pour l’Entreprise. Il se focalisa sur le recrutement des personnes idoines pour composer son équipe de direction : 14 des 26 membres de celle-ci quittèrent le Groupe et furent remplacés par certains des plus grands talents du secteur de la finance. La même exigence fut appliquée à tous les échelons de Fannie Mae, chaque manager augmentant le calibre de son équipe et faisant pression sur ses pairs pour qu’il en fît de même. Au cours des années suivantes, Fannie Mae surperforma le marché boursier par un facteur de presque quatre.
David Maxwell plaça la valeur des équipes avant la vision, la stratégie, l’organisation, l’excellence opérationnelle et les technologies. Sa conception de la gestion des ressources humaines induit une approche managériale réellement participative dans laquelle le patron engage les talents qui l’entourent dans un débat vigoureux pour déterminer la stratégie de l’entreprise – ou de l’équipe dans le cas d’un manager intermédiaire – et la meilleure manière de la réaliser.
Cette méthode correspond à la célèbre remarque de Steve Jobs :
“Cela n’a aucun sens d’enrôler des personnes intelligentes et de leur dire quoi faire ; nous engageons des personnes intelligentes pour qu’elles puissent nous dire quoi faire“.
Sur la durée, la primauté accordée au “who” sur le “why” requiert une discipline de chaque instant dans le recrutement et la gestion des talents à l’encontre de laquelle vont les compromis opérationnels et relationnels qui caractérisent l’approche de l’écrasante majorité des entreprises dans ce domaine. Toutes les organisations affirment accorder la priorité à cette problématique mais très peu le font vraiment au quotidien. Il faut dire que c’est un enjeu qui devient très complexe à gérer lorsqu’une entreprise passe de plusieurs centaines à plusieurs milliers, voire dizaines de milliers, de collaborateurs.
Mais, comme le montre par exemple le récent livre de Reed Hastings, le cofondateur et PDG de Netflix, cette dynamique est incontournable pour qu’une organisation fasse la différence car la qualité de ses équipes est la matrice de sa réussite dans tous secteurs : une entreprise est une communauté humaine, pas un paradigme systémique.